ALBI LA ROUGE JOYAU DU TARN
La capitale tarnaise a rejoint, en 2010, les sites classés au patrimoine mondial de l’unesco. L’occasion de (re)découvrir sa cathédrale aux airs de forteresse rouge, ses hôtels particuliers évoquant l’âge d’or des pastelliers et ses jardins étagés au bord
Habitué aux splendeurs des Indes, Rudyard Kipling ne craignait pourtant pas d’évoquer le « coup de massue » que provoqua chez lui la vue d’albi. L’arrivée sur la ville, par le PontVieux qui enjambe le Tarn, laisse les voyageurs subjugués par la silhouette massive de Sainte-cécile. Cathédrale ou forteresse ? Le doute est permis devant ce mastodonte. Un puissant clocher-donjon haut de 78 mètres, des tours d’angle, des contreforts, des fenêtres étroites comme des meurtrières…
ANGES, APÔTRES ET PROPHÈTES
Le style du sanctuaire tranche avec l’élégance des grandes cathédrales du nord de la France : la sobriété est de mise, soulignée par son austère brique rouge. Construite à partir de 1282 par les archevêques d’albi pour proclamer leur autorité contre l’hérésie des Cathares, la cathédrale Sainte-cécile se devait d’en imposer et d’assurer la sécurité des évêques. Pénétrer dans l’édifice occasionne un nouveau choc, tant le raffinement de l’intérieur contraste avec l’extérieur. Cette métamorphose remonte à la fin de la guerre de Cent Ans, lorsque Louis Ier d’amboise est nommé évêque d’albi. Cet humaniste, proche de Léonard de Vinci et amateur de l’art du Quattrocento, convie des artistes de Bologne. Influencés par la Renaissance italienne, ils recouvrent entre 1509 et 1512 les voûtes de peinture bleu roi et or, véritable ouverture vers le Ciel, sur le thème de l’ancien et du Nouveau Testaments. C’est le plus vaste ensemble de peintures italiennes jamais réalisé en France ! Sur le mur occidental de la nef, à la fin du xve siècle, des artistes français et flamands ont peint une spectaculaire fresque du Jugement dernier. À cette époque, le choeur est aussi réaménagé. Sur la clôture s’accrochent des statues d’anges, d’apôtres et de prophètes ; le jubé, ouvrage de pierre blanche qui sert de passage symbolique entre les espaces sacré et profane, provoque la curiosité avec ses centaines de sculptures polychromes de style gothique flamboyant. Il n’est pas étonnant que Sainte-cécile ait été classée en 2010 au patrimoine mondial de l’unesco en raison de sa « valeur universelle unique ». À l’ombre de la cathédrale, le palais épiscopal de la Berbie se reconnaît à sa tour de brique. Après la cité des Papes d’avignon, il compose le plus grand ensemble architectural religieux de France.
UN MUSÉE POUR TOULOUSE-LAUTREC
Sa construction, antérieure à la cathédrale Sainte-cécile, a débuté au xiie siècle. Lors de l’inquisition contre les Cathares, l’évêque d’albi, Bernard de Castanet, la transformera en une forteresse flanquée de tourelles de contrefort. L’édifice abrite aujourd’hui un musée consacré à Toulouse-lautrec, natif d’albi. Au pied du palais, dominant le Tarn, le jardin à la française dessiné par Le Nôtre adoucit l’aspect fortifié de la cité épiscopale. Entre la rivière et les anciens remparts, le vieux centre d’albi se découvre à pied, en empruntant la commerçante rue Mariès, l’axe principal autour duquel se déploie la cité médiévale dans un lacis de ruelles étroites. En son coeur, la collégiale Saint-salvi, le plus ancien édifice religieux d’albi, présente un mélange de roman et de gothique. Bien que mutilé pendant la Révolution française, son cloître – seule subsiste l’aile Sud –, petit bijou d’architecture avec ses chapiteaux sculptés, ses arcades et colonnades, mérite le détour. Les traces romanes restent rares dans la ville car l’essentiel du Vieil-albi date de la fin du Moyen Âge et du début de la Renaissance, son âge d’or. À cette époque, les marchands développent le commerce du pastel, une plante locale dont les feuilles fournissent un colorant bleu recherché. Albi devient la capitale du « pays de cocagne », plus importante que Toulouse.
UN AIR DE TOSCANE HORS LES REMPARTS
Si l’indigo viendra mettre fin à la toute-puissance du pastel, deux siècles de prospérité auront suffi à asseoir la fortune de la ville, dont témoignent les opulentes demeures. Situé rue Timbal, l’hôtel Reynès, du nom d’un puissant marchand de pastel, aujourd’hui siège de la Chambre de commerce et d’industrie, est une maison Renaissance en brique et pierre. Son décor en dit long sur la richesse de la ville : porte en pointe de diamant, meneaux croisés… Autre témoignage de l’activité pastellière, une vieille bâtisse dans le quartier Castelnau a conservé son « soleilhou », une galerie ouverte sur le toit, où l’on faisait sécher les plantes. Seul quartier à ne pas avoir bénéficié de la manne du pastel, Castelviel, le berceau d’albi, est situé en plein coeur de la ville mais hors les remparts. Bâti sur un éperon rocheux, ce bourg tomba aux mains de Simon de Montfort, le chef de la croisade contre les Cathares, qui y forma une communauté séparée du reste de la cité ; elle gardera son indépendance jusqu’à la Révolution. Aujourd’hui réhabilité, l’endroit accueille le visiteur qui déambule à plaisir entre les maisons à corondages et encorbellements. Elles se succèdent au fil des ruelles jusqu’à la charmante place Savène, entourée de maisons à pans de bois et aux volets colorés. En contrebas, les berges aménagées du Tarn offrent de superbes vues sur Albi, avec ses jardins suspendus qui festonnent les maisons patriciennes. Cèdres, cyprès, pins parasols… : le pays se donne un petit air de Toscane ! ∫
CATHÉDRALE OU FORTERESSE ? LE DOUTE EST PERMIS DEVANT CE MASTODONTE. UN PUISSANT CLOCHER-DONJON, DES TOURS D’ANGLE, DES CONTREFORTS, DES FENÊTRES ÉTROITES COMME DES MEURTRIÈRES…