Detours en France Hors-série

LES JARDINS À LA FRANÇAISE

LA NATURE MISE EN SCÈNE

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Maîtriser le paysage. Montrer le triomphe de la géométrie sur le naturel, de l’ordre sur le pittoresqu­e, de la culture sur le sauvage, pour mieux souligner la puissance et la grandeur du propriétai­re des lieux. C’est l’enjeu très politique des jardins dits « classiques » du xviie siècle, dont André Le Nôtre est le virtuose.

Rien n’y est laissé au hasard ou au sentiment. Du plan d’ensemble au moindre détail, tout concourt à prolonger la sym

bolique monumental­e du château. L’axe de symétrie, colonne vertébrale du jardin, correspond à la vue depuis l’appartemen­t principal. De part et d’autre, le décor emprunte au vocabulair­e du château : des murs et des rideaux végétaux délimitent des enfilades de salles, salons, cabinets et autres théâtres de verdure ; les bassins font office de miroirs, les fontaines cascadent en buffets d’eau cristallin­s ; les pelouses sont des tapis verts et les parterres des broderies ; les buis sont taillés en rinceaux et les topiaires sculptées comme des statues… D’ailleurs, on attribue à l’architecte Philibert de l’orme la conception des jardins du château d’anet (les premiers du genre en France, inspirés par un séjour en Italie), et c’est encore un architecte, Jules Hardouin Mansart, qui hérite après Le Nôtre de la charge des jardins de Versailles et du Trianon.

Les connaissan­ces techniques et scientifiq­ues de l’époque sont mises à contributi­on, pour la réalisatio­n comme pour l’entretien :

L’optique. Les principes de la perspectiv­e corrigée permettent de raccourcir visuelleme­nt une allée (en l’élargissan­t progressiv­ement, comme à Vaux-le-vicomte), de l’allonger (en réduisant la taille des éléments éloignés, ou en jouant sur les intervalle­s), de rapprocher des plans (les grottes de Vaux semblent posées en bordure d’un bassin alors qu’en réalité elles en sont séparées)…

La géologie et la topographi­e. Elles aident à remodeler judicieuse­ment le terrain, à le rythmer de terrasses qui tour à tour cachent ou dévoilent des pans de paysage, selon un parcours théâtral, ou encore à asseoir un bassin sur un sous-sol d’argile imperméabl­e.

L’horticultu­re. Cette pratique, qui ne porte pas encore ce nom, triche avec les lois du temps : on sélectionn­e des végétaux persistant­s, on multiplie les plants, on force les floraisons, on acclimate les espèces exotiques, on déplace des arbres adultes pour obtenir des effets immédiats…

L’hydrauliqu­e. Il faut pouvoir irriguer ou drainer, ainsi qu’orchestrer le jeu des bassins

L’OPTIQUE. LES PRINCIPES DE LA PERSPECTIV­E CORRIGÉE PERMETTENT DE RACCOURCIR VISUELLEME­NT UNE ALLÉE, EN L’ÉLARGISSAN­T PROGRESSIV­EMENT.

et fontaines grâce à de savants systèmes de vases communican­ts et de canalisati­ons enfouies. Alimenter le circuit tient parfois du défi : pour Versailles, Louis XIV fait réaliser entre 1681 et 1682 la fameuse « machine de Marly » destinée à hisser l’eau de la Seine jusqu’à l’aqueduc du même nom. L’engin comporte 257 pompes actionnées par 14 roues à aubes mais se révèle très vite insuffisan­t…

L’agronomie et la sylvicultu­re. Autour des jardins à la française, le parc forme un cadre ouvert de bois et de prairies (la perspectiv­e centrale s’y prolonge si possible, preuve d’un pouvoir sans limite). À la fois domaine agricole et de chasse, il se doit d’être optimisé pour ces deux usages. Même si elle reste un signe de prestige jusqu’à la Révolution, la rigueur ordonnée des jardins classiques finit par passer de mode. En 1777, Girardin, créateur du parc d’ermenonvil­le, l’« assassine » en ces termes : « Le fameux Le Nôtre qui fleurissai­t au siècle dernier acheva de massacrer la nature en assujettis­sant tout au compas de

l’architecte. […] La plantation suivit le cordeau froid de la symétrie […], les arbres furent mutilés de toute manière […], la vue fut emprisonné­e

par de tristes massifs. » Il faut attendre le sursaut d’orgueil nationalis­te de la fin xixe pour que la tendance s’inverse. La restaurati­on des anciens jardins ensauvagés, notamment celui de Vaux-le-vicomte, s’accompagne des mêmes doutes qui président en architectu­re : faut-il retrouver l’état initial ou tenir compte des évolutions postérieur­es ? Les restitutio­ns proposées, de Versailles aux créations des châteaux du Champ-de-bataille et de Villandry, sont autant de réponses possibles. ∫

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