Detours en France Hors-série

LES FORTIFICAT­IONS DE VAUBAN

LE MAÎTRE DES ÉTOILES

- TEXTE DE DOMINIQUE LE BRUN

Jamais bâtisseur n’aura marqué son pays d’une empreinte plus magistrale. Le nom de Vauban s’attache à 148 ouvrages fortifiés de nos frontières mais la vox populi lui en attribue plus encore, tant son influence fut grande. Pas une citadelle en étoile, pas une enceinte bastionnée qu’on ne croit tracées de sa main. À l’occasion du tricentena­ire de sa mort, en 2007, la France a redécouver­t plus qu’un ingénieur militaire d’exception : un honnête homme et un des esprits les plus éclairés de son temps. L’année suivante, son oeuvre s’inscrivait au patrimoine de l’humanité.

Mont- Dauphin (Hautes-alpes). Suite au raid effectué en 1692 par Victor-amédée II de Savoie, Vauban propose d’améliorer la défense de la frontière des Alpes avec la constructi­on de cette place forte. Elle est nommée ainsi en l’honneur du fils de Louis XIV, le Grand Dauphin. Remaniée jusqu’au xixe siècle, elle ne sera jamais assiégée.

Avant l’artillerie, la puissance d’une place forte se mesurait en hauteur et en épaisseur

de remparts. Face au double problème des angles morts et des boulets de métal, les tours commencent à saillir des murailles. Puis, les Italiens ayant constaté leur fragilité face aux canons de François Ier, imaginent un mur de terre épais entre deux parois maçonnées, à la manière des anciens « murs gaulois ». La terre limite la hauteur mais absorbe les impacts. Associés, les deux systèmes forment les premières enceintes bastionnée­s, où alternent les pointes saillantes et rentrantes. Peu à peu s’y ajoutent des dispositif­s destinés à retarder la progressio­n ennemie. Apparaisse­nt sur l’extérieur des demi-lunes (malgré leur nom, elles sont en forme de flèche) isolées dans le fossé, parfois surmontées d’un cavalier (une plate-forme d’artillerie surélevée), et protégées vers l’extérieur par un talus maçonné (la contre-garde). Côté intérieur, une tenaille, un mur massif, fait écran devant la courtine pour éviter qu’elle ne soit à cet endroit du fossé à la merci de l’artillerie. Ce labyrinthe défensif est prévu assez bas pour permettre aux canons de la place principale de « couvrir » le glacis. Celui-ci, autre nouveauté, est une ceinture de terrain nu où les attaquants ne peuvent s’avancer qu’à l’abri de tranchées creusées en zigzag… au risque d’être repérés et décimés avant que les sapeurs n’aient pu approcher et poser leurs charges.

Ce modèle (que l’on observe à Brouage, fortifié sous Louis XIII, ou à Rocroi dans les Ardennes, remarquabl­e citadelle du xvie à peine modifiée par Vauban) rend les assauts effroyable­ment coûteux, en temps comme en hommes, dont Vauban est soucieux. Le génie de la poliorcéti­que (l’art du siège) rationalis­e un

MAÎTRE DE L’ATTAQUE, CE QU’IL DÉMONTRE NOTAMMENT EN 1667 AU SIÈGE DE LILLE, PRISE EN NEUF JOURS, VAUBAN SE TROUVE CHARGÉ DE CONCEVOIR LES MEILLEURES DÉFENSES.

plan d’attaque en douze étapes, qui, d’après les calculs de Vauban, doit amener la reddition en 48 jours au plus, avec un minimum de pertes humaines. En résumé, il commence par organiser le blocus de la place en l’entourant d’une enceinte sommaire, afin de ne pas être pris à revers par d’éventuels renforts. Après une phase de reconnaiss­ance destinée à déterminer le point faible des défenses, Vauban lance les travaux d’approche. Là, intervienn­ent ses innovation­s majeures : relier les tranchées entre elles par deux ou trois larges parallèles concentriq­ues, afin de regrouper hommes et canons tout en assurant les arrières des terrassier­s ; accumuler les remblais en cavaliers, plateforme­s d’artillerie dominant les défenses adverses ; enfin, généralise­r le tir rasant « à ricochets », qui fait de gros dégâts avec peu de poudre grâce au rebond du boulet. Puis les canons rapprochés visent les batteries défensives, ainsi que la partie du rempart où est prévue la brèche. La dernière phase de l’attaque consiste à masser les hommes dans les

parallèles pour un assaut final qui a rarement lieu, la garnison préférant capituler. Ce plan imparable sera en usage jusqu’au xixe siècle.

Maître de l’attaque, ce qu’il démontre notamment en 1667 au siège de Lille, prise en 9 jours, Vauban est chargé de concevoir les meilleures défenses : il commence par Lille, dont il fera la « reine des citadelles ». Aux principes de base, adopter une position dominante et échelonner ses défenses selon un plan polygonal, il en ajoute un autre : écarter la citadelle, qui est le dernier refuge et poste de commandeme­nt de la ville proprement dite, quitte à étendre l’enceinte. Pragmatiqu­e, il tire parti des spécificit­és du terrain pour introduire sans cesse de nouveaux perfection­nements. Ainsi, à Briançon, il n’hésite pas, jetant les théories modernes inadaptabl­es, à revenir à un dispositif médiéval. Son souci du détail est constant. Par exemple, faire planter des arbres à l’intérieur des remparts, ce qui fournit en cas de besoin bois de chauffe et de soutènemen­t, et dont les feuillages masquent aux beaux jours le coeur de la forteresse…

Le premier système reprend la solution déjà éprouvée d’un polygone bastionné, dont chaque face est couverte par le bastion voisin, avec une demi-lune détachée entre chaque bastion. Défaut majeur : la prise d’un des bastions, où sont réunis canons à longue portée et mousquets pour les tirs rapprochés, ouvre une brèche béante dans les défenses. Lille, Arras (la « Belle Inutile »), Bayonne ou MontDauphi­n correspond­ent à ce modèle.

Le deuxième système met l’accent sur l’étagement des feux. Les bastions deviennent indépendan­ts, détachés du corps de la place mais ouverts à la gorge, c’est-à-dire exposés s’ils sont pris sous le feu des défenseurs derrière eux. Élargis et rehaussés, ils masquent et protègent en outre la courtine principale. L’artillerie lourde, elle, est placée aux angles de celle-ci dans des tours bastionnée­s ou nichée dans des casemates à sa base, dans l’enfilade des fossés. À voir : les forteresse­s de Belfort et de Besançon, où Vauban va de plus disperser des tours bastionnée­s sur les collines alentour (deux d’entre elles, les Cordeliers et Chamars, ont été restaurées).

Enfin, le troisième système, synthèse idéale, prévoit à la fois bastions séparés et bastions à redents sur la courtine, ainsi que des réduits conçus comme de minidonjon­s au centre des demi-lunes. Il n’en existe qu’un seul exemple, à Neuf-brisach en Alsace, créé ex nihilo en 1698 pour remplacer l’ancien Brisach perdu, de l’autre côté du Rhin.

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 ??  ?? Le fort Libéria à Villefranc­hede- Conflent (PyrénéesOr­ientales). La citadelle (1681) est bâtie après la division de la Catalogne entre la France et l’espagne, suite au Traité des Pyrénées de 1659. Dominant Villefranc­he d’une hauteur de 150 mètres, elle est reliée à la ville par un escalier souterrain de 734 marches.
Le fort Libéria à Villefranc­hede- Conflent (PyrénéesOr­ientales). La citadelle (1681) est bâtie après la division de la Catalogne entre la France et l’espagne, suite au Traité des Pyrénées de 1659. Dominant Villefranc­he d’une hauteur de 150 mètres, elle est reliée à la ville par un escalier souterrain de 734 marches.
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 ??  ?? Bazoches (Nièvre). En 1675, Vauban achète ce château. Il y installe sa famille et… ses ingénieurs, pour qui il fait construire une grande galerie. Le château est toujours propriété de ses descendant­s.
Bazoches (Nièvre). En 1675, Vauban achète ce château. Il y installe sa famille et… ses ingénieurs, pour qui il fait construire une grande galerie. Le château est toujours propriété de ses descendant­s.
 ??  ?? Plan- relief (1705) de la citadelle du Palais, sur Belle- Île (Morbihan). Pour des raisons stratégiqu­es mais aussi économique­s, Vauban intègre dans ses projets des places fortes existant souvent depuis le Moyen Âge. C’est le cas avec la forteresse du Palais fondée au xie siècle.
Plan- relief (1705) de la citadelle du Palais, sur Belle- Île (Morbihan). Pour des raisons stratégiqu­es mais aussi économique­s, Vauban intègre dans ses projets des places fortes existant souvent depuis le Moyen Âge. C’est le cas avec la forteresse du Palais fondée au xie siècle.

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