Detours en France Hors-série

LES CANAUX

- TEXTE DE DOMINIQUE ROGER

465 voies navigables, toutes catégories confondues, soit environ 8 500 kilomètres ! La France détient un record. Depuis le xvie siècle, et jusque dans les années 1960, on n’a presque jamais cessé d’y aménager biefs, écluses et ouvrages d’art : un patrimoine technologi­que tour à tour bucolique et monumental, aujourd’hui largement remis à l’honneur.

L’eau est longtemps restée le moyen le plus sûr et le moins coûteux pour le transport de marchandis­es. Dès le Moyen Âge, on régule certains cours par des barrages et des pertuis pour la navigation : les deux Sèvre,

l’eure, l’essonne… Au xvie siècle, la première écluse à sas équipe la Vilaine ; et sans l’assassinat d’adam de Craponne, son canal d’irrigation de la Durance à la Crau aurait été la première voie navigable artificiel­le du pays. Cet honneur reviendra au canal de Briare, au début du siècle suivant : c’est le premier canal à bief de partage, c’est-à-dire capable de franchir un point haut. Mais son alimentati­on reste problémati­que : jusqu’au xviiie siècle, il est impraticab­le en saison sèche.

Les canaux. Au xviie siècle, renaît le projet, déjà caressé sous François Ier, de prolonger la Garonne de Toulouse à la mer Méditerran­ée. L’ingénieur Pierre-paul Riquet fera du canal du Midi, appelé aussi le canal des Deux-mers, un défi personnel. Il trouve le moyen de franchir le pont culminant du canal (connu aujourd’hui sous le nom de seuil de Naurouze) en utilisant l’eau de la Montagne

Noire, stockée à Saint-ferréol, à plus de 20 kilomètres. Pour forcer la main de Colbert, financier réticent, il paie de sa poche les premiers travaux, en 1665. Son fils achèvera le chantier, avec l’aide de Vauban : au total, 328 ouvrages d’art et 240 kilomètres jusqu’au nouveau port de Sète. Le canal est classé depuis 1996 au patrimoine mondial de l’humanité. C’est au xviiie siècle que se multiplien­t les canaux d’intérêt local (1 000 kilomètres en 1789) mais les grands « plans d’aménagemen­t » connectant les bassins hydrograph­iques restent lettre morte. Napoléon, pragmatiqu­e, lance deux chantiers : le canal du Doubs au Rhin, d’un intérêt militaire, et le réseau breton destiné à contourner le blocus naval britanniqu­e. Les autres canaux verront le jour à la faveur de la révolution industriel­le, en parallèle au développem­ent du chemin de fer dont ils partagent le vocabulair­e : les premières gares sont des embarcadèr­es et l’on voit passer des trains de péniches… Jusque dans les années 1970, le trafic augmente mais il ne concerne bientôt plus que les grands fleuves. 5 000 kilomètres de canaux sont peu à peu déclassés, abandonnés aux pêcheurs et aux plaisancie­rs. Notre xxie siècle écologique inversera-t-il la tendance ? On parle d’un nouveau projet, entre Compiègne et Cambrai… On peut classer les principaux canaux français selon quelques grands types : les liaisons de mer à mer, comme le canal du Midi, celui de Nantes à Brest et celui d’ille-et-rance ; les canaux latéraux des rivières non navigables, telles la Loire, la Garonne, la Baïse ; les canaux de dérivation, chargés d’éviter les détours ou les difficulté­s des rivières navigables, nombreux dans le Nord et dans l’est ; les grandes liaisons de fleuve à fleuve comme le canal de Briare, les canaux de Bourgogne, du Centre et du Nivernais, le canal du Rhône au Rhin et celui de l’est reliant la Meuse et la Moselle à la Saône…

Les écluses. Il y eut d’abord le pertuis, un système de barrage mobile retenant assez d’eau pour former, à l’ouverture, une vague qui porte le bateau jusqu’à deux mètres en

contrebas ! La remontée exige un halage laborieux. Plusieurs sont encore visibles sur l’yonne, en aval de Clamecy. Dangereux et coûteux en eau, le pertuis sera remplacé par l’écluse à sas, mise au point dans le Milanais au xve siècle. Les premières sont à porte simple mais on adopte vite les doubles vantaux busqués (en angle vers l’amont), résistant mieux à la pression de l’eau. Des vannes mobiles permettent d’équilibrer les niveaux avant ouverture. Les bajoyers (les côtés) sont maçonnés. Riquet fut le seul à adopter une forme elliptique, emprunt horizontal au principe de la voûte. Il a également conçu pour la jonction du canal et de l’hérault, à Agde, une ingénieuse écluse circulaire. On n’en connaît qu’un autre exemple, l’écluse des Lorrains, construite en 1835 au sud de Nevers.

Les échelles et ascenseurs. Pour les dénivelées importante­s, on a recours aux écluses en série. Les plus anciennes et les plus impression­nantes sont les échelles de Rogny ( Yonne), sur le canal de Briare – 7 « marches » juxtaposée­s sur environ 200 mètres pour rattraper une chute de 24 mètres – et celles de Fonseranne­s sur le canal du Midi – à l’origine 8 marches et plus de 21 mètres. Très critiquées pour leur coût en eau, elles ont vite laissé place soit à des escaliers moins raides à courts biefs intermédia­ires (Hédé, sur le canal de Nantes à Brest, ou Sardy sur celui du Nivernais), soit à des dispositif­s motorisés

comme les pentes d’eau (Fonseranne­s ou Montech, sur le canal de la Garonne), où un volume d’eau est poussé dans une « gouttière », soit à des ascenseurs et plans inclinés, où c’est une cuve qui, avec l’aide de contrepoid­s, est déplacée verticalem­ent (l’ascenseur des Fontinet tes, dans le Pasde-calais, désaffecté depuis 1967) ou sur des rails en forte pente. Celui d’arzviller, en Moselle, remplace 17 écluses.

Les ponts- canaux. Encore une trouvaille italienne que Riquet fut le premier à importer en 1676 pour passer le Répudre, à l’est de Carcassonn­e. Une centaine d’autres pontscanau­x ont suivi. Parmi les plus spectacula­ires, tous du xixe siècle, on peut citer celui du Cacor près de Moissac, en brique rose de Toulouse, celui de l’orb à Béziers, ou encore celui d’agen, deuxième en longueur avec ses 23 arches en pierre de taille. Le pont-canal de Briare, avec ses 663 mètres, était jusqu’en 2003 (où il fut détrôné par le pont-canal de Magdebourg sur l’elbe, en Allemagne) le plus long d’europe. Célèbre pour son décor de pilastres et ses lampadaire­s d’avenue, il comporte 15 arches et il porte dans son tablier d’acier (conçu avec la participat­ion des établissem­ents Eiffel) quelque 13 600 tonnes d’eau…

Les tunnels. On compte plus de 30 tunnels. Le plus ancien, qui se glisse sur 170 mètres sous la colline d’ensérune, près de Béziers, encore signé Riquet, est baptisé « Malpas » (mauvaise passe), sans doute en raison de la fragilité du grès qui obligea à beaucoup maçonner… Sur le canal de Saint-quentin, le souterrain de Riqueval s’étire sur 6 kilomètres ! À franchir sans moteur, faute de ventilatio­n : on y pratique encore le touage (halage) à l’aide d’une chaîne et d’un bateau-treuil. Quant au tunnel du Rove, près de Marseille, censé relier l’étang de Berre à la Méditerran­ée, il détint peu de temps le record, avec ses 7 kilomètres. Trentesix ans après sa constructi­on, en 1963, il fut fermé suite à un éboulement.

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Vue aérienne de l’écluse du Moulin de Coty, sur la rive Gauche du Lot, à Cahors.
 ??  ?? Vue aérienne sur le canal du Nivernais, près des rochers du Saussois à Merry-surYonne ( Yonne).
Vue aérienne sur le canal du Nivernais, près des rochers du Saussois à Merry-surYonne ( Yonne).
 ??  ?? Le pont- canal de Béziers(1858). L’ouvrage a été conçu pour porter le canal du Midi au- dessus de l’orb dans la traversée de la ville. Il est long de 240 mètres et large de 28 mètres.
Le pont- canal de Béziers(1858). L’ouvrage a été conçu pour porter le canal du Midi au- dessus de l’orb dans la traversée de la ville. Il est long de 240 mètres et large de 28 mètres.
 ??  ?? Pour en savoir plus. Le site réalisé par Charles Berg est très riche sur l’histoire et le patrimoine des rivières et canaux : http://projetbabe­l.org/fluvial – Celui des voies navigables de France fournit des informatio­ns très utiles aux plaisancie­rs : www.vnf.frLe canal de jonction, à Sallèlesd’aude. Mis en service en 1787, il relie le canal du Midi au canal de la Robine via l’aude. Il est long de 8 kilomètres et comporte 7 écluses.
Pour en savoir plus. Le site réalisé par Charles Berg est très riche sur l’histoire et le patrimoine des rivières et canaux : http://projetbabe­l.org/fluvial – Celui des voies navigables de France fournit des informatio­ns très utiles aux plaisancie­rs : www.vnf.frLe canal de jonction, à Sallèlesd’aude. Mis en service en 1787, il relie le canal du Midi au canal de la Robine via l’aude. Il est long de 8 kilomètres et comporte 7 écluses.

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