LE VRAI DU FAUX
SUR LES CATHÉDRALES TEXTES D E HUGUES D EROUARD ET DOMINI QUE ROGER
Spécialistes des cathédrales, les historiens Alain Erlande-brandenburg et Mathieu Lours* nous éclairent sur certaines idées reçues concernant
ces édifices hors normes.
ON S’EST OPPOSÉ À LA CONSTRUCTION DES CATHÉDRALES
« On a en effet des témoignages, au xiiie siècle, de religieux – des curés, des évêques, des moines – qui se sont clairement opposés à l’édification de tels monuments et ont ralenti les chantiers. Les cisterciens, par exemple, s’opposaient également à la construction des cathédrales, estimant que ce sont des chantiers qui prenaient beaucoup trop d’argent : ils voulaient que l’argent ne soit pas dévoyé vers d’autres projets. Alors que le bâtiment, tant son secteur est varié, est le meilleur moyen pour distribuer la richesse, de l’architecte au porteur d’eau ! », explique Alain ErlandeBrandenburg. « Certains religieux chantres de la pauvreté se sont opposés aux cathédrales, confirme Mathieu Lours. C’est plus une opposition à la richesse de l’église qu’à ses dimensions. C’est une lecture rigoriste de l’édifice de culte : l’idée qu’on ne doit pas mettre dans l’église de pierre des sommes qui pourraient servir à l’église de chaire, et l’idée de respecter une certaine sobriété iconographique. Cette opposition est virulente au tournant du xiie et xiiie siècles, au moment de l’édification des grandes cathédrales. Le pouvoir municipal s’est aussi quelquefois opposé à la construction car la cathédrale entraînait un bouleversement de la forme de la ville. Si la cathédrale de Narbonne n’a jamais été achevée, c’est parce que le conseil municipal a refusé qu’on démolisse le rempart, ce qui aurait pourtant rendu possible l’édification de la nef. »
Saint François d’assise (1181-1226), qui prônait la pauvreté, était opposé au coût exorbitant des chantiers et à la richesse des églises.
« C’est la théorie spontanéiste du xixe siècle, explique Alain ErlandeBrandenburg. Elle est évidemment fausse, même si nous savons que certaines personnes non impliquées dans l’entreprise – où tout le monde est bien payé – l’ont appuyée : c’était pousser un chariot ou le désembourber, mais guère plus. Une erreur de construction sur des édifices aussi hauts, aussi grands, aussi légers serait fatale. Ce sont des professionnels de haut niveau qui ont édifié les cathédrales. La différence entre l’homme et l’animal est que l’homme pense : son action est avant tout intellectuelle. J’ai tenté d’expliquer dans La Révolution gothique que l’art gothique est né de la pensée et cette pensée est celle qui était enseignée par le théologien Hugues de Saint-victor, arrivé à Paris en 1120 et mort en 1141 : il a créé l’art gothique, par son enseignement purement intellectuel. Et des dessins très précis nous montrent que l’art gothique est une architecture parfaitement maîtrisée. Des intellectuels, qui ne sont pas forcément des architectes, ont élaboré tout ce qui a été fait. La plupart des monuments sont construits sur une science technique admirable, fondée sur les mathématiques. Les carnets de Villard de Honnecourt ne sont ainsi, pour la plupart, pas des relevés, réalisés après la construction, contrairement à ce que l’on a cru, mais ce sont des dessins qui ont servi à élaborer l’architecture : vous avez des détails qui disparaissent une fois que l’architecture se fait. L’art gothique est un art savant, voulu par les savants, construit par les savants. »