ENTRETIEN AVEC KEN FOLLETT
« POUR MOI, SALISBURY EST L A CATHÉDRALE GOTHIQUE PARFAITE »
C’est l’un des écrivains contemporains les plus populaires, les plus lus et les plus traduits au monde. Maître du suspense et de la grande fresque historique, le Gallois Ken Follett a conquis quelque 26 millions de lecteurs avec Les Piliers de la Terre, captivant romanfleuve sur la construction d’une cathédrale gothique dans une petite ville fictive d’angleterre au Moyen Âge. Entretien avec un érudit resté, près de trente ans après la parution de son best-seller, un véritable amoureux des cathédrales. Sans évoquer la puissance littéraire et narrative des Piliers de la Terre, comment expliquez-vous qu’un roman-fleuve évoquant la construction d’une cathédrale au Moyen Âge ait pu fasciner des millions de lecteurs à travers le monde ?
Une cathédrale occupe une place importante dans la plupart des grandes villes – et fait donc bien souvent partie intégrante, plus ou moins consciemment, de notre paysage « psychologique ». Même si nous ne faisons bien souvent que passer devant eux, nous ne pouvons nous empêcher d'être frappés par la dimension, la grâce et l'ancienneté de ces édifices. Et ayant remarqué cela, nous devons nous demander un jour pourquoi ils ont été construits... Quelle force, quelle puissance ont conduit les gens du Moyen Âge à consacrer autant de temps, d'efforts et d'argent à la construction des cathédrales ? Tout le monde sait que le Moyen Âge a été une période dure et brutale… Et, en même temps, les cathédrales symbolisent à elles seules la capacité miraculeuse des êtres humains à s'élever au-dessus de leur situation – à sortir littéralement de la boue – et à créer quelque chose de beau pour l’éternité. Voilà ce qui a peut-être captivé les lecteurs...
Votre roman est d’une incroyable précision historique, notamment tout ce qui concerne les gestes techniques des bâtisseurs et les détails relatifs à l’architecture gothique… Comment avez-vous procédé ?
Au départ, c’était juste une passion. J’ai visité une cathédrale, j’ai été ébloui, puis suis allé en voir d’autres… J’ai commencé à m’interroger, à lire, à me documenter : comment ont-elles été construites ? Par qui ? Au moment où j'ai entamé
Les Piliers de la Terre, j’en connaissais déjà un rayon, mais, en écrivant le livre, je me suis rendu compte combien je devais en apprendre encore beaucoup plus... J’ai compulsé des centaines d’ouvrages très techniques. J'ai rejoint la Société pour l'histoire de la science et de la technologie médiévales (The Society for the History of Medieval Science and Technology) et suis allé à leurs conférences pour explorer, comprendre tous les aspects de l'artisanat médiéval. Je suis
BIOGRAPHIE
Une dizaine de best-sellers, une moisson de prix littéraires, des oeuvres traduites dans plus d’une vingtaine de langues… Ken Follett est né en 1949 dans une famille modeste et très pieuse de Cardiff, au Pays de Galles. Après une brève carrière de journaliste et de chroniqueur dans la presse, ce diplômé en philosophie rencontre le succès auprès du grand public avec la parution en 1978 de L’arme à l’oeil, son premier ouvrage qui obtient le prestigieux prix EdgarAllan-poe. Après la publication de cinq romans d’espionnage, il acquiert une célébrité mondiale avec la parution en 1989 des Piliers de la Terre, une fascinante fresque historique, qui s’est écoulée à ce jour à plus de vingt-six millions d’exemplaires, et a depuis été adaptée en série pour la télévision. Monument d’érudition, ce roman-fleuve (éd. Stock/ Le Livre de Poche, 1056 p.), riche en personnages et en rebondissements, fourmillant de précisions architecturales, raconte sur plusieurs générations la construction d’une cathédrale gothique au xiie siècle dans la petite ville anglaise fictive de Kingsbridge, avec, toujours en arrièreplan, l’histoire du royaume d’angleterre et de ses prétendants au trône. En plus de romans policiers, historiques ou à suspense, Ken Follett a écrit deux suites aux Piliers de la Terre : Un Monde sans fin (2008), puis Une colonne de feu (2017), tous parus en France aux éditions Robert Laffont. Pour en savoir plus : ken-follett.com
AU MOMENT OÙ J'AI ENTAMÉ LES PILIERS DE LA TERRE, J’EN CONNAISSAIS DÉJÀ UN RAYON, MAIS, EN ÉCRIVANT LE LIVRE, JE ME SUIS RENDU COMPTE COMBIEN JE DEVAIS EN APPRENDRE ENCORE BEAUCOUP PLUS...
aussi devenu ami avec l’historien français Jean Gimpel, l'auteur du classique Les Bâtisseurs de
cathédrales, paru en 1958. Au fil du temps, je peux dire que je suis devenu expert sur le sujet ! Toutefois, lors de l’écriture des Piliers de la Terre, j’ai fait appel à des spécialistes qui en savaient plus que moi, et qui ont apporté, si besoin, des corrections ou des précisions historiques ou architecturales à mon roman.
Parmi toutes les cathédrales que vous avez visitées et étudiées, laquelle vous a le plus bouleversé ?
La plupart des cathédrales – notamment en Angleterre – présentent une grande variété de styles architecturaux, bien souvent parce que leur construction a été interrompue pendant des années, voire des décennies entières, généralement par manque d’argent… Et lorsque le chantier a repris, une autre génération de maçons et de bâtisseurs ont utilisé les nouvelles connaissances et techniques acquises. Du coup, j'ai une affection toute particulière pour la cathédrale de Salisbury (dans le Wiltshire, au sud-ouest de l’angleterre, NDLR), qui est une exception à cette règle : elle a été construite en une courte période de temps, environ trente ans, et, par conséquent affiche un style d’une totale cohérence - le style que nous, les Anglais, appelons Early English (gothique primitif, NDLR), employant d'élégantes et étroites fenêtres avec des arcs lancéolés. Salisbury, c'est pour moi tout simplement la plus parfaite des cathédrales anglaises. Un chef-d’oeuvre.
Selon vous, qui pourraient être les « bâtisseurs de cathédrales » du xxie siècle ?
Pour moi, l'équivalent moderne le plus proche d'une cathédrale serait… une fusée lunaire ! Comme une cathédrale, c’est très coûteux, ça fait appel aux sciences les plus modernes et à la technologie de pointe et cela suscite l'enthousiasme et la fierté de toute une communauté.
LORS DE L’ÉCRITURE DES PILIERS DE LA TERRE, J’AI FAIT APPEL À DES SPÉCIALISTES QUI EN SAVAIENT PLUS QUE MOI, ET QUI ONT APPORTÉ, SI BESOIN, DES CORRECTIONS OU DES PRÉCISIONS HISTORIQUES OU ARCHITECTURALES À MON ROMAN.