AMIENS
C’est de loin la plus vaste, et l’une des plus remarquables de nos architectures gothiques. Un modèle de perfection, devenu gris muraille au fil du temps. Mais la magie des éclairages colorés permet de rendre, sans la toucher, ses couleurs originelles à la grande Bible sculptée de Notre-dame d’amiens. Ainsi parée, elle est… incomparable.
Un incendie… L’histoire commence presque toujours ainsi. Celui-ci, causé par la foudre, aurait anéanti en 1218 une cathédrale romane vieille d’à peine soixante ans. On aurait sans doute pu réparer. Mais l’évêque avait de plus ambitieux projets. Et la cité, enrichie par le commerce du drap et du pastel, était en bonne santé financière. Rapporté quelques années plus tôt de Constantinople par un Croisé, le crâne miraculeux de saint Jean le Baptiste y attirait des foules de pèlerins. Et déjà s’élevaient à Sens, Laon, Chartres, Paris, et même Reims depuis 1211, des vaisseaux gothiques très impressionnants… La place n’étant plus un problème depuis qu’on avait agrandi les remparts, on commanda à l’architecte Robert de Luzarches une cathédrale géante : deux fois le volume de Notre-dame de Paris, à laquelle il avait travaillé.
UN RÉSERVOIR D'AIR ET DE LUMIÈRE
Technicien hors pair, Luzarches innova en standardisant la taille des pierres, selon quatre gabarits. Son plan audacieux fut suivi à la lettre – à quelques chapelles latérales près – par les maîtres d’oeuvre successifs, de la première pierre, en 1220, jusqu’à la pose du dallage en 1288. Avec 145 mètres de longueur hors tout, un ample transept de 70 mètres et la nef la plus haute de son époque (43 mètres), mais aussi l’une des plus lumineuses, l’édifice « est comme un grand réservoir d’air et de lumière », estime Viollet-le-duc. Son admiration ne l’empêche pas d’ajouter quelques éléments de son cru, comme la galerie des Sonneurs jetée entre les deux tours… « On reconnaît [là] une main savante », souligne-t-il encore. Pourtant, deux siècles après son achèvement, la cathédrale frôla l’effondrement et ne dut son salut qu’à l’ingéniosité d’un maître maçon oublié, Pierre Tarisel. S’avisant en 1498 que la poussée des arcades, à la croisée, déstabilisait l’édifice, il encercla promptement le tout d’un chaînage
ON COMMANDA À ROBERT DE LUZARCHES UNE CATHÉDRALE GÉANTE : DEUX FOIS LE VOLUME DE NOTREDAME DE PARIS, À LAQUELLE IL AVAIT TRAVAILLÉ.
d’acier qui en fit dès lors un modèle de résistance. Cela n’eut peut-être pas suffi contre un assaut d’artillerie, mais par chance, aussi bien Charles le Téméraire que les soldats de la Convention en 1793 ou les Allemands en 1918 ne purent se résoudre à la prendre pour cible. Même en 1940, elle fut épargnée. Par miracle. Contrairement à la coutume, c’est par l’ouest que la construction a été entreprise en 1220. Peut-être se réservait-on ainsi l’usage provisoire de l’ancien choeur roman ? Peut-être se donnait-on le temps d’évacuer l’église paroissiale Saint-firmin-le-confesseur, située au niveau du futur transept nord, qui fut reconstruite à l’écart (et supprimée par la suite) ? Peutêtre enfin voulait-on d’emblée en mettre « plein la vue » des fidèles (et des contributeurs) avec cette façade au programme iconographique surabondant ? Des trois profonds porches en ogive à la galerie des rois, plus de 3 000 statues s’y bousculent, illustrant un gigantesque catéchisme de pierre : le « Beau Dieu » au tympan central, à sa droite la Vierge, à sa gauche saint Firmin, l’évangélisateur local… Les beffrois, achevés respectivement en 1366 et 1402, et la délicate rosace refaite au xvie siècle couronnent le tout sans « écraser » le tableau…
UN MONDE EN COULEURS
Longtemps cependant, on avait de l’ensemble une vision faussée, d’un gris de muraille sale. La campagne de restauration lancée dans les années 1990 a révélé l'édifice, en usant des techniques les plus modernes de micro-abrasion, laser et stratigraphies : ce monde de pierre était un monde en couleurs. Et quelles couleurs ! Vives, bariolées même... Un luxe que partageaient nombre de grands édifices religieux – on le découvre un chantier après l’autre, à Poitiers, Angers, Senlis, Strasbourg, Bourges, Chartres… – et qui fut camouflé à l’époque classique comme du dernier vulgaire. Comment restituer ces polychromies disparues sans créer de faux historiques ? Après les artistes de Skertzò, qui ont assuré un spectacle de projection sur la façade pendant dix-huit ans, le studio Spectre Lab a pris la relève depuis 2017 avec Chroma. Autour de la restauration des couleurs, ce nouveau son et lumière plonge les spectateurs dans des tableaux fascinants et emblématiques de l’art gothique, tout l'été et en décembre. † Office de tourisme d’amiens, 23, place Notre- Dame, 80000 Amiens. 03 22 71 60 50. www. amiens-tourisme.com