COMPAGNONS ET COMPAGNONNAGE
Société secrète, syndicat ouvrier, mouvement ésotérique, organisme de formation technique, secte, caisse d’entraide… Où est la vérité sur le compagnonnage ? Peut-être sur les grands chantiers du Moyen Âge…
Compagnons et compagnonnage sont les produits d’une histoire dont l’origine est, à ce jour, incertaine. Le mot même de « compagnonnage » apparaît seulement au xixe siècle. Il est alors choisi pour remplacer le terme un peu abscons de « devoir », qui désigne l’ensemble des légendes, symboles et coutumes en vigueur dans un groupe d’ouvriers ou d’artisans dénommés « compagnons ». Des ouvriers auraient- ils ainsi décidé de se regrouper et de s’entraider. Pourquoi ? Et à quelle époque ?
UNE ORIGINE À CHERCHER À L’OMBRE DES CATHÉDRALES
Faute de ressources documentaires fiables avant l’époque moderne, les hypothèses sur la naissance du compagnonnage sont multiples. La plus communément admise nous entraîne sur les chantiers des cathédrales des
xiie-xiiie siècles. Élever ces édifices aux proportions majestueuses nécessitait de disposer d’une main-d’oeuvre toujours plus importante. À tel point que sur de nombreux chantiers, les ouvriers locaux, membres des corporations urbaines, ne suffisaient plus. Face à la pénu-
rie, les maîtres d’oeuvre se seraient donc tournés vers les talents extérieurs. Des ouvriers, essentiellement des tailleurs de pierre, auraient alors traversé la France et l’occident pour offrir leurs services sur les grands chantiers. Progressivement, ces hommes déracinés, souvent considérés comme des étrangers, auraient développé un système d’entraide et d’assistance. Ils auraient mis au point des langages codés pour se transmettre les savoirs, des cérémonies de réception pour les nouveaux membres, ils auraient établi des étapes de repos sur les chemins, donnant ainsi naissance au compagnonnage. À l’appui de cette hypothèse, un vitrail de la cathédrale de Chartres datant du Moyen Âge présente des tailleurs de pierre, dont certains portent sur la tête un bandeau décoré, qui pourrait s’apparenter au ruban de couleur qu’arborent symboliquement les compagnons tailleurs de pierre.
LA CRÉATION D’UN SYNDICALISME OUVRIER AVANT L’HEURE
Au- delà de la piste des chantiers des cathédrales, une autre est à chercher dans le contexte économique de la fin du Moyen Âge et du début de la Renaissance. À cette époque, le pouvoir tente d’empêcher le développement de mouvements ouvriers, indépendants des communautés des métiers sédentaires. De nombreuses ordonnances royales sont d’ailleurs prises en ce sens. Qui plus est, les corporations se ferment de plus en plus aux ouvriers itinérants, les obligeant à se regrouper pour défendre leurs droits et leurs salaires. Le mouvement compagnonnique serait ainsi apparu pour faire face à des pratiques oligarchiques au sein des chantiers, notamment en réaction à la transmission héréditaire des charges de maîtres.
TAILLEURS DE PIERRE, MAIS AUSSI IMPRIMEURS, CORDONNIERS…
Le mouvement compagnonnique, attesté et documenté dès le xvie siècle, n’a jamais été monolithique. Passé l’époque médiévale où il aurait essentiellement concerné les métiers du bâtiment, il connaît un essor fulgurant en touchant de nombreux métiers qui développèrent chacun leurs propres codes. Alors que les guerres de Religion ont provoqué une scission entre compagnons catholiques (« Dévorants ») et compagnons protestants (« Gavots »), l’église devient suspicieuse car certains rites compagnonniques reprennent des thèmes chrétiens. La résolution dite « sentence de la Sorbonne » de 1655 condamne les compagnons pour leurs « pratiques impies, sacrilèges et superstitieuses » ! Qu’importe, le mouvement croît – un ouvrier sur trois sera bientôt compagnon –, et ce, malgré Colbert qui protège les patrons.
LE RENOUVEAU DU COMPAGNONNAGE AU XXE SIÈCLE
Ce que les corporations, l’église ou le pouvoir n’ont pas réussi à faire, le machinisme et la révolution industrielle vont quasiment le réaliser : à la fin du xixe siècle, le compagnonnage est en passe de s’éteindre, d’autant plus que le syndicalisme moderne apparaît et prend le relais dans la défense des ouvriers. Heureusement, le mouvement connaîtra une renaissance au xxe siècle, en assumant prioritairement une mission de formation professionnelle.