Detours en France Hors-série

LE GUIDE DU PÈLERIN

- TEXTE DE HUGUES DEROUARD

Au xiie siècle, le moine Aimery Picaud se rend depuis Parthenay-le-Vieux jusqu'à Compostell­e. À son retour, il rédige une sorte de guide pratique à l'usage du pèlerin. C'était

la première fois que les itinéraire­s compostell­iens étaient mis par écrit.

Aimery Picaud entreprend le voyage à Compostell­e et, sur commande de l’archevêque compostell­an, rédige à son retour, vers 1140, son Guide du pèlerin à SaintJacqu­es, qui le fera passer à la postérité. Ce précieux récit se trouve dans le Livre V du Codex Calixtinus (ou Liber Sancti Jacobi). Un manuscrit est conservé dans les archives de la cathédrale de SaintJacqu­es-de-Compostell­e. Même si beaucoup de mystères entourent l’auteur, « c’est sans doute un pèlerin plein de dévotion, souhaitant partager son enthousias­me avec les fidèles, et les faire bénéficier de son expérience personnell­e », éclaire Xavier Barral i Altet, professeur d’Histoire de l’art du Moyen Âge, pour qui « cette oeuvre apparaît comme destinée à intensifie­r le mouvement vers Saint-Jacques. » Guide touristiqu­e avant la lettre, ce livre, recommandé par le pape Innocent II, présente les routes françaises empruntées par les pèlerins : Via Tolosana, Via Podiensis, Via Lemovicens­is, Via Turonensis. Elles se rejoignent en Espagne à Puente la Reina, d’où part le Camino Francés.

L’auteur détaille les étapes, cite le nom des villes traversées, les grands hospices, dresse la liste des lieux saints au long des Chemins et les reliques que le « vagabond de Dieu » doit honorer. Il fournit conseils et mises en garde: « Bien des fois, après avoir reçu l’argent, les passeurs font monter une si grande troupe de pèlerins que le bateau se retourne. (…) Alors les bateliers se réjouissen­t méchamment, après s’être emparés des dépouilles des morts. »

Mais le plus étonnant du Guide réside dans la descriptio­n de l’auteur des « pays » traversés et du « caractère » de leurs habitants. Le moine vante les habitants du Poitou, « élégants dans leur façon de se vêtir, beaux de visage, spirituels, très généreux, larges dans l’hospitalit­é.» Point de vue bientôt très différent avec les Gascons : ils sont « légers en paroles, bavards, moqueurs, dépravés, ivrognes, gourmands, mal vêtus de haillons et sans le sou. » Plus loin, il décrit ainsi ceux qui habitent au pied des Pyrénées: « La férocité de leur visage et, semblablem­ent, celle de leur parler barbare épouvanten­t le coeur de ceux qui les voient. » De l’autre côté des Pyrénées, qu’Aimery Picaud franchit par le port de Cize, « si haut qu’il paraît toucher le ciel », le pire l’attend. Les Navarrais sont un « peuple barbare, (…) plein de malice, noir d’aspect, horrible à voir… ». Et la liste n’est pas terminée !

En Galice, « il y a des forêts, des fleuves, des prés, des vergers, des fontaines d’eau pure et de bons fruits. Mais peu de cités, de villes et de hameaux. Les Galiciens, plus que tous les autres peuples incultes d’Espagne, sont ceux qui s’approchent le plus de notre nation française, mais ils sont coléreux et chicaneurs. » Heureuseme­nt, le moine Aimery Picaud semble enchanté par la fin de son pèlerinage. Il chante les louanges de « la très excellente ville de l’Apôtre, pleine de délices, qui a la garde du précieux corps de saint Jacques et qui est reconnue pour cela comme la plus heureuse et la plus noble de toutes les villes d’Espagne. »

Ce texte incroyable est d’un grand intérêt, non seulement parce qu’il porte pour la première fois par écrit les principaux itinéraire­s du pèlerinage – ceux aujourd’hui encore les plus fréquentés et inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco – mais aussi parce qu’il est personnel et nous donne le point de vue d’un homme sur son époque et ses contempora­ins.

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de Saint-Jacques-de-Compostell­e. En France, il a été redécouver­t en 1938, grâce à la traduction
de la philologue Jeanne Vielliard.
Le Livre V du Codex Calixtinus, rédigé entre 1139 et 1140, est conservé dans les archives de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostell­e. En France, il a été redécouver­t en 1938, grâce à la traduction de la philologue Jeanne Vielliard.

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