CHARTRES
LA LUMIÈRE INTÉRIEURE
On l’aperçoit de loin, ses mâts aigus piqués dans le ciel de l’Eure-et-Loir, phare guidant les pèlerins depuis neuf siècles… Mais sa lumière est intérieure, née d’un déploiement inégalé de vitraux chatoyants et d’un souffle mystique tenace. Classique par excellence, Notre-Dame de Chartres est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979.
La cathédrale de Chartres n’est ni la plus grande, ni la plus haute, ni la plus ancienne de France. Mais elle fait date dans l’Histoire du gothique par son équilibre et sa symétrie. Le plan en croix latine dit « chartrain », pourtant déjà utilisé à Soissons et à Meaux, va demeurer le modèle idéal des grandes cathédrales : à deux collatéraux, large choeur à double déambulatoire et chapelles rayonnantes, élévation linéaire sur trois niveaux, grandes arcades, triforium et fenêtres hautes, long transept amplifié par des bas-côtés et deux grands porches ouvragés aux extrémités.
LA DEMEURE DE DIEU SUR TERRE
L’ensemble, rapidement bâti entre 1195 et 1260, ne va pourtant pas sans hésitations et irrégularités. Ainsi, sur les neuf tours prévues, deux seulement verront le jour. La chapelle Saint-Piat, forteresse miniature, a été ajoutée plus tard, vers 1335. Une idée forte domine la construction, que l’on retrouve dans les sermons de l’époque. Celle de la Jérusalem céleste, décrite dans le Livre des Prophètes et l’Apocalypse de Jean. Une ville idéale plus chatoyante qu’un trésor d’Ali Baba, avec douze portes de perle, « une cité d’or pur, transparent comme du verre » et des murailles ornées de pierres gemmes. Pour les théologiens d’alors, il s’agit d’une figuration spirituelle, à l’usage des fidèles, de la demeure de Dieu sur la Terre. Et pour s’en approcher concrètement, rien ne vaut le vitrail. Sur ce point, la cathédrale chartraine détient, avec 2500 m2 de verrières, un record: il s'agit du plus important ensemble au monde de vitraux du xiiie siècle, et même du xiie pour certains. Il est vrai que,
lors des deux guerres mondiales, on a pris le temps de les démonter pour les mettre en lieu sûr… Leurs couleurs, dont le fameux « bleu de Chartres», font l’admiration de tous. Le soleil rasant de l’aube et celui du crépuscule, surtout, y font merveille. À ce sujet, l'écrivain Joris-Karl Huysmans est prolixe: « Le génie du Moyen Âge avait combiné l’adroit et le pieux éclairage. (…) Très sombre (…) dans les avenues de la nef, la lumière fluait mystérieuse et sans cesse atténuée le long de ce parcours. Elle s’éteignait dans les vitraux, arrêtée par d’obscurs évêques, par d’illucides Saints qui remplissaient en entier les fenêtres. (…) Puis, arrivé au choeur, le jour filtrait dans les couleurs moins pesantes et plus vives, dans l’azur des clairs saphirs, dans des rubis pâles, dans des jaunes légers, dans des blancs de sel. L’obscurité se dissipait, après le transept, devant l’autel; au centre de la croix même, le soleil entrait dans des verres plus minces, moins encombrés de personnes. (…) La forêt était devenue une immense basilique, fleurie de roses en feu, trouée de verrières en ignition, foisonnant de Vierges et d’Apôtres, de Patriarches et de Saints. » (La Cathédrale, 1915).
UNE MIRACULEUSE INSPIRATION
La Vierge, omniprésente, est chez elle en ce lieu depuis la nuit des temps. S’il faut en croire une chronique de 1389, l’église aurait été fondée « avant la naissance du Christ, en l’honneur de la Vierge qui devait enfanter ». La crypte de Fulbert, qui suit en sous-sol le contour de la cathédrale, autour d’une crypte-tombeau encore plus ancienne, seraitelle l’héritière d’une grotte sanctuaire à la « déesse-mère » ? Son lien avec la Vierge s’est en tout cas renouvelé avec éclat au xiie siècle. On vénérait alors à Chartres, depuis plus de trois siècles, une « chemise » de Marie rapportée par Charlemagne de son pèlerinage à Constantinople. Lorsque se déclara le grand incendie de 1194, quelques chanoines se précipitèrent pour sauver la relique, et, cernés par les flammes, se réfugièrent au plus profond de la crypte. On les croyait perdus quand ils émergèrent de leur abri, trois jours plus tard. C’est dans l’enthousiasme de ce miracle que fut conçue la nouvelle cathédrale, celle que l’on connaît. La ferveur mariale n’a guère décru depuis, et lui a permis de nous parvenir intacte, moyennant un incessant travail d’entretien. Depuis 2009 ont été réalisés de nombreux travaux de restauration. L’intérieur a subi une campagne de restitution des couleurs sur les murs et les voûtes, tandis que la façade occidentale et les portails de la façade nord ont été restaurés. Rien n’a changé depuis le Moyen Âge: il faut toujours jongler entre les chantiers permanents, les visiteurs et les exigences du culte…