SAINT-JACQUES
L'ENTRÉE DANS LA CATHÉDRALE
C’est par la Puerta del Camino que, comme des millions de gens depuis des siècles, nous entrons dans cette ville où reposerait l’apôtre Jacques. « La plus heureuse et la meilleure de toutes les villes d’Espagne », selon le moine Aimery Picaud (xiie siècle). Cette « rose mystique de pierre » pour l’écrivain galicien Ramón del Valle-Inclán (1866-1936). Santiago, capitale historique de la Galice, est une ville de 96000 habitants, étudiante, vivante, commerçante. Difficile de se repérer dans le dédale des ruelles, même avec un plan. Mais on finit toujours par arriver place de l’Obradoiro! La façade baroque de la cathédrale, qui nous ferait presque oublier que nous nous trouvons face à une basilique romane (sa construction commença en 1075 sur le modèle des grandes églises de pèlerinage et s’acheva en 1122), rivalise avec l’hôtel Renaissance des Rois catholiques, à côté.
Pour qui a marché dans la nature pendant des semaines, la frénésie urbaine peut rebuter ! Touristes et pèlerins du monde entier affluent chaque jour par milliers pour se recueillir sur le tombeau de l’apôtre. Un parfum de fête flotte dans l’air, accompagné par les joueurs de cornemuse galicienne. Place de l’Obradoiro, certains se font prendre en photo – payante! –, aux côtés d’un faux saint Jacques posté devant la cathédrale, au milieu de la foule. Des vendeurs ambulants proposent des porte-clés en forme de coquilles. Un vrai business…
Nous osons à peine franchir le seuil de la cathédrale, tant elle en impose. Sous les hautes voûtes romanes, il y a du monde. Quel brouhaha pour un lieu sacré ! Des fidèles, alignés en file indienne, patientent en bavardant. Ils attendent pour donner l’Abrazo, un baiser à saint Jacques. À sa statue, tout du moins. Tenant le bourdon et la gourde d’or, elle est installée au coeur d’un autel encombré de dorures. Certains pèlerins, en la voyant, ont été touchés par une grâce exceptionnelle. Guillaume d’Aquitaine, lui, a rendu son dernier souffle sur le tombeau de l’apôtre au terme de son pèlerinage, le 9 avril 1137… Un escalier étroit mène à la crypte. Ambiance différente dans ce lieu sombre et austère. Un jeune Espagnol est agenouillé. La tête entre les mains, il se recueille profondément. C’est là, dans un reliquaire en argent, posé sur un catafalque, que les ossements de saint Jacques sont conservés.
Avant d’entrer dans la nef, les pèlerins accomplissent un rituel, au pied du porche de la Gloire (1188). Chacun à leur tour, tout en priant, ils placent leur main dans les cinq trous creusés, au fil des siècles, dans le trumeau. Puis ils se baissent pour toucher trois fois du front la statue d’un personnage à genoux. Qui estil ? Est-ce l’architecte du porche ? Nul ne sait. Pour tous, il est devenu le saint aux Bosses (« Santo dos Croques »). Il aurait la vertu, dit-on,
d’augmenter les capacités intellectuelles. Manuel est étudiant. Il est arrivé, il y a deux jours, de Madrid. En accomplissant ce rite, il semble troublé, comme pris d’un vertige. Il nous confie : « C’est un jour important pour moi. Je vais pouvoir écrire sur mon curriculum vitae que j’ai effectué une partie du pèlerinage! »
Ultime étape du Chemin : faire tamponner une dernière fois sa créanciale et retirer la Compostela au Bureau des pèlerins, dont l’accueil glacial, presque mécanique, en a déstabilisé plus d’un. Annie, 62 ans, que nous avons rencontrée au Puyen-Velay, avait alors révélé: « L’arrivée à Saint-Jacques fut une immense déception. Une fois là, il n’y a plus de possibilité pour poursuivre le Chemin. Je ne savais plus où marcher, j’étais déboussolée. Perdue… » Il existe une solution : séjourner un temps sur place, afin d’apprivoiser cette très belle ville, ses ruelles dallées de granit, ses 46 églises, ses 114 clochers et ses 88 autels. Le Chemin s’arrête-t-il vraiment sur cette place de la cathédrale? La borne zéro ne marque-t-elle pas un début plutôt qu’une fin? Nous laissons la conclusion à Annie : « J’ai grandi ».