Sur le terrain…
AVEC LES PREMIERS SCIENTIFIQUES
Une fois réglés les problèmes juridiques et financiers impliquant ses propriétaires et inventeurs, l’étude scientifique de la grotte Chauvet peut commencer. Le ministère de la Culture lance un appel d’offres auquel Jean Clottes répond par une proposition humble et responsable : les recherches d’aujourd’hui ne doivent en aucun cas nuire à celles de demain.
Les premières heures consacrées au repérage sommaire de la grotte laissent aux archéologues une sensation vertigineuse.
Les gravures et peintures qu’ils découvrent sont dans le même état de fraîcheur que si les artistes aurignaciens venaient de quitter la grotte, après avoir entendu arriver les spéléologues du xxe siècle de notre ère. Les empreintes de pas visibles au sol pourraient dater d’hier; tel dessin tracé au doigt dans de l’argile molle – comme sur la buée d’une vitre ou le sable humide d’une plage – est si frais que des particules sont près de tomber.
Ce qui surviendrait si on les touchait, mais elles sont là depuis plus de 30000 ans parce que personne ne les a approchées. Dans ce hibou ou ce petit cheval, on voit l’écartement des doigts de leur auteur, la morphologie de leur main, et on pourrait même relever des empreintes digitales ! Et que dire des traces laissées sur les parois par les torches qui y ont été frottées afin de raviver leur flamme? De ces foyers laissés en l’état après avoir servi à éclairer et à fabriquer les charbons de bois qui servaient de fusain pour dessiner? Tout était là, intact, disponible, pour permettre aux chercheurs de cerner le quotidien des hommes qui vécurent dans la vallée de l’Ardèche 30000 ou 40000 ans auparavant. Du moins cela se concevait-il en l’état des connaissances de l’époque et des moyens techniques. Mais justement, d’ici à quelques années, entre l’avancement inéluctable de la recherche et l’accélération vertigineuse des progrès technologiques, de nouveaux axes d’investigation et des points de vue encore inexplorés ne risquent-ils pas d’apparaître, avec de nouveaux outils pour y travailler? L’exploration complète de la grotte et l’analyse de ce qui serait trouvé devaient donc s’effectuer sans provoquer la moindre oblitération des lieux. Ce principe exigea des procédés stricts. D’abord, la mise en place d’échelles et de passerelles en acier inoxydable composant un cheminement dont il n’était pas même envisageable de s’écarter. Et dans le même temps, la construction d’un sas d’accès à la grotte, pour empêcher l’intrusion d’éléments extérieurs: particules, champignons… risquant d’en modifier l’atmosphère.
Enfin, il fut décidé de limiter la présence humaine dans la grotte. Les recherches furent donc programmées au rythme de deux campagnes de quinze jours par an – en mai et en octobre parce que, à ces époques, l’atmosphère de la grotte paraissait moins sensible aux perturbations. Le nombre de personnes simultanément présentes se vit aussi restreint, tandis que – pour la sécurité des chercheurs cette fois – les émanations de gaz carbonique et de radon étaient prises en compte.
Un stupéfiant fac-similé
En fait, l’éventail d’informations que la grotte Chauvet était susceptible d’apporter à l’humanité sur elle-même paraissait si vaste qu’une recherche multidisciplinaire s’imposait, faisant appel aux meilleures compétences du monde entier. Jean Clottes réunit donc une équipe de quarante spécialistes en disciplines autres que l’archéologie: ethnologues, éthologues, anthropologues, spécialistes des pollens, des charbons, des champignons, historiens de l’art, artistes plasticiens… furent ainsi convoqués. Dans le même temps, un Comité international de 26 conseillers scientifiques représentant dix pays fut lancé, ceci à des fins de collaborations ponctuelles, mais aussi pour diffuser rapidement les premiers résultats des travaux et apporter des informations nouvelles.
Les préoccupations des chercheurs étaient par ailleurs guidées par la réflexion suivante: tous ces travaux étant financés par des fonds publics, leurs résultats devaient faire l’objet d’une large diffusion. En 2015, l’ouverture d’un stupéfiant fac-similé de la grotte constitue la meilleure mise en application de ce principe.