LES MARCHES DE BRETAGNE :
CHÂTEAUBRIANT, CLISSON, ANCENIS, VITRÉ, ON A RETROUVÉ LA FRONTIÈRE PERDUE
DÈS LE DÉBUT DU XVIE SIÈCLE, JEAN DE LAVAL FAISAIT BÂTIR DANS L’ANCIENNE BASSE-COUR UN NOUVEAU PALAIS RAFFINÉ ET DES COLONNADES À L’ITALIENNE DONT L’ÉCLAT ÉCLIPSA À JAMAIS LES VIEUX MURS
Entre un duché de Bretagne farouchement indépendant et un royaume de France gourmand, il fallait une « ligne Maginot ». Jalonnées de puissantes forteresses, les marches en ont longtemps tenu lieu – du viiie au xve siècle – de la baie de Bourgneuf à celle du Mont-saint-michel. Voilà qu’elles ressortent de l’oubli.
Les marches de Bretagne, où se trouvent- elles exactement? À Châteaubriant, en 2010, une exposition avait fait toute la lumière sur cette ancienne frontière effacée en 1488 (par l’annexion du duché au royaume de France). On y apprenait comment, durant tout le Moyen Âge, les ducs bretons ont maintenu cette zone tampon large d’une cinquantaine de kilomètres, destinée à amortir les assauts de voisins trop envieux ; comment à partir du xiie siècle, ils y ont essaimé de puissantes forteresses ; combien de privilèges il leur fallut concéder aux populations pour les convaincre d’en supporter l’insécurité chronique ; comment enfin les marches sont devenues des zones d’échanges diplomatiques, culturels et économiques, entretenues par des foires et marchés florissants. Autant que les châteaux, halles ou greniers à sel en témoignent… Au centre de ce
dispositif défensif, donc, Châteaubriant dressait son gros donjon carré de schiste roux derrière une enceinte mal conservée. Tombé parmi les premiers pendant la campagne de conquête de 1488, le château s’est vite détourné des rigueurs militaires. Dès le début du xvie siècle, Jean de Laval faisait bâtir dans l’ancienne basse-cour un nouveau palais raffiné et des colonnades à l’italienne dont l’éclat éclipsa à jamais les vieux murs. D’emblée associé à Châteaubriant dans ce projet de renaissance frontalière, le château de Clisson, au sud du département, était lui aussi un pivot. Fief du fameux Olivier de Clisson, frère d’armes de Du Guesclin, puis résidence favorite du dernier duc, François II, il connut des fêtes splendides et excita force convoitises. Ses défenses, sans cesse améliorées depuis sa construction au xiiie siècle, ne cédèrent pourtant qu’avec les guerres de Vendée, en 1793. À l’orée du xixe siècle, il n’est plus qu’une carcasse de calcaire blond campée sur un éperon rocheux. Vide, mais toujours impressionnante.
ANCENIS REVU ET CORRIGÉ Avant d’arriver là, on aura croisé sur la Loire deux autres de ces sentinelles, aux destins spectaculairement divergents. La première est Ancenis : un très curieux château, tant pour son système inédit de pont-levis intérieur avec galerie en chicane, que pour sa silhouette : les deux tours du châtelet d’entrée, beaucoup plus larges que hautes, ont l’air d’avoir été enfoncées dans le sol d’un coup de maillet géant, et des pavillons incongrus sont posés au-dessus ! Ceci explique peut-être qu’il ait fallu patienter jusqu’en 1977 pour voir le château d’ancenis classé monument historique, mais certainement pas le projet actuel, d’implanter, au beau milieu de constructions du xvie siècle, un bâtiment administratif aussi moderne que quelconque ! Quel contraste avec notre second exemple, le château ducal
LE CHÂTEAU DE CLISSON, AU SUD DU DÉPARTEMENT, ÉTAIT UN PIVOT. FIEF DU FAMEUX OLIVIER DE CLISSON, FRÈRE D’ARMES DE DU GUESCLIN, PUIS RÉSIDENCE DU DERNIER DUC, FRANÇOIS II, IL CONNUT DES FÊTES SPLENDIDES ET EXCITA FORCE CONVOITISES
de Nantes, dont l’éblouissante restauration s’est achevée à grands frais en 2007. Ne vous laissez pas aveugler par la blanche splendeur des logis Renaissance, les bases féodales sont encore nettement lisibles dans l’enceinte ou la tour du Vieux Donjon. Il y traîne même quelques souvenirs de remparts gallo-romains. Au nord de Châteaubriant, les forteresses de la marche ont gardé un air plus martial. Passons sur La Guerche-de-bretagne, dont le château déclassé était, dès 1739, balayé par les démolisseurs. Nous voilà à Vitré, qui fêtait en 2009 ses mille ans d’existence. Son château triangulaire aux tourelles piquantes, planté en pleine ville, est l’un des plus imposants de France. Amélioré militairement tout au long du Moyen Âge, il a perdu au xviiie siècle son logis seigneurial Renaissance. Une prison l’a remplacé, puis une caserne : ce qui valut à la forteresse un entretien régulier. Très tôt classé monument historique, le château de Vitré a été restauré dès 1875. Encore plus au nord, la chaîne des forteresses se termine par un autre joyau médiéval : Fougères, calé sur son rocher dans un méandre de rivière, avec assez de douves pour se croire une presqu’île, assez de murailles et de tourelles à mâchicoulis pour s’espérer invincible (voir pp. 40 à 44). |