LES HEURES ET LES JOURS
LA CUISINE AU MOYEN ÂGE
Au Moyen Âge, les hommes étaientils de grands ripailleurs, comme on les a souvent représentés ?
Quand on parle de cuisine médiévale, il est avant tout question de grande cuisine car les traces qui existent concernent surtout l’élite. La figure de ripailleur n’appartient pas à cette gastronomie, qui a d’ailleurs longtemps été décrite comme une « non- cuisine ». C’est une image d’épinal due en partie aux historiens du xixe siècle qui n’ont pas bien analysé les sources. Ils sont tombés sur des recettes avec beaucoup d’épices, de verjus, de vinaigre, d’acidité, et ils ont cru que c’était pour cacher le goût de la viande avariée ! Puis, quand ils ont découvert les menus des banquets avec leurs nombreux plats, ils se sont dit : « Nos ancêtres étaient des ripailleurs ! » Mais on peut constater qu’il y avait bel et bien à cette époque un subtil art culinaire. Évidemment, ce raffinement n’avait rien à voir avec celui d’aujourd’hui.
Si l’on était propulsés lors d’un banquet médiéval, que mangerait- on ?
On serait surtout étonnés par le nombre d’épices dans une même recette ! Les mets étaient très épicés, très acides… alors que l’acidité est presque inexistante dans la cuisine française d’aujourd’hui.
Une cuisine exotique, donc ?
En effet. Les aromates suggèrent toujours l’exotisme. Il y avait tout un commerce des épices qui transitait notamment par Venise, en lien avec les caravanes du monde arabe. On allait les chercher de l’autre côté de la Méditerranée, et certains pensaient même qu’elles venaient du monde de Dieu, du paradis. La grande cuisine du Moyen Âge est la même à peu près partout dans les cours européennes. Mais on note néanmoins quelques différences : la Cour française adorait l’acidité et certaines épices, comme la cannelle ou le gingembre, alors que les Anglais et les Italiens préféraient des mets beaucoup plus doux, légèrement sucrés. Les épices coûtaient très cher ; seules les élites pouvaient en acheter une grande variété. On voit donc mal comment un roi, un duc ou seigneur aurait mangé une viande avariée alors qu’il pouvait s’offrir des condiments aussi onéreux ! L’animal était sûrement sacrifié peu avant sa consommation.
On dit parfois de la cuisine médiévale qu’elle était diététique… Vrai ou faux ?
Les sauces ne comprenaient pas de matière grasse. C’était surtout un mélange d’épices que l’on transformait en poudre que l’on mouillait avec du vinaigre, du verjus ou du vin, et que l’on liait en général avec du pain. Toutefois, cela n’empêche pas qu’avec la viande rôtie, par exemple, on utilisait aussi la graisse dans les plats…
La religion avait- elle une influence sur l’alimentation au Moyen Âge ? Oui, dans le sens où les préceptes religieux chrétiens ont déterminé des jours à viande et des jours à poisson (le mercredi, le vendredi et le samedi, sans parler du Carême) : on parlait alors de jours gras et de jours maigres. Ces préceptes marquaient profondément la société européenne et toute l’organisation des métiers de l’alimentation tournait autour de cela.
Que sait-on de la nourriture du peuple ? C’est difficile de savoir précisément ce que mangeaient les gens des campagnes ; on a plus de sources pour les citadins. Il existait notamment dans le Paris médiéval des spécialistes du « prêt-à-manger ». La majorité de la population n’avait en effet pas les moyens de se faire la cuisine, car elle vivait dans des espaces réduits, et acheter du bois coûtait très cher. De plus, on avait une grande peur des incendies. Par conséquent, pour se nourrir, le peuple de Paris s’adressait à des professionnels de l’alimentation. Parmi eux figuraient ceux qui rôtissaient les viandes, à l’exemple des oies (très appréciées), les gaufriers, les « potagiers », les pâtissiers (qui confectionnaient toute préparation à base de pâte : on aimait beaucoup les petits pâtés de viande ou de poisson), et quantité de petits métiers ambulants. En ville, l’alimentation au Moyen Âge était somme toute assez diversifiée, et cela s’accentuera avec le temps.
Qui étaient les grands chefs ? Essentiellement des hommes, dont le plus connu est Taillevent (cuisinier sous Charles V et Charles VI à qui l’on attribue le Viandier, un des premiers recueils de recettes de cuisine en langue française). Ceci s’explique par le fait que la brigade de cuisine est d’abord liée à la Cour, qui a longtemps été itinérante et construite sur un mode militaire avec une forte hiérarchisation – que l’on retrouve de nos jours dans la grande cuisine avec le chef, le souschef, le commis, etc. Les femmes sont plutôt cantonnées à la réalisation des plats familiaux. Notre cuisine moderne est- elle influencée par le passé ? La période et la cuisine médiévales intéressent tout le monde, comme on peut le constater avec le nombre de fêtes et de banquets médiévaux qui se déroulent en France… Certains chefs n’hésitent pas, au demeurant, à regarder les mets et les menus de cette époque et s’en inspirent pour créer des recettes contemporaines. Prenons l’exemple du lait d’amandes, qui remplaçait le lait que l’on ne pouvait pas consommer les jours maigres et aussi utilisé comme « potage pour les malades » : des chefs ont depuis quelques années transformé ce breuvage en sorbet ou en glace ! Cela dit, je ne pense pas que des recettes médiévales nous soient parvenues intactes. Elles auront probablement été modifiées, au gré de l’évolution des goûts et des techniques culinaires. |
Propos recueillis par H. Derouard.
IL Y AVAIT UN COMMERCE DES ÉPICES QUI TRANSITAIT PAR VENISE, EN LIEN AVEC LES CARAVANES DU MONDE ARABE. CERTAINS PENSAIENT QU’ELLES VENAIENT DU PARADIS