BONAGUIL
LA FORTERESSE INUTILE
Les châteaux se dressent nombreux sur les hauteurs
dominant la vallée du Lot. L’insolite Bonaguil, perché dans toute sa gloire intacte à l’ouest de Cahors, est de loin le plus abouti. Une leçon d’art militaire perdue, qui n’eut d’autre objet que de panser un orgueil blessé.
Il n’y a pas plus fière vision que ce faisceau serré de hautes tours blondes, fiché parmi les collines veloutées de châtaigneraies, sur un promontoire entre deux vallons. Viollet- le- Duc, qui, dans les années 1860, découvre Bonaguil comme nous aujourd’hui, par la petite route de Fumel, le décrit « entouré d’escarpements, accessible d’un seul côté » . Séduit, il le fait illico classer et rafistole ce château fort du Lot-et-garonne… UN DES EXEMPLES LES PLUS ABOUTIS D’ARCHITECTURE MILITAIRE MÉDIÉVALE À l’origine, il y avait là une dent de pierre percée d’une grotte – d’où ce nom de Bona acus, bonne aiguille – remplacée au xiiie siècle par un castel minimaliste, une grosse tour épousant la forme en fuseau du rocher. À partir du siècle suivant, le site passe aux mains des Roquefeuil, alors une des plus puissantes familles du Midi, régnant sur près de vingt châteaux. Chaque génération ajoute sa pierre, plus ou moins considérable, à l’édifice. Bérenger de Roquefeuil, qui hérite de la place en 1483, va se prendre de passion pour le château, et en dépit du décret royal interdisant les fortifications privées, le renforcera sans relâche pendant plus de quarante ans. En un temps où l’on ne jure que par les logis d’agréments, les larges baies et les élégances de la Renaissance, il produit là l’un des exemples les plus aboutis d’architecture militaire médiévale : une défense concentrique, organisée autour du donjon initial, deux enceintes emboîtées, une chicane d’accès diabolique, une barbacane en demi-lune,
ANACHRONIQUE ET MÉGALO, CE DÉFI DE PIERRE N’EXPRIME QUE LA RAGE D’UN BARON FÉODAL FACE À LA FIN D’UN MONDE
un total de treize tours dont la plus haute culminait à quarante mètres (ving-neuf aujourd’hui), pas moins de sept ponts-levis commandant l’entrée et la circulation dans la forteresse, et pour s’adapter aux nouvelles exigences de l’artillerie, plus de cent embrasures pour couleuvrines ménageant tous les angles de tir, rasants, plongeants, croisés… Les encorbellements de créneaux, en pyramide inversée, sont conçus pour résister aux boulets, et on trouve même au creux du fossé une caponnière (petit ouvrage servant à défendre un fossé), qui servit longtemps de poulailler. Bref, Bonaguil est inexpugnable. Mais aussi dépourvu d’intérêt stratégique. Si ses murs arborent quelques cicatrices, il n’aura été d’aucun conflit sérieux. Anachronique et mégalo, ce grand défi de pierre n’exprime que la rage d’un
baron féodal face à la fin d’un monde. Ce que traduit la citation, réelle ou arrangée : « J’eslèveroi un castel que ni mes vilains subjects ne pourront prendre, ni les Anglais [… ni] même les plus puis
sants soldats du Roy de France. » Des « vilains sujets » le pilleront, certes, à la Révolution, mais la légende veut que d’autres l’aient sauvé de la destruction au prix de quelques bonnes bouteilles. La rancune du peuple n’est donc pas si tenace. | Bonaguil. Rens. à la mairie, 47500 Fumel. 05 53 71 90 33. Entrée, 8 €. www.chateau-bonaguil.com.