ISULA, TERRE POLYPHONIQUE
On peut être l’un des tout premiers géographes du monde, le Grec Strabon de l’époque d’auguste, et se fourvoyer gravement sur la nature de ce que l’on découvre. Ainsi, de Kallisté, il ne vit qu’un « … pays affreux à habiter, vu la nature âpre du sol et le manque presque absolu de routes praticables, qui fait que des populations, confinées dans les montagnes […] sont plus sauvages que des bêtes féroces ».
Des siècles plus tard, les grands romantiques ne furent guère plus clairvoyants et inspirés. Emmenés dans le sillage de Prosper Mérimée, la majorité des écrivains-voyageurs se complurent dans l’imagerie dégoulinante de folklore romantique de l’auteur de Colomba ou de Mateo Falcone. C’était désormais entendu, l’isula – l’île, l’isolement – ne pouvait qu’être irriguée d’une violence archaïque, subissant la loi de la vendetta, le tout dans des paysages exacerbés par la sauvagerie des éléments. De quoi faire se retourner dans sa tombe Pascal Paoli, patriote corse qui sollicita le philosophe Jean-jacques Rousseau pour rédiger un très novateur et révolutionnaire « Projet de Constitution pour la Corse ».
Donc, la Corse. Comme toutes les îles, il faut l’aborder en sachant que l’on met les pieds en terre inconnue, ignorant de certains codes, d’une autre manière d’« être au monde ». Oui, tout étranger est un pinzuttu en puissance. Une situation de fait, mais qui offre à chaque voyageur la liberté d’apprendre, de découvrir, de rencontrer l’autre. Car, oui, les Corses sont ouverts et hospitaliers, l’histoire de Cargèse et de ses migrants le démontre trois siècles avant les événements qui agitent l’europe aujourd’hui.
Au fil de vos escales, au gré de vos rencontres – le sel essentiel de tout voyage – vous découvrirez un tourmenté trait de côtes balisé de ces tours génoises rappelant que les Corses ont toujours suscité de bien grandes convoitises. Et puis, il y a la Méditerranée, toute une « métaphysique solaire » ; des baies et des golfes inoubliables de beauté ; des villages enchâssés dans les plis rocheux du littoral, isolés dans la montagne, perdus dans de vertes vallées, où s’est forgée cette âme insulaire de fierté et de charme subversif entrelacés.
Bien que terriblement galvaudés, les mots secret et intime représentent cependant le viatique de cette balade au fil des côtes (et de ses plages merveilleusement préservées car d’accès souvent peu aisé par voie terrestre) et de l’arrière-pays de l’île de Beauté, entre sommets montagneux, lagunes de la plaine orientale (à tort, grande oubliée des itinéraires touristiques), maquis (a machja) à la résistance époustouflante.
À tous ceux qui se sentent déjà impatients de se mettre en route, n’oubliez pas cette recommandation corse frappée au coin du bon sens : a viaghju longu, passu misuratti (à voyage long, pas mesuré).