CORNOUAILLE
LE PAYS ARDENT ET MAGNÉTIQUE
LE PAYS ARDENT ET MAGNÉTIQUE
Impossible d’échapper à l’océan quand on est du cap Sizun. Ici, l’atlantique guide depuis toujours la vie des habitants… et le quotidien des touristes. Au nord, le littoral, sauvage et vertigineux, est le refuge des marcheurs et de l’avifaune. Au sud, la côte des plages abrite les villégiatures d’été. La pointe du Raz réunit ces deux mondes liés par la pêche, de hameaux en chapelles salvatrices.
L’homme n’est pas fait pour vivre là, pour supporter la nature à haute dose », a écrit Gustave Flaubert à propos de la pointe du Raz dans son récit d’un voyage en Bretagne, Par les champs et par les grèves. Et force est de reconnaître qu’au cap Sizun – nom de la péninsule de Cornouaille – la violence des éléments ferait fuir bien des Terriens. Ils sont là, pourtant, les « capistes », 17 000 environ, qui ont fait de ce territoire « impossible » leur havre de vie. Douarnenez, cité portuaire et ouvrière, déjà, annonce les tourments de la péninsule. La sardine fit ici la fortune des conserveurs – plus rarement des pêcheurs. Non sans remous. À trois heures de mer de l’entrée de la baie, des générations de marins ont traqué ce poisson gras que les ouvrières (les Penn Sardin) serraient ensuite dans des boîtes, à l’usine. Leur révolte, en 1924, contre leurs conditions de travail est restée dans les mémoires. Pas étonnant que cette ville fut la première en France à porter un maire communiste à sa tête, en 1921 ! Les conserveries Connétable (ancienne maison Chancerelle), Petit Navire et Kerbriant sont toujours en activité mais travaillent désormais des poissons venus d’ailleurs, et le déménagement en 2015 de Connétable, présente au coeur de la ville depuis 1853, pour Lannugat, signe un changement d’époque. Toutefois, les fresques à l’étage des halles exaltent cette vie maritime d’autrefois et la revue du Chasse-marée siège encore sur le port.
LES CÔTES ESCARPÉES DU CAP SIZUN
La côte se déploie très vite, sitôt après avoir quitté Douarnenez, une côte de pointes et de falaises, tourmentée et sauvage. Le ciel y est souvent bas et le crachin tenace réveille les senteurs de lande et d’herbe grasse, sous le jaune des ajoncs et le rose printanier des arméries maritimes.
À Douarnenez, cité portuaire et ouvrière, la sardine fit la fortune des conserveurs – plus rarement des pêcheurs.
De l’éminence de Leydé à celle du Van, tout n’est que rochers cisaillés, granits entaillés, verticalité minérale. Le vent en raffole, comme à la pointe du Millier.
De l’éminence de Leydé à celle du Van, tout n’est que rochers cisaillés, granits entaillés, verticalité minérale. Le vent en raffole, comme à la pointe du Millier. L’avifaune, protégée dans la réserve du cap Sizun, aussi… dans le vacarme des vagues.
À LA DÉCOUVERTE DES PORTS-ABRIS
À la pointe de Brézellec, plus avancée que d’autres, les falaises frisent les 100 mètres de hauteur et des fous de Bassan dansent dans les courants ascendants. À celle du Van, l’homme a construit la chapelle Saint-they. À l’abri dans son enclos de pierre, c’est un ultime défi chrétien lancé à la fureur des flots. La pointe de la Chèvre, au large, sur la presqu’île de Crozon, paraît en comparaison presque douce… Sous le soleil, toutefois, l’eau reste froide mais prend un joli ton turquoise. Les ports-abris de Pors Théolen, du Vorlenn, de Bestrée, microscopiques refuges pour embarcations chahutées, deviennent soudain accueillants, tout comme la baie des Trépassés, au nom pourtant sinistre. Parce que la pointe du Raz est un site unique, la foule s’y presse en saison. Non, ce n’est pas l’ultime cap ouest de la France, titre revenant, pour quelques mètres seulement, à la pointe Saint-mathieu. Mais c’est réellement la dernière poussée du plateau continental européen vers le large. Flaubert avait raison, l’homme n’est pas fait pour vivre ici. Sur cette langue plate, la mer vous englobe, vous phagocyte, vous étouffe. Aucune terre à l’horizon, si ce n’est la galette de Sein et les phares-vigies de la Vieille, Tévennec et Ar-men. Il faut être ligneur de bar pour s’aventurer là, comme le fait la petite trentaine de pêcheurs d’audierne, dont c’est le quotidien. Seul à la barre avec ses lignes, le marin danse dans le redoutable raz de Sein. Les vents dépassent souvent les 100 km/h. Observer un frêle esquif franchir, moteur à bloc,
le terrible Trouz Yar, courant d’eau ouvert entre les ultimes rochers du Raz, mérite d’accorder à jamais le respect à tous les pêcheurs du monde.
UNE TERRE DE RÉSISTANCE
En comparaison, la côte sud du cap Sizun paraît presque tranquille. Sauf à Feunten Aod et à Pors Loubous, où la configuration tourmentée des lieux a été source d’aventures. Le monument commémoratif de l’échouage de l’embarcation dans laquelle se trouvait Pierre Brossolette, à Feunten Aod, rappelle que ces ports-abris jouèrent un rôle clef dans l’embarquement et le débarquement secret de résistants, pendant la Seconde Guerre mondiale. Juste à côté, les habitants de Plogoff, lèveront violemment le bouclier à la fin des années 1970 contre le projet nucléaire. Désormais pacifiés, les deux ports accueillent des barques de pêcheurs que l’on remonte vite au treuil, avant les coups de vent. Si l’on parle de littoral tranquille, c’est que passé Plogoff, la côte s’apaise d’un coup. Moins de falaises, plus de plages (anses du Loc’h et du Cabestan…) et un enchaînement de maisons blanches. Au milieu de cette côte plus touristique se tient Audierne, un port qui constitue le centre commercial de la péninsule, à l’embouchure du Goyen. Peu flamboyante, l’économie du cap Sizun rejaillit sur une cité qui a connu des jours meilleurs.
À LA FRONTIÈRE DU PAYS BIGOUDEN
Le Goyen, fleuve côtier, donne enfin l’occasion de découvrir le cap intérieur, en remontant son cours. Tous les capistes ont eu un jour maille à partir avec l’océan. Et même loin des vagues,
l’atlantique a façonné les âmes de ces hameaux en K (Kerlévesq, Kerbrat, Kespern, Kergonvan, Kerennec…). En témoignent ces dizaines de chapelles aux clochers fins, Saint-conogan, Sainttremeur, Sainte-espérance, Sainte-brigitte de Landuguentel, Saint-laurent de Lannourec… On se doute que leurs curés ont invoqué plus qu’ailleurs les foudres divines pour expliquer les naufrages, condamnant leurs ouailles à la contrition éternelle pour des péchés inavouables mais peut-être imaginaires. Même la cité de Pont-croix n’échappe pas au goût de l’océan. Sur le Goyen, le moulin à mer rappelle la force des marées, à l’entrée du vieux quartier de Keridreuff. Depuis le haut village, ancien bastion des seigneurs de Pont-croix et Rosmadec, de jolies voies pavées dévalent vers le fleuve, tel un appel subliminal à rejoindre ensuite l’atlantique… Quelques kilomètres au sud-est d’audierne, la frontière avec le Pays bigouden ne peut être manquée. Après la nécropole mégalithique de la pointe du Souc’h et la grotte de Menez Dregan (on a retrouvé ici une des plus anciennes preuves de la maîtrise du feu par l’homme), le miniport de Pors-poulhan affiche sa fière statue de Bigoudène. C’est la fin subite d’un territoire à grand spectacle, quasi insulaire et à la force magnétique. ß