Detours en France

LA BRETAGNE VERSION BRITANNIQU­E

ENTRE MANCHE, ATLANTIQUE ET MER CELTIQUE

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À l’extrême sud-ouest de la Grande-bretagne, règnent les paysages de bocage aux prairies vert gazon, aux haies immenses et les ports blottis le long d’estuaires cachés. Bienvenue en Cornouaill­es, bouffée de celtitude et de grands horizons, illustrés par la beauté du cap Lizard, de St. Michael’s Mount et de havres minuscules.

Polperro, un port joliment encaissé au fond d’un vallon maritime sur la côte sud des Cornouaill­es. Des maisons pieds dans l’eau ; une minuscule criée, à l’image de ce village de poupée ; un ruisseau discret glissant à l’arrière des cottages ; des mouettes criardes et voraces… Coup de coeur pour ce port intime, incarnatio­n du rivage de cette région anglaise où se succèdent, invisibles depuis les terres, des escales côtières entretenue­s comme des reliques patrimonia­les. Il faut compter au moins trois jours pour profiter du territoire. Le granit de la pointe sud-ouest du Royaume-uni est découpé en tellement de baies, anses et estuaires que suivre le trait de côte prend un peu de temps… D’autant que les routes sont à l’unisson. Ah ! les routes. Il n’y a que les Britanniqu­es qui savent fondre ainsi les signes du progrès dans des paysages ancestraux. Imaginez. Un carroyage de prairies ondulantes couturées de haies, un damier jaune-vert-brun glissant jusqu’au bord des falaises. Là, enfouies entre les talus de séparation, des routes étroites et invisibles. Le dépassemen­t y est impossible, le croisement délicat mais toujours courtois, civilité british oblige. La végétation est parfois si dense que la route glisse dans un tunnel boisé. Autant dire que la vitesse est proscrite. D’autant que le parcours est parfois stoppé net au bord d’un estuaire. Il faut alors embarquer sur un bac, comme à Polruan ou à St. Mawes, l’occasion d’observer un voilier filant tranquille­ment vers une marina – la plaisance chic est ici dans son royaume.

UN CHAPELET DE VILLAGES CÔTIERS

Impossible de raconter tous les villages. Sur l’itinéraire de Looe à Boscastle, qui englobe toute la pointe des Cornouaill­es, les bonnes surprises sont trop nombreuses. Résumons. Looe se love sur les versants de la rivière éponyme. Ce port de pêche actif, aux ruelles bordées de vieilles maisons

chaulées, est très touristiqu­e. Les deux rives sont reliées par un esthétique pont de pierre à sept arches. The Old Lifeboat Station (1866-1930) trône au bout du quai. Fowey, lui, fait face à Polruan, posé autour de l’église anglicane St. Fimbarrus et de sa tour-clocher à pinacles. À la sortie de la messe, on y croise des old ladies en jupes longues et cheveux blancs permanenté­s. Le port, tout en longueur, est fort animé, bercé notamment par le souvenir de la romancière Daphné du Maurier, qui vécut au bord de l’estuaire. Mevagissey entre dans notre « top 3 ». Nous sommes tombés sous le charme de ce bassin « double » quasi fortifié, l’avant et l’arrière-port, seulement séparés par une jetée juste assez large pour accueillir la criée. À marée basse, les petits chalutiers et les barques de pêche reposent sur la vase verte, au-dessous de quelques maisons peintes de couleurs vives. Une carte postale. Quant à St. Ives, c’est un peu le Deauville des Cornouaill­es. Où plutôt son Pontaven. La ville (11 000 habitants) est devenue célèbre grâce aux peintres, séduits par la beauté des plages, la lumière atlantique et les ruelles bordées de maisons à pans d’ardoises et bow-windows. La foule, dense sur les quais aux beaux jours, s’y délecte de hamburgers, d’ice-creams et de sundaes. Des familles pique-niquent sur la plage principale, entre ondées et rais de lumière, protégées des bourrasque­s par des pare-vents piqués dans le sable. Symboles de la fibre artistique de St. Ives, maintes galeries ainsi qu’un Tate Museum, bâtiment en béton dressé face à la plage de Porthmeor, se sont installés.

LES PORTS DU BOUT DU MONDE

Sur la côte nord, deux « villages miniatures » méritent aussi la visite : Boscastle et Port Isaac. Le premier apparaît après une longue route tortueuse dans un vallon forestier. L’expression « bout du monde » lui va bien. L’unique rue, en pente, encadrée de maisons de granit, est prolongée par une rivière et un bras d’estuaire serpentin, au point que l’océan reste caché à la vue du village. Une pépite ! Le second

Des familles pique-niquent sur la plage principale de St. Yves, entre ondées et rais de lumière, protégées des bourrasque­s par des pare-vents piqués dans le sable.

village résume à lui seul l’architectu­re littorale des Cornouaill­es : un port de poche, des maisons du xvie siècle à touche-touche, une petite plage et un hangar curieuseme­nt fortifié, occupé par des mareyeurs qui trient des soles et cassent des pinces de crabes au marteau. Le tout fréquenté par la marée des touristes et dominé par un joli manoir-hôtel.

DANS LES BRUMES DE LA CÔTE NORD

Cette enfilade de ports-abris pourrait laisser croire que la côte est monotone. Erreur ! Les paysages sont changeants. La partie sud, dentelée et dense, fait place au nord à de vastes espaces de champs et de landes. Land’s End en est l’exemple parfait, plateau désolé fréquemmen­t noyé dans la brume. On y croise de rares fermes grises, des pubs dans des hameaux et quelques gentlemen farmers bottés, casquettes anglaises sur la tête. Le St. Agnes Beacon, 192 mètres au dessus de l’océan, livre aussi, entre St. Ives et Newquay, son large mamelon, juste recouvert d’un tapis de bruyère violet ouvert à tous les vents. Les randonneur­s sont aux anges. Une portion du Cornwall Coast Path suit la ligne de côte de Plymouth à Bude, avec des passages ici spectacula­ires (460 kilomètres).

« Nous surveillon­s les marcheurs et les vététistes mais aussi les parapentis­tes et les pêcheurs », sourit Anthea Philips, jumelles pendues sur sa chemisette blanche à épaulettes, installée dans sa cabane-radio tapissée d’une grande carte marine et surmontée de l’union Jack. Volontaire au sein de la National Coastwatch Institutio­n, elle assure des vacations pour surveiller les activités humaines. Car cette côte présente parfois des aspects vertigineu­x.

LES ASSAUTS DE LA HOULE ET DU VENT

À St. Agnes, par exemple, petite anse pour surfeurs de la côte nord, les falaises blanches plongent dans l’océan. Le port a été reconstrui­t six fois, laminé par les tempêtes et les éboule-

ments rocheux. À Tintagel, village fameux associé au roi Arthur – la légende dit qu’il serait né ici –, on imagine aisément que son prétendu château, ruiné au-dessus de falaises cisaillées, a pu subir sans répit les assauts de la houle et du vent. Le cap Lizard symbolise cette confrontat­ion violente entre terre et océan. Pointe la plus au sud du Royaume-uni, célèbre ligne d’arrivée de courses transatlan­tiques, il offre ses murailles noires et grises aux vagues bruyantes de l’english Channel. Miracle de la nature, ce cap en dents de scie, prisé par les touristes britanniqu­es, cache aussi l’une des plus belles et secrètes plages du Royaume-uni : Kynance Cove, sidérante de sable blanc à marée basse.

ST. MICHAEL’S MOUNT, UNE AUTRE « MERVEILLE »

Reste à parler de St. Michael’s Mount. Sa ressemblan­ce avec la Merveille ne tient pas seulement à l’homonymie. Normal, cet îlot rocheux de la pointe des Cornouaill­es a été doté au siècle d’un monastère et d’une église… par les moines bénédictin­s venus de « notre » Mont-saint-michel ! L’allure est plus modeste et le monastère, démantelé au siècle, est devenu château, propriété de lord St Aubyn. Pas de digue comme en Normandie : on s’y rend à pied à marée basse, par une chaussée (causeway) submersibl­e ; et en canot à marée haute. Trente personnes vivent à l’année au bas de ce caillou seigneuria­l, dans de petites maisons accolées à cours fermées. Elles sont employées à l’intendance du château, qui se visite. Lors de notre passage, une maman et son jeune fils, cravate et pull en V aux armes de son école, embarquaie­nt sur une navette chargés de sacs, apparemmen­t habitués à cette logistique quotidienn­e. Nous avons même aperçu l’épouse du lord refermant la porte du jardin du château, une fois le dernier visiteur parti. L’ultime image d’une Angleterre singulière, prompte à préserver ses traditions et à garder intacts ses trésors de nature.

 ??  ?? À Tintagel, haut lieu des légendes arthurienn­es, le chemin qui descend vers les ruines du château du xiiie siècle offre des vues vertigineu­ses sur les falaises plongeant dans la mer Celtique.
À Tintagel, haut lieu des légendes arthurienn­es, le chemin qui descend vers les ruines du château du xiiie siècle offre des vues vertigineu­ses sur les falaises plongeant dans la mer Celtique.
 ??  ?? Le bureau de poste de Tintagel. Cette maison date du xive siècle, mais n’a été utilisée comme bureau de poste qu’à partir du xixe siècle.
Le bureau de poste de Tintagel. Cette maison date du xive siècle, mais n’a été utilisée comme bureau de poste qu’à partir du xixe siècle.
 ??  ?? Plage de St. Agnes. De nombreux amateurs de surf et de paddle se retrouvent dans les criques entre St. Agnes et Newquay pour profiter des brisants de l’atlantique.
Plage de St. Agnes. De nombreux amateurs de surf et de paddle se retrouvent dans les criques entre St. Agnes et Newquay pour profiter des brisants de l’atlantique.
 ??  ?? Ci-dessus et à droite : Port Isaac avec ses maisons de poupée du xviiie siècle, est un village de pêcheurs où se croisent vacanciers et mareyeurs.
Ci-dessus et à droite : Port Isaac avec ses maisons de poupée du xviiie siècle, est un village de pêcheurs où se croisent vacanciers et mareyeurs.
 ??  ?? Sur la côte nord des Cornouaill­es, Boscastle se love au fond d’un vallon si profond qu’on ne voit pas la mer depuis le village. Un long chemin mène au port. À visiter, un étonnant musée de la Sorcelleri­e.
Sur la côte nord des Cornouaill­es, Boscastle se love au fond d’un vallon si profond qu’on ne voit pas la mer depuis le village. Un long chemin mène au port. À visiter, un étonnant musée de la Sorcelleri­e.
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 ??  ?? Au xixe siècle, St. Yves séduisit les peintres pour sa lumière. De nos jours, ce sont ses galeries d’art, ses bars à bières et ses plages pour surfeurs qui attirent les touristes.
Au xixe siècle, St. Yves séduisit les peintres pour sa lumière. De nos jours, ce sont ses galeries d’art, ses bars à bières et ses plages pour surfeurs qui attirent les touristes.
 ??  ?? Mevagissey, un port de pêche resté très traditionn­el. Il est protégé des assauts de la houle par de puissants môles datant du xviiie siècle.
Mevagissey, un port de pêche resté très traditionn­el. Il est protégé des assauts de la houle par de puissants môles datant du xviiie siècle.
 ??  ?? À l’embouchure de la rivière Fowey, vue sur Polruan et sa tour. Au port, des bacs permettent de rejoindre Fowey sur la rive opposée.
À l’embouchure de la rivière Fowey, vue sur Polruan et sa tour. Au port, des bacs permettent de rejoindre Fowey sur la rive opposée.
 ??  ?? À une heure de voiture à peine de Plymouth, le port de Looe, toujours très actif, est la première étape de cette escapade en Cornouaill­es.
À une heure de voiture à peine de Plymouth, le port de Looe, toujours très actif, est la première étape de cette escapade en Cornouaill­es.
 ??  ?? À Fowey, même les façades d’immeubles affichent des couleurs bonbon anglais. Amoureuse des Cornouaill­es, la romancière Daphné du Maurier a vécu dans les environs de Fowey au manoir de Menabilly.
À Fowey, même les façades d’immeubles affichent des couleurs bonbon anglais. Amoureuse des Cornouaill­es, la romancière Daphné du Maurier a vécu dans les environs de Fowey au manoir de Menabilly.
 ??  ?? Le château de St. Mawes (en contrebas), érigé entre 1539 et 1543 par Henri VIII, marque l’entrée des Carrick Roads, un aber qui s’enfonce profondéme­nt dans les terres. Pour aller à Falmouth, sur l’autre rive, mieux vaut prendre le ferry.
Le château de St. Mawes (en contrebas), érigé entre 1539 et 1543 par Henri VIII, marque l’entrée des Carrick Roads, un aber qui s’enfonce profondéme­nt dans les terres. Pour aller à Falmouth, sur l’autre rive, mieux vaut prendre le ferry.
 ??  ?? Entre le cap Lizard et Land’s End, une curiosité : St. Michael’s Mount, un Montsaint-michel en réduction. Le causeway (chaussée submersibl­e) permet d’accéder à marée basse à cet îlot escarpé où des moines bénédictin­s s’installère­nt au xiiie siècle.
Entre le cap Lizard et Land’s End, une curiosité : St. Michael’s Mount, un Montsaint-michel en réduction. Le causeway (chaussée submersibl­e) permet d’accéder à marée basse à cet îlot escarpé où des moines bénédictin­s s’installère­nt au xiiie siècle.
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