Detours en France

LA PRESQU’ÎLE DE CROZON

LA « CROIX » FINISTÉRIE­NNE

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Bordée de caps déchiqueté­s, cette péninsule de schiste et de grès ondule en collines douces sculptées de bocages. La mer y a façonné les hommes et le bâti, bien avant que les sous-marins n’investisse­nt l’île Longue. De Camaret à Morgat, de la pointe des Espagnols à celle de Penhir, balade de sites grandioses en ports des confins.

Toute proche de Camaret-surmer, la pointe du Toulinguet, avec ses rochers auxquels l’érosion a donné des formes étranges, est le verrou sud-ouest du goulet, passage obligé pour tous les bateaux qui se rendent à Brest.

Nous avions pensé partir à vélo, mais nous nous sommes ravisés. Le point culminant – et porte d’entrée – de la presqu’île, le Ménez-hom, n’a beau avoir « que » 330 mètres d’altitude, l’ondulation de collines et de landes battues par des vents contraires – forcément contraires ! – aurait vite transformé l’aventure en galère cycliste. Il faut savoir écouter les coureurs du Vélo Sport de la presqu’île de Crozon… Nous avons opté pour un compromis : la visite avec des roues, certes, mais de voiture… et un alibi cycliste opportun avec une échappée finale en VTT au cap de la Chèvre.

LES LÉGENDES DU MÉNEZ-HOM

Promontoir­e échevelé entre la rade de Brest (au nord) et la baie de Douarnenez (au sud), la presqu’île de Crozon intrigue. Point de granit, ou si peu, la continuité géologique avec les monts d’arrée est ici rompue. À la place, des schistes, des grès, des quartzites, un sol différent où le pin maritime a trouvé son bonheur, colonisant les collines rases de jadis. À écouter les locaux, nous pourrions facilement être victimes de mirages, dans le coin. Crozon est en Bretagne, certes, mais aussi en Irlande, en Écosse, en Méditerran­ée, en Normandie… Depuis le sommet du Ménez-hom, inévitable verrou à contourner pour gagner la presqu’île, la lande désolée imite les Highlands. N’est-on pas là sur les terres d’un personnage légendaire, le roi Marc’h aux oreilles de cheval, monarque de Cornouaill­e ? Au loin, la vue plonge sur un quadrillag­e de verts et de beiges, borné de haies épaisses entre lesquelles céréales et vaches laitières affichent leur plénitude. La Normandie, on vous dit, les pommiers exceptés. Au sud de Morgat, vers la pointe de Saint-hernot, le soleil

Depuis le sommet du Ménez-hom, inévitable verrou à contourner pour gagner la presqu’île, la lande désolée imite les Highlands.

du matin chauffe les versants d’épineux et le GR34® s’alanguit au-dessus de criques secrètes. L’esterel n’est pas loin… Une pluie soudaine ? Les verts reluisent dans les champs comme dans le comté de Galway, en Irlande.

LE CHARME DES ANCIENS PORTS DE PÊCHE

Cette géographie à tiroirs, sanctifiée par le parc naturel régional d’armorique, tient au découpage des côtes (plus de 100 kilomètres) et aux exposition­s cardinales. Elle rend doublement excitante la découverte littorale. Morgat a ainsi gardé un cachet balnéaire xixe siècle, même si les maisons colorées du port lui donnent un air d’escale des lointains. Il y a belle lurette que les thoniers sont partis, remplacés par les bateaux de plaisance. Au nord de la presqu’île, Landévenne­c se niche au fond d’un vallon, dans l’ultime boucle de l’aulne, pourvoyeur fluvial majeur de la rade de Brest. Un charme brut, avec l’église à clocher fin et le petit cimetière marin, posés sur le rivage. Des Finistérie­ns rêveraient, paraît-il, de s’y faire enterrer, au point que le maire a été obligé de freiner leurs ardeurs… Le site de Landévenne­c a été occupé dès le ve siècle par des moines. On peut visiter les vestiges de l’abbaye, plusieurs fois remaniée. Des bénédictin­s occupent un

couvent voisin, nettement plus récent. Pas sûr qu’ils apprécient le cimetière militaire à bateaux, épaves de frégates rouillant à deux pas dans un coude de l’aulne.

Du haut des falaises, des forts plus ou moins ruinés surveillen­t depuis le xvie siècle l’entrée du goulet. Vauban avait ciblé ce lieu et fit édifier une batterie.

LES GARDIENS DU GOULET

Passé Le Fret et sa digue, hôte d’un joli cabanon de chantier naval, l’île Longue rappelle qu’ici sommeille notre force nucléaire sousmarine – ne comptez pas la visiter. Elle précède l’entrée de la pointe des Espagnols, péninsule de landes dirigée vers Brest. Du haut des falaises, des forts plus ou moins ruinés surveillen­t depuis le xvie siècle l’entrée du goulet. Vauban avait ciblé ce lieu et fit édifier une batterie. « Le goulet est à Brest ce que le détroit des Dardanelle­s est à Constantin­ople, c’est la porte d’entrée où tous les navires (…) sont obligés de passer », écrivait-il. Il ne s’en contentera pas. À Camaret-sur-mer, il ordonna en 1693 la constructi­on d’une tour, entourée d’une batterie et de douves. Elle est inscrite depuis 2008 au patrimoine mondial de l’unesco et s’ouvre à la visite à l’été 2016.

UN FOLKLORE BIEN ENTRETENU

Ah ! Camaret. La ville a du chien, c’est certain. L’empilage des façades face au port et au sillon naturel, piqué de bateaux délabrés (la pêche à la langouste s’est arrêtée dans les années 1980), de la chapelle de Rocamadour et de la tour Vauban, lui confère une identité inclassabl­e. Il faut être là le jour du pardon de septembre, lorsque le microcosme nautico-religieux enchaîne bénédictio­ns, messes et parades maritimes. Les touristes aiment Camaret pour cela et aussi pour ses plages (du Corréjou, de Pen-hat, du Veryac’h…). Nous l’apprécions également pour sa fantastiqu­e pointe de Penhir. Ce site de falaises chaotiques, avancé en mer d’iroise, est précédé de trois cailloux sentinelle­s, stoïques dans la tourmente, les Tas de Pois. Un tel chaos littoral a longtemps contraint les Crozonnais à vivre reculés. Dans cet Argoat presqu’îlien, les pentys (maisonnett­es bretonnes)

se tassent en petits hameaux, basses et comme intimidées par la nature dominante. Des toits de chaumes subsistent. On trouve ces masures d’agriculteu­rs-pêcheurs, aujourd’hui restaurées, à Montourgar­d, Kerrou, Kergonan, Rostudel… Nous en étions convenus, le vélo serait notre monture de fin de parcours.

LA PETITE REINE, C’EST TROP DUR !

À la pointe de Dinan, la dizaine de cyclistes d’escorte en maillots du Vélo Sport de la presqu’île de Crozon nous inquiète. Diable, c’est qu’ils ont l’air bien véloces, malgré l’âge de certains. Enfantin, le vélo en Bretagne ? Pensez-vous. Il faut d’abord affronter une rincée, comme l’armorique sait en servir. Puis une côte, genre premier lacet de l’alpe-d’huez (bon, on exagère). Enfin, un fort vent de face, histoire de crucifier nos mollets. Pour sûr, les ribins (petites routes carrossabl­es) sont tranquille­s et la vue plonge en liberté vers l’atlantique et ses falaises, côté ouest du cap de la Chèvre. Mais lorsque dans l’ultime raidillon, Jean l’octogénair­e se sent obligé de nous pousser à l’agonie, l’orgueil nous parcourt l’échine et électrise nos muscles. Nous admirons ces cyclistes, sportifs aimables, attentifs et joyeux, nourris aux sels d’iroise. On leur laisse toutefois leur petite reine. Nous, à Crozon, on préfère la marche ou la voiture… ß

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