NEUCHÂTEL : LE « BONHEUR ENTREVU »
« C’est comme le lys blanc, pur, plein d’odeurs pénétrantes, la jeunesse, la fraîcheur, l’éclat, l’espoir, le bonheur entrevu », disait Balzac, amoureux de Neuchâtel. En se promenant le long du quai Ostervald bordant les eaux scintillantes du lac, on s’attendrait, comme à la Belle Époque, à croiser d’élégantes silhouettes en crinoline, ombrelle à la main. Grands hôtels de luxe, bâtiments impériaux, vieux bateau à vapeur de 1913 restauré sifflant son arrivée dans le port… Pour un peu, on se croirait sur la Riviera méditerranéenne – si ce n’est les Alpes qui se dessinent au loin. Face au port justement, trône l’immense Hôtel des Postes, bâtiment emblématique du xixe siècle, construit avec la pierre d’hauterive, ce calcaire jaune si particulier qui illumine et ensoleille toute la ville – et qui fit dire à Alexandre Dumas que Neuchâtel semblait « un joujou taillé dans une motte de beurre ». Toujours sur les bords du lac, le Musée d’art et d’histoire impressionne avec sa façade néo-renaissance et sa cage d’escalier Art nouveau. Il est situé dans ce quartier huppé dit des Beauxarts, parsemé de squares et où les villas rivalisent d’élégance. « Tout cet ensemble au bord du lac est né à partir des années 1880 grâce aux corrections des eaux du Jura, qui ont fait baisser l’eau du lac et à l’action de l’homme qui a raboté une des collines pour gagner du terrain. Bref, d’une modeste cité de 4000 habitants, Neuchâtel va considéra-
Pour un peu, on se croirait sur la Riviera méditerranéenne – si ce n’est les Alpes qui
se dessinent au loin.
La collégiale Notre-dame éblouirait presque les yeux avec sa pierre jaune et son éclatante toiture de tuiles vernissées.
blement s’agrandir dans la seconde moitié du xixe siècle, avec l’arrivée du train, l’ouverture de l’université, la papeterie, la mécanique automobile Martini, l’industrie pour la chocolaterie Suchard… jusqu’à atteindre aujourd’hui plus de 33 000 habitants ! », informe la guide locale Alexandra Wilhem. D’ici, la rue de l’orangerie file, elle, tout droit vers l’hôtel Dupeyrou, un des bijoux patrimoniaux de la ville, un véritable petit château dans un style Louis XVI qui fut bâti pour Pierre-alexandre Dupeyrou, un notable proche du philosophe des Lumières Rousseau. Contraste un peu plus loin avec la façade un brin pompeuse de l’hôtel-de-ville (fin xviiie siècle), scandée de monumentales colonnades classiques et ornée d’un fronton triangulaire. Nous voilà bientôt place Pury, le coeur battant de Neuchâtel, puis dans la rue du Seyon, l’artère commerçante incontournable. Pour le promeneur, mieux vaut bifurquer juste à gauche vers la place des Halles. Ce « village dans la ville », bordé de façades du xviiie siècle et d’une splendide maison Renaissance avec tourelle (un ancien marché aux grains), est, à toute heure, animé avec ses terrasses de cafés bondées et ses marchés trois fois par semaine proposant le meilleur du terroir local. Nous pénétrons là dans le coeur historique de Neuchâtel, dont le nom, « château neuf », est pour la première fois mentionné au début du xie siècle.
EN REMONTANT AUX ORIGINES DE LA VILLE
Rue du Pommier, rue du Trésor, rue Fleury, passage des Corbets, commune libre du Neubourg, parsemée de peintures street art. C’est tout un lacis de ruelles étroites, aux façades ocre jaune, ponctuées de fontaines, de vieux bistrots aux enseignes colorées, de
maisons aux volets peints, qui attend là le visiteur. Arrêt obligatoire devant la très photogénique place de la Croixdu-marché, surmontée de la fontaine du Banneret, où les chevaux jadis venaient s’abreuver, et bordée par une belle demeure Renaissance.
CHARME ET ÉLÉGANCE
D’ici, par la rue du Château, il faut de bonnes jambes pour grimper sur la « colline neuchâteloise ». On passe la tour carrée de Diesse, reconnaissable à son horloge rouge, et dont l’origine remonte au moins au xie siècle. Les escaliers pentus, les terrasses de cafés suspendues, les étals des bouquinistes donnent des allures de petit Montmartre à l’endroit. Au sommet trône le château – à la longue façade blanche et aux tours carrées. Il fut la demeure des seigneurs de Neuchâtel et est aujourd’hui le siège du gouvernement cantonal – un simple coup d’oeil sur la cour intérieure est un enchantement. Littéralement accolée à la forteresse, la collégiale Notre-dame éblouirait presque les yeux avec sa pierre jaune et son éclatante toiture de tuiles vernissées. Bien qu’il fut fortement remanié au xixe siècle, le sanctuaire fut construit dans un style romanogothique pour affirmer le pouvoir des comtes de Neuchâtel – il est dévolu au culte protestant depuis l’introduction de la Réforme au xvie siècle. Quant à son petit cloître, c’est un véritable havre de paix, un paradis loin de la fureur du monde. Depuis l’esplanade de la collégiale, une vue incomparable sur le pays de Neuchâtel et ses toits de tuiles rouges. On pense là à James Fenimore Cooper, le célèbre auteur du Dernier des Mohicans, qui ne se lassait pas, ici, de contempler, à l’horizon, les Alpes bernoises : « Jusquelà, nous n’avions rien vu, rien connu de la Suisse! [...] Neuchâtel, son lac, ses beaux environs, et tous les objets que nous avions sous les yeux, ne pouvaient arracher notre âme à la contemplation de ces merveilles. »