MONTBÉLIARD
À l’évocation de son nom, on pense à la saucisse ou à l’industrie automobile. Pourtant, Montbéliard jouit d’une fascinante histoire méconnue: durant près de quatre siècles, avant son rattachement à
la France en 1793, la cité eut la singularité d’être une enclave germanique et luthérienne en territoire franc-comtois. Cette principauté wurtembergeoise connut son âge d’or à la Renaissance, sous l’impulsion du prince humaniste Frédéric Ier de Wurtemberg. Découverte d’une ville aux
façades pastel et au patrimoine mêlant rigueur germanique et Renaissance italienne.
À la confluence de l’allan et la Lizaine, le château des ducs de Wurtemberg est immanquable: dressée sur une barre rocheuse, la forteresse domine de toute sa puissance la ville, avec ses massives tours rondes, respectivement de 1424 et de 1590, que les habitants appellent encore « Henriette » et « Frédéric ». Deux surnoms qui rappellent l’importance des ducs de Wurtemberg dans la ville. Tout commence par des fiançailles. En 1397, Hen- riette, donc, l’héritière du comte de Montbéliard, s’unit avec un comte du Wurtemberg. Résultat de cette union franco-allemande, la cité est durant près de quatre siècles – jusqu’en 1793, date à laquelle la cité est annexée à la France – une enclave germanique dans le Royaume de France. « Cette principauté wurtembergeoise, néanmoins État souverain, connaît son apogée sous le règne du prince Frédéric Ier (1558-1608). Luthérienne de langue fran- çaise, et à l’architecture mêlant rigueur germanique et Renaissance italienne, c’est une ville tout à fait singulière dans une Franche-comté catholique », rappelle Élodie Paulette, du service patrimoine à l’agglomération.
SUR LES TRACES DU « LÉONARD DE VINCI SOUABE »
Sur l’esplanade du château, on admire justement l’élégant logis des gentilshommes édifié à la fin
du xvie siècle, qui abrite aujourd’hui le conservatoire de musique. Avec son pignon à volutes typique de la Renaissance souabe, il est l’un des témoignages les plus frappants de cette parenté germanique. L’édifice est d’ailleurs l’oeuvre de l’architecte Heinrich Schickhardt (1558-1635), le « Léonard de Vinci souabe », comme on le surnomme, né en Allemagne, et nommé par le comte Frédéric Ier pour agrandir et moderniser la ville. Cette atmosphère d’outre-rhin, on la ressent aussi en empruntant les rues historiques au pied du château, parmi les plus anciennes de la ville, telles la rue de Belfort et la rue Lucie-diemer-duperret. Fenêtres à meneaux, tuiles, façades – recolorées – couleurs pastel dont le style évoque la Bavière ou la Rhénanie… On remarque également les caractéristiques viorbes (ou yorbes). « Ce sont des tourelles rondes qui abritaient un escalier à vis pour desservir tous les étages de la maison», note Élodie Poletto. Autre spécialité locale – il faut lever les yeux pour les apercevoir – les « tchâfas », ces discrètes lucarnes qui servaient, via un système de poulies, à engranger, sous les combles, bois ou céréales, la proximité du lit de l’allan ne permettant pas le creusement de caves.
LE PLUS ANCIEN TEMPLE LUTHÉRIEN DE FRANCE
Passons la rue des Febvres, la principale artère piétonne et commerçante, pour gagner très vite la place Saint-martin. Nous sommes là au coeur battant de Montbéliard où trônent l’hôtel-de-ville de grès rose, et surtout l’église évangélique Saintmartin. Cet imposant vaisseau de calcaire blanc est tout simplement le plus ancien temple de France dévolu au culte réformé. Conçu lui aussi par Henrich Schickhardt au début du xviie siècle après ses voyages en Italie, l’édifice à la toiture scandée de lucarnes s’inspire de l’architecture italienne du Cinquecento (un ordre colossal toscan l’entoure), tout comme celle de la basilique romaine vitruvienne. L’intérieur est austère, mais admirez le superbe plafond à caissons et une belle tribune d’orgues. Autour du temple, on ne peut pas manquer le musée historique Beurnier-rossel, installé pour un proche de la cour des Wurtemberg dans un élégant hôtel particulier de la fin du xviiie siècle, et encore moins la Maison Forstner. Un pur bijou de la Renaissance avec sa façade de grès jaune en pierre de taille : ultra-raffinée, avec motifs sculptés, modillons et frises, ce véritable petit palais urbain présente une superposition des ordres dorique, ionique, corinthien… Une leçon d’architecture en soi !
Nous sommes là au coeur battant de Montbéliard où trônent l’hôtel-de-ville de grès rose, et surtout l’église évangélique Saint-martin.
UNE « NEUVEVILLE » POUR
LES RÉFUGIÉS HUGUENOTS
Vos pas mènent vite sur l’autre grande agora de Montbéliard, agréablement peuplée aux beaux jours de terrasses de cafés : la place des Halles, où s’étire un long bâtiment Renaissance, dominé par un clocheton et représentatif de l’influence germanique avec son bel ordonnancement et la symétrie de ses élévations. Symboles de pouvoir, ces halles, qui accueillent aujourd’hui au rez-de-chaussée des boutiques, abritaient, entre autres, le Conseil de régence de la principauté. À proximité, on distingue une insolite « pierre à poissons », modeste étal de marché que, dit-on, Guillaume Farel, premier prédicateur à Montbéliard, utilisait comme tribune pour prêcher la Réforme en 1524 – c’est plus tard que Frédéric I , sous son règne,
er impose un luthéranisme officiel aux habitants. À l’ouest de la place, un détour s’impose dans le faubourg de Besançon. Cette « Neuveville » a été créée de manière orthogonale à la toute fin du xvie siècle – sur des plans de l’incontournable Schickardt – pour accueillir les réfugiés huguenots fuyant les persécutions du royaume de France. On y remarque d’ailleurs les vestiges du temple Saint-georges – aujourd’hui devenu centre de conférences. Ce dernier est à l’ombre de l’intimidante église Saint-maimboeuf, un sanctuaire néo-renaissance aux allures de cathédrale édifié dans la seconde moitié du xixe siècle comme pour affirmer la reconquête de l’église catholique. Outre les vastes campagnes de construction (ponts, fontaines, jardin botanique, forges…), Frédéric Ier se fait prince éclairé de
La cité est, jusqu’en 1793, une enclave germanique dans le Royaume de France.
Un détour s’impose dans le faubourg de Besançon : cette « Neuveville » a été créée de manière orthogonale à la toute fin du xvie siècle.
Ci-dessus en haut : Boutiques et terrasses de cafés côtoient le bâtiment
historique des Halles (xvie siècle). Ci-dessus : la ferme de la Souaberie, bâtie en partie par Henrich Schickhardt. Ci-contre : le grand salon du Musée d’art et d’histoire Beurnier-rossel.
la Renaissance. Il fait venir un imprimeur, Jacques Foillet, constitue une bibliothèque humaniste, crée des fermes modèles comme celle du 22 de la rue Collège pour les agriculteurs protestants venus de Souabe. Dans le faubourg subsiste aussi, au 14, rue Saint-maimboeuf, les vestiges du collège universitaire du xviie siècle, bâti à l’origine sur le modèle du Collegium illustre de Tübingen. Un collège qui rappelle que l’instauration de la Réforme luthérienne au début du xvie siècle entraîna la généralisation des écoles. « Tout le monde, filles ou garçons, devait apprendre le calcul ou la lecture », précise Élodie Poletto. Une période et un enseignement humanistes qui ont été, sans nul doute, à l’origine des grands hommes du Pays de Montbéliard – à l’image du scientifique Georges Cuvier (17691832), « père » de la paléontologie française – et du terreau fertile à un patronat pétri de valeurs luthériennes, de Japy à Peugeot.