Detours en France

Les Mille Étangs

- Durée : 1 à 2 jours Cartes : « La Route des 1000 Étangs », disponible auprès de l’office de tourisme de Mélisey

Servance, « en bas » du plateau, un jour d’avril. Cette cité de 850 habitants à l’atmosphère plutôt industriel­le compte avec Mélisey parmi les portes d’entrée de la région des Mille Étangs. Dans un premier temps, la déception est au rendez-vous. II y a bien le superbe retable baroque de l’église Notre-dame de l’assomption et la balade jusqu’au Saut de l’ognon, une courte promenade qui mène à une cascade d’où la rivière se jette bruyamment d’une dizaine de mètres dans un cadre champêtre… Mais on est bien loin de la « petite Finlande » et de la « petite Scandinavi­e », autant d’expression­s mises en avant dans les brochures touristiqu­es et qui nous

avaient mis l’eau à la bouche. Étonnant territoire que ce coin secret des Vosges saônoises – si loin du spectacle des grands ballons vosgiens. Le plateau des Mille Étangs s’étend sur quelque 220 km², limité entre la vallée du Breuchin, à l’ouest, et celle de l’ognon, à l’est, et fermé au nord par la route des Crêtes. D’étroites – de très étroites – départemen­tales serpentent sur ce plateau granitique, vallonné et boisé, qui s’élève jusqu’à plus de 700 m d’altitude. On a beau suivre l’itinéraire balisé de la route des Mille Étangs (60 km), on finit toujours par s’y perdre. Ici, un cul-de-sac qui mène à une ferme « à charri » abandonnée (ces granges traditionn­elles caractéris­ées par un porche central qui pouvait abriter un chariot). Là, un chemin jonché de nids-de-poule où l’on réalise au bout de quelques centaines de mètres, qu’il est finalement impraticab­le… Çà et là, tels des phares, de hauts clochers comtois, comme celui d’écromagny, rassurent le visiteur. Postés dans les carrefours, bien souvent, les calvaires semblent dressés pour orienter les déboussolé­s. Ces calvaires, pourtant, n’ont rien d’apaisant : voyez, plus loin, la terrifiant­e croix des morts de Faucogney. « Pour certains habitants des villes alentour, les Mille Étangs étaient jadis perçus comme une contrée un peu sauvage et pauvre. Un désert, un pays comme oublié, loin des cartes touristiqu­es », explique de son côté Yves Vuillemard, un des fondateurs de l’office du tourisme, justement, et fin connaisseu­r des lieux.

UN PATCHWORK DE PAYSAGES

Les eaux sombres des étangs, rendues fantomatiq­ues par la brume du petit matin ou du soir, peuvent encourager, il est vrai, un imaginaire lugubre : « Rien de plus angoissant à la tombée du jour, quand son eau immobile devient noire et ne reflète plus que la lune et la muraille, plus noire encore, de la forêt proche », note d’ailleurs de son côté René Gast (auteur de La Franche-comté, itinéraire­s de découverte­s, éditions Ouest-france). Faut-il y voir un hasard? Le film Les Anges de l’apocalypse, second volet des Rivières pourpres, a été en partie tourné dans les zones marécageus­es du coin. Des écrivains régionaux, telle Nathalie

Michel (1 000 étangs meurtriers, éditions du Citron bleu), ont choisi cette contrée pour y placer l’intrigue de leurs romans les plus noirs. À vrai dire, on ne compte plus les légendes qui hantent, depuis des siècles, le plateau. On vous parlera peut-être des jeteurs de sorts, de la croix du Montandré où, à la tombée de la nuit, les âmes des défunts errent sous la figure d’un chat à trois têtes, ou encore de ces mystérieux blocs erratiques qui parsèment les landes. Ainsi, aux Fessey, dans un champ en bordure de la route menant à Belmont, trône la mystérieus­e pierre Mourey, ce mégalithe de plus 70 tonnes. « La tradition dit qu’elle tourne sur elle-même tous les cent ans, et une fois par an, la nuit de Noël, elle quitte son socle pour aller se baigner dans l’étang voisin », détaille Yves Vuillemard. « Les Mille Étangs, c’est un territoire très peu peuplé – moins de 20 habitants au km² – qui ne se livre pas d’emblée. Il faut savoir l’apprivoise­r, prévient Laurent Seguin, président du parc naturel des Ballons des Vosges et ancien forestier. L’endroit se révèle pourtant vraiment magique à chaque saison, entre le grand blanc de l’hiver, le grand bleu de l’été et les teintes dorées de l’automne… » Des Allemands, des Suisses l’ont bien compris, repeuplant peu à peu, ces dernières années, cette contrée oubliée. « Contrairem­ent à la Dombes ou à la Brenne, cette région d’étangs a la particular­ité d’être en altitude, en moyenne montagne. C’est un patchwork de paysages, entre forêts, sous-bois, prairies et ses nombreuses et anciennes tourbières qui constituen­t un précieux conservato­ire d’espèces végétales – notamment la drosera, une rare plante carnivore », poursuit l’expert.

LA NATURE À L’ÉTAT BRUT La déception du premier abord cède sa place à l’émerveille­ment. Depuis Servance, la départemen­tale 315 zigzague en pente à travers bois jusqu’au lieudit… La Mer. Derrière chaque bosquet de hêtres, chaque rideau d’épicéas, chaque rangée de roseaux ou de bouleaux, se dévoile un étang, un autre, puis encore un autre. Certains aux eaux scintillan­tes, d’autres… asséchés – on pratique encore l’assec. Autant d’oasis de fraîcheur et de quiétude. Bien souvent, un discret chalet

en bois est d’ailleurs posé au bord de l’étang. Le week-end, les propriétai­res des plans d’eau – quasiment tous privés – viennent s’échapper ici. On y vient taquiner le brochet, le gardon, la tanche ou le sandre. Loin des hommes, juste pour écouter le chant des grenouille­s, le clapotis d’un brochet surgissant à la surface de l’eau, admirer la délicate linaigrett­e des tourbières… La nature à l’état brut. Nature, mais pas naturel: « Certes, il y a environ 12000 ans, les glaciers de l’ère quaternair­e ont modelé ces terres molles, ces dépression­s humides, mais il faut bien comprendre que c’est un paysage façonné par l’homme. Ce sont les moines des abbayes de Lure et de Luxeuil qui vont dès le xie siècle transforme­r ce territoire, endiguer, aménager tous ces étangs à des fins piscicoles », explique Laurent Seguin. En résultent aujourd’hui, peut-être pas « 1000 », mais bien plusieurs centaines de plans d’eau de faible superficie.

PETITS VILLAGES, GRANDS ESPACES L’itinéraire mène à Faucogney-etla-mer, un village inscrit parmi les « Cités de caractère » de Bourgognef­ranche-comté. Caractère ? Les habitants aussi peuvent faire preuve d’un tempéramen­t bien trempé : « Fief de puissants seigneurs, ce fut tout simplement le dernier bastion comtois à résister aux troupes royales de Louis XIV en 1674 ! », rappelle Yves Vuillemard. Les collecteur­s d’impôts du royaume, on l’imagine, n’allaient jadis pas de gaieté de coeur dans les parages. « Pas très loin, un étang porte le nom des Gorgeots… L’étymologie fait sans doute référence à l’étang des égorgés », sourit notre guide, en arpentant la butte qui mène au château fort rasé par les mercenaire­s du Roisoleil. Dominé par le belvédère Saintmarti­n, le village, 600 habitants, a conservé un très riche patrimoine du xviiie siècle. Église Saint-georges, fontaine baroque, portes anciennes aux linteaux sculptés, mais aussi des boutiques avec devantures en bois qui ne semblent pas avoir changé depuis les années 1950. Au-delà, la route – la D236 – s’envole via Esmoulière­s vers les paysages les plus sauvages et les plus élevés du plateau. On passe par l’adorable bourg de Beulottesa­int-laurent, un village de carte postale recroquevi­llé autour de son église, qui a la particular­ité d’être encore cerné d’un cimetière. Autour, aux beaux jours, l’atmosphère – à l’approche du plateau des Grilloux – est digne des prairies américaine­s, avec ces grands espaces ouverts, ces prairies peuplées de vaches montbéliar­des, ces fermes isolées et… ces étangs, avec les sommets vosgiens en toile de fond. Une atmosphère de bout du monde. Un bout du monde par bonheur tout à fait accessible.

 ?? TEXTE DE HUGUES DEROUARD – PHOTOGRAPH­IES DE GILLES LANSARD ?? À Mélisey, le domaine de la Patte d’oie,au bord d’un étang, propose des séjours de pêche dans un environnem­ent paisible, avec l’accès à trois plans d’eau et l’hébergemen­tdans un charmant chalet équipé.Longtemps considérée comme une contrée inhospital­ière et mystérieus­e, cette région exerce depuis toujours une fascinatio­n sur les hommes. Au pied des Vosges, le plateau vallonné des Mille Étangs a été modelé par les glaciers quaternair­es avant d’être façonné par les moines au Moyen Âge à des fins piscicoles. Découverte d’un des secrets les mieux gardés du Grand Est.
TEXTE DE HUGUES DEROUARD – PHOTOGRAPH­IES DE GILLES LANSARD À Mélisey, le domaine de la Patte d’oie,au bord d’un étang, propose des séjours de pêche dans un environnem­ent paisible, avec l’accès à trois plans d’eau et l’hébergemen­tdans un charmant chalet équipé.Longtemps considérée comme une contrée inhospital­ière et mystérieus­e, cette région exerce depuis toujours une fascinatio­n sur les hommes. Au pied des Vosges, le plateau vallonné des Mille Étangs a été modelé par les glaciers quaternair­es avant d’être façonné par les moines au Moyen Âge à des fins piscicoles. Découverte d’un des secrets les mieux gardés du Grand Est.
 ??  ?? Le Saut de l’ognon, situé à l’entrée du village de Servance, est un ancien verrou glaciaire qui précipite l’eau dans une cascade d’une hauteur de 14 mètres. Prenant sa sourceà Châteaulam­bert à 910 md’altitude, sous la tête des Noirs Étangs, l’ognon est un cours d’eau de montagne si tumultueux que l’on dut percer la roche pour laisser passer ses flots.Au terme d’une course de 215 km, l’ognon rejointla Saône.
Le Saut de l’ognon, situé à l’entrée du village de Servance, est un ancien verrou glaciaire qui précipite l’eau dans une cascade d’une hauteur de 14 mètres. Prenant sa sourceà Châteaulam­bert à 910 md’altitude, sous la tête des Noirs Étangs, l’ognon est un cours d’eau de montagne si tumultueux que l’on dut percer la roche pour laisser passer ses flots.Au terme d’une course de 215 km, l’ognon rejointla Saône.
 ??  ?? Étang sur la D236, au nord d’esmoulière­s, qui en ancien français signifie « des terrains rendus mous par l’humidité ».On y découvre les recoins les plus sauvages des Mille Étangs, au coeur d’une végétation foisonnant­e… qu’il est conseillé d’arpenter chaussé de bottes de pluie!
Étang sur la D236, au nord d’esmoulière­s, qui en ancien français signifie « des terrains rendus mous par l’humidité ».On y découvre les recoins les plus sauvages des Mille Étangs, au coeur d’une végétation foisonnant­e… qu’il est conseillé d’arpenter chaussé de bottes de pluie!
 ??  ?? Cabane traditionn­elle au bord d’un étang asséché vers Écromagny, village rural entouréde plans d’eau, forêts, tourbières et cascades.
Cabane traditionn­elle au bord d’un étang asséché vers Écromagny, village rural entouréde plans d’eau, forêts, tourbières et cascades.
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La scierieMar­tin (xixe siècle) sur la rivière de la Doue de l’eau entre Servanceet Miellin. Fermée en 1979, elle fut rachetéeet restaurée « à l’ancienne » par Georges Tuaillon (photos), en 1991.Ci-dessous : le coquet bourg de BeulotteSa­int-laurent.
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Faucogney-et-la-mer, vu du belvédère du château, fait partie du réseau des Petites Cités comtoises decaractèr­e, qui oeuvre pour préserver et promouvoir le patrimoine de ses 34 communes labellisée­s.
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