Detours en France

Le paradis blanc

- Durée : 2 jours – 20 km environ Carte : Guide « La GTJ à raquettes », disponible sur le site gtj.asso.fr

Lajoux est un village de 250 habitants à peine, au coeur du parc naturel régional du Haut-jura. Il est souvent traversé car situé sur la route du col de la Faucille. En ce jour de février enneigé, les vacanciers sont nombreux à glisser, malgré le froid que réchauffe toutefois un soleil radieux, sur les pistes de ski de fond aménagées sur cette commune, la plus haute en altitude du Jura, à 1 170 m. Nous décidons de chausser des raquettes et de nous armer de bâtons pour aller parcourir un tronçon de cette Grande Traversée du Jura, qui, comme son nom l’indique, permet d’effectuer la traversée nord-sud du massif. «L’activité raquettes est moins physique que le ski nordique ; du coup elle

est accessible à tous les âges », informe notre guide Claire Bonneville. Surtout, la raquette permet de visiter à son rythme – 3 km par heure en moyenne – les beautés insoupçonn­ées des Hautes Combes, ce plateau ondulant autour de 1200m entre vallées de la Valserine et du Tacon, un paysage parmi les plus sauvages et fascinants du Jura avec, en toile de fond, la ligne des monts Jura. Quelle douce sensation que de ressentir nos raquettes s’enfoncer dans quelques dizaines de centimètre­s de neige… Au fur et à mesure de la randonnée, les rumeurs touristiqu­es de la station de Lajoux s’estompent. Le village s’éloigne, laissant peu à peu place au son de nos pas crissant sur la neige à rythme régulier. Le silence, enfin! D’UN PAYSAGE À L’AUTRE

Le décor est d’une blancheur immaculée, étonnante, éblouissan­te – les lunettes de soleil sont de rigueur. Bientôt, nous ne rencontrer­ons quasiment plus aucun humain, hormis un couple venu des Alpes et un voyageur allemand, Robert Vogel, en excursion sur la GTJ : « au moins, par ici, il n’y a pas d’avalanche », dit celui qui dort sous sa tente, bien équipé, à des températur­es frisant les -30 °C. Ici, le chemin neigeux, signalé à l’aide de balises jaunes avec raquettes violines, nous fait approcher quelques solides fermes isolées, souvent bâties en tavaillon, comme hibernant, aux grands toits protecteur­s recouverts d’une épaisse couche de neige. Non loin des fermes s’élèvent souvent des greniers forts, ces petites cabanes en bois traditionn­elles où, jadis, les éleveurs entreposai­ent leurs richesses: orge, avoine…

Le village s’éloigne, laissant

peu à peu place au son de nos pas crissant sur la neige à rythme régulier.

Le silence, enfin !

ou les cloches des vaches. De combes en crêtes, on passe d’un paysage à l’autre dans une relative douceur, et… dans une solitude totale. « Ce qui fait le charme des Hautes Combes, l’un des endroits les moins peuplés du Jura, c’est son relief plein de sensualité, délicateme­nt modelé, tout en creux et en bosses. C’est sans grosse dénivellat­ion et cela ne nécessite pas de grandes capacités physiques », détaille Claire Bonnevilll­e. Elle pointe du doigt, à notre droite, à l’est, les sommets à plus de 1600 m des monts Jura (Colomby de Gex, crêt de la Neige…), situés au-delà de la vallée de la Valserine – vallée que l’on distinguer­a à peine tout au long de notre périple. L’itinéraire alterne entre grands espaces ouverts et forêts d’épicéas, dont les branches semblent décorées de sucre glace.

UN ARTISANAT TYPIQUEMEN­T JURASSIEN

Défrichées dès le haut Moyen Âge par les moines de l’abbaye de Saintclaud­e, les Hautes Combes, où la nature des sols et les conditions climatique­s extrêmes ne permettent pas l’agricultur­e céréalière, sont essentiell­ement vouées à l’élevage: des vaches laitières qui donnent comté, bleus de Septmoncel ou de Gex, morbier… Dès le printemps, c’est un paysage digne des grandes prairies américaine­s, lorsque la végétation explose, avec les alpages qui ondulent à l’infini, tachetés de violet, de jaune, de bleu, tapissés de campanules, d’orchidées et de géraniums sauvages… En hiver, le changement de décor est total. Les montbéliar­des sont bien au chaud dans les étables. Le lait est parfois amené par tracteur jusque dans les fruitières (fromagerie­s) des environs. Une vie qui devait être bien rude, jadis, dans ces fermes isolées. « L’hiver, il fallait que les paysans trouvent d’autres ressources que le fromage, d’où l’émergence d’un artisanat typiquemen­t jurassien, entre les lapidaires, ces tailleurs de pierres précieuses, les fabricants de pipes ou les layetiers (fabricants de coffres) qui utilisaien­t le bois local », rappelle Claire Bonnevile.

LE PLAISIR APRÈS L’EFFORT

La nuit tombe vite en ce mois de février. La températur­e encore plus : - 15 °C indique notre smartphone. Nous n’avons effectué qu’une dizaine de kilomètres, mais nos doigts, pourtant bien protégés par d’épais gants, sont tout endoloris par le froid. C’est dire notre soulagemen­t quand nous voyons se dresser, derrière une crête, le bâtiment du hameau de Molunes, La Vie neuve: un gîte d’étape installé dans une ancienne mairie école, dont les chambres en dor-

toir sont assez rudimentai­res (ce lieu a, depuis, fermé définitive­ment, ndlr). Quelle chaleur pourtant, ce soir-là, dans la salle de restaurant! Quel plaisir de déguster, attablé avec une dizaine de randonneur­s, une raclette à base de fromages franccomto­is… et de savourer au coin du feu un macvin du Jura. Depuis la fenêtre du dortoir, au coucher, une étrange lumière orangée parvient jusqu’à nous, de l’autre côté de la chaîne jurassienn­e: Genève… Le lendemain, à l’aurore, notre guide nous annonce que les conditions météo sont bonnes pour partir – même si le ciel n’est pas très bleu. La neige est tombée abondammen­t cette nuit et, en chaussant les raquettes, nous avons l’impression de fouler une terre vierge, explorée seulement par les renards et les lapins, dont on distingue régulièrem­ent les traces.

UNE AMBIANCE DE GRAND NORD Après quelques suées dans les montées, appuyés sur nos bâtons, nous voici à Bellecombe, 70 âmes. Curieuse impression de découvrir la mairie du village, perdue, solitaire au milieu de nulle part! Le paradis blanc, dans toute sa splendeur. Soudain, à l’horizon, un attelage de chiens de traîneaux passe à toute allure. Une vraie ambiance de Grand Nord! D’ailleurs, Lucas Humbert, guide naturalist­e et accompagna­teur de montagne que nous rencontron­s en chemin, explique avoir trouvé ici un magnifique terrain de jeu pour s’entraîner aux raids polaires : « Le lien entre le Jura et les zones polaires trouve son origine dans la géologie et dans l’histoire. Toutes nos combes présentent encore de nos jours les vestiges de la dernière grande période de glaciation dans les tourbières, où l’on peut trouver un certain nombre d’espèces animales et végétales relictuell­es ! Les conditions climatique­s extrêmes qui règnent en hiver – des minima à -25 °C et, parfois, une bise très forte – et les grands espaces du Jura, sa

faune et sa flore polaires, présentent beaucoup de similitude avec ce que l’on va rencontrer dans le nord de la Scandinavi­e, par exemple, et sont donc parfaiteme­nt adaptés à ceux qui veulent se préparer à des excursions plus engagées en zone polaire! »

On profite là d’un magnifique point de vue sur la vallée de la Valserine et les plus hauts sommets des montagnes du Jura.

MAGNIFIQUE VUE SUR LA VALLÉE Passé Bellecombe, on rejoint Le Berbois, un mini-hameau qui dispose d’un refuge pour randonneur­s, avec yourtes et tipis, si typique qu’il accueille régulièrem­ent des événements culturels. D’ici, on peut joindre le pied du crêt de Chalam, sommet pointu dominant à 1545m la Valserine. Un aller-retour s’impose jusqu’à l’emblématiq­ue borne au Lion, érigée en 1613 pour marquer la séparation entre royaume de France et Bourgogne espagnole. Manque de chance, à cette saison, elle est encore cachée sous un tapis neigeux! Mais une autre pierre émerge: une stèle qui rappelle que l’endroit a aussi été un haut lieu de la Résistance, avec 3000 maquisards combattant, dès 1943, les Nazis… On profite là d’un magnifique point de vue sur la vallée de la Valserine et les plus hauts sommets des montagnes du Jura. La descente ombragée vers le village de La Pesse, jonchée de racines d’arbres enfouies sous la neige, exige beaucoup de concentrat­ion. Bientôt, on aperçoit le clocher de l’église et ses maisons en tavaillon. Un bourg qui compte moins de 400 habitants mais qui nous apparaît comme une ville, après les désertique­s grands espaces que nous avons parcourus. Un vrai retour à la civilisati­on.

 ?? TEXTE DE HUGUES DEROUARD – PHOTOGRAPH­IES DE GILLES LANSARD ?? La traverséed­u Jura à raquettes, de Lajoux à Molunes, c’est 10 km par jour entouré de majestueux paysages et des plus hauts sommets. Uneparenth­èse inoubliabl­e en dehors de lacivilisa­tion.De Lajoux à La Pesse, nous avons parcouru à raquettes, sur un tronçon de la GTJ, la Grande Traversée du Jura, les immenses espaces des Hautes Combes, ce plateau sauvage qui ondule, tout en creux et bosses, à plus de 1100 m. Dans un paysage à la blancheur immaculée, balade revigorant­e dans la zone la moins peuplée du parc naturel régional du Haut-jura.
TEXTE DE HUGUES DEROUARD – PHOTOGRAPH­IES DE GILLES LANSARD La traverséed­u Jura à raquettes, de Lajoux à Molunes, c’est 10 km par jour entouré de majestueux paysages et des plus hauts sommets. Uneparenth­èse inoubliabl­e en dehors de lacivilisa­tion.De Lajoux à La Pesse, nous avons parcouru à raquettes, sur un tronçon de la GTJ, la Grande Traversée du Jura, les immenses espaces des Hautes Combes, ce plateau sauvage qui ondule, tout en creux et bosses, à plus de 1100 m. Dans un paysage à la blancheur immaculée, balade revigorant­e dans la zone la moins peuplée du parc naturel régional du Haut-jura.
 ??  ?? Alternance de déserts de neige et de forêtsde cyprès, la traversée nordsud du massif est une plongée dans un espace vaste et silencieux,un féerique no man’s land que l’on se sentprivil­égié de fouler, à condition d’être équipé pour affronter les températur­es oscillant entre -15 et -30 °Cen hiver.
Alternance de déserts de neige et de forêtsde cyprès, la traversée nordsud du massif est une plongée dans un espace vaste et silencieux,un féerique no man’s land que l’on se sentprivil­égié de fouler, à condition d’être équipé pour affronter les températur­es oscillant entre -15 et -30 °Cen hiver.
 ??  ?? Passage au pied du crêt du Merle, sommet qui culmine à 1448 m d’altitude, entre les départemen­ts du Jura et de l’ain, dont l’ascension est possible hors période d’enneigemen­t.
Passage au pied du crêt du Merle, sommet qui culmine à 1448 m d’altitude, entre les départemen­ts du Jura et de l’ain, dont l’ascension est possible hors période d’enneigemen­t.
 ??  ?? Dernière montée, un peu sportive, avant l’arrivée à Bellecombe, un village de 70 habitants, surprenant­eapparitio­n au milieu denulle part.
Dernière montée, un peu sportive, avant l’arrivée à Bellecombe, un village de 70 habitants, surprenant­eapparitio­n au milieu denulle part.
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 ??  ?? Claire Bonneville-devillers, guide du périple, s’occupe de la GTJ coté promotion et commercial­isation.
Claire Bonneville-devillers, guide du périple, s’occupe de la GTJ coté promotion et commercial­isation.
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Passage à proximité de la borne au Lion, ensevelie sous la neige à cette époque de l’année, érigée en 1613 pour marquer la séparation entre royaume de France et Bourgogne espagnole.La présence humaine est si rare, que la neige est vierge d’empreintes sur des km derandonné­e.
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La randonnée se termine à la Pesse, village d’à peine400 habitants animé par la forte activité artisanale,le tourisme et la production de lait. Le boisement de la commune,qui tient son nom de l’épicéa, représente 44 % de sa surfacetot­ale !

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