AUX RACINES DE L’ART NOUVEAU
Avec la réouverture de la Villa Majorelle,
cité connaît un fort développement économique. Elle peut aussi compter sur le savoir-faire lorrain traditionnel dans le verre, la céramique et le bois. Enfin, la ville cultive un goût certain pour l’horticulture », analyse la conservatrice. Émile Gallé, le chef de file du mouvement à Nancy, maître verrier, céramiste et ébéniste, est avant tout passionné de botanique. Sa devise ? « Ma racine est au fond des bois. » Une de ses pièces maîtresses, réalisée en collaboration avec le peintre, graveur et sculpteur Victor Prouvé, est exposée au rez-de-chaussée du musée. Oeuvre engagée, la table Le Rhin (1889) veut rappeler dans son décor central qu’une seule frontière, naturelle, existe entre la France et la Prusse : le fleuve éponyme. Plus loin, on retrouve l’ombellifère, observée dans le jardin, sur une banquette en noyer signée par le maître. Dans le travail du verre, les frères Daum s’imposent aux côtés de Gallé, comme en témoigne la salle consacrée à la verrerie. L’introduction de poudres permet d’opacifier la matière, tandis que les sujets naturalistes se multiplient sur les vases, les coupes ou les lampes. Mobilier, boiseries, luminaires, céramiques, vitraux, cuirs, textiles, graphisme…: le musée offre un large panorama des arts décoratifs revisités par l’art nouveau. Un ensemble mobilier retient l’attention: la salle à manger Masson, en acajou blond, signée Eugène Vallin. Il faut prendre le temps d’admirer les détails, des poignées ouvragées aux panneaux du plafond représentant les allégories féminines des cinq sens, du lustre en verre à trois niveaux au cuir mural à décor de rosiers. Pendant longtemps, le musée a exposé la chambre Majorelle, où les formes poétiques du mobilier,
en ailes de papillon, ne laissaient personne indifférent. Cet ensemble créé par l’ébéniste Louis Majorelle, grande figure de l’école de Nancy, vient de retrouver son cadre initial en même temps que la réouverture de sa villa révélant un intérieur rénové.
LA VILLA MAJORELLE, UN MANIFESTE ARTISTIQUE
Quelques centaines de mètres au nord du musée, des cheminées stylisées, coiffées de mitres en grès flammé, annoncent la fameuse villa. Le vaste jardin a disparu et la maison semble étouffer derrière ses grilles mais elle n’a rien perdu de sa superbe. Autrefois située près de ses ateliers, la maison de Louis Majorelle est pensée par son propriétaire comme un « show-room ». « Le mobilier était photographié et reproduit dans des catalogues. On pouvait tout acheter, sauf la chambre à coucher qui n’était pas dévoilée », éclaire Valérie Thomas. En 1898, l’ébéniste confie la réalisation de sa maison à un jeune architecte, Henri Sauvage. Une nature gorgée de vie semble grimper sur la façade avec des gouttières en fonte vert d’eau, ornées de feuilles. À l’intérieur, des huisseries et une spectaculaire cheminée en grès flammé aux formes organiques, des peintures aux pochoirs où s’épanouissent des monnaies-dupape, fleurs qui courent aussi sur les vitraux de Gruber… La Villa Majorelle s’impose comme le manifeste de l’art nouveau nancéien. Fermée pour rénovation en 2016, elle a rouvert ses portes au public depuis la mi-février et présente l’ensemble de ses espaces, avec son mobilier d’origine.
de Joseph Janin, des menuiseries d’eugène Vallin et des peintures de Victor Prouvé. Dans l’escalier, le monumental vitrail Roses et mouettes, signé Gruber, exposé comme une oeuvre d’art, hypnotise par sa couleur bleu cobalt. Plus loin, à mi-chemin entre la maison Bergeret et le musée de l’école de Nancy, le parc de Saurupt compte une dizaine de maisons Art nouveau disséminées le long de rues arborées. Les grilles en fer forgé et les garde-corps des maisons rivalisent de torsades et d’entrelacs. « Émile André, un des plus fameux architectes de l’art nouveau à Nancy, est intervenu sur ce lotissement chic », explique Nadia Hardy, devant une de ses créations, la villa Les Glycines. « Notez l’inspiration médiévale de la fenêtre, avec son excroissance néogothique. » Allure hispano-mauresque ? Lignes japonisantes ? Les esprits rêveurs y verront aussi une touche fantasmagorique. Quelle que soit l’interprétation, le talent d’émile André pour faire vivre les façades selon un principe d’asymétrie est évident. Tout près, la Villa Marguerite, rue du Colonel-renard, arbore des encorbellements à la menuiserie très travaillée. La conciergerie du parc, rue des Brice, quant à elle, évoque une ancienne chaumière que l’on dirait tout droit sorti d’un conte.
UN ART… COMMERCIAL
Nous poursuivons notre promenade artistique. Rue Félix-faure, de glorieux hortensias roses et mauves dépassent de grilles stylisées. La voie collectionne les demeures Art nouveau, plus modestes toutefois que celles de Saurupt. L’architecte César Pain a signé plusieurs maisons, dont Les Clématites. On succombe au charme des fresques murales, où s’enchevêtrent arbres fruitiers et fleurs généreuses, tandis que des briques émaillées distillent leurs touches colorées. Le quartier commerçant de Nancy, au sud de la place Stanislas, illustre aussi la floraison de l’art nouveau dans le bâti à usage marchand. « À la fin du xixe siècle, les progrès techniques autorisent des structures portantes métalliques qui offrent de nouveaux horizons architecturaux. On peut ouvrir de grandes baies, doter les magasins de longues vitrines », explicite Nadia Hardy. Rue Raugraff, l’oeil averti remarque la devanture au décor en bois, sculpté de courbes élégantes et de plumes de paon, exécutée par Eugène Vallin pour un ancien grand magasin. Rue des Dominicains, Louis Majorelle a laissé sa griffe à la pharmacie du Ginkgo, mettant en scène des plantes médicinales que l’on retrouve aussi dans les moulures du plafond.
La feuille de ginkgo biloba est aussi le motif d’une mosaïque vert et or, offrant à la boutique un parterre unique. Les établissements bancaires, dynamisés par l’économie florissante de l’époque, font aussi appel aux artistes. Rue Saintgeorges, au siège de LCL (ex-crédit Lyonnais), les dimensions de la verrière intérieure créée par Jacques Gruber impressionnent, tandis que l’entrelacement des lettres « C » et « L », au centre d’un décor jaune et mauve, témoigne de la maîtrise de l’art typographique. Là où la créativité s’exprime avec le plus de force reste le siège de la BNP, anciennement celui de la banque Renauld, à l’angle des rues Saint-jean et Chanzy, chapeauté d’une toiture médiévale fantasmée. Les lignes courbes rythment la façade et l’intérieur, tandis que la pierre et le fer se parent de décors naturalistes évocateurs. « Les pommes du jardin des Hespérides, le ginkgo biloba soit l’arbre aux 40 écus, la monnaie-dupape : on parle d’argent ! », commente Nadia Hardy. Dans cette rue, l’oriel de la graineterie Génin est le seul exemple de structure métallique apparente en centre-ville. Soulignée de bleu, elle détonne dans le décor urbain avec son cul-de-lampe piqué de fleurs de pavots.
L’AUDACE CRÉATIVE AU MENU
L’excelsior, rue Henri-poincaré, près de la gare, est le terrain d’études de Gilles Marseille, professeur d’histoire de l’art à l’université de Lorraine. Dans cette brasserie inaugurée en 1911, il nous signale les motifs de fougères qui se déploient sur le plafond, où s’épanouissent de plantureux luminaires.
Une ornementation qui fait se dialoguer l’architecture inerte et le monde végétal. « L’art nouveau s’est développé à la faveur d’une émulation intellectuelle et artistique unique à Nancy, entre 1871 et 1914, rappelle l’historien. Comme toutes les émulations, elle est fragile. L’exposition internationale en 1909 à Nancy sera son chant du cygne. Il faudra attendre la fin des années 1940 pour qu’un souffle de créativité ranime la ville, porté par Jean Prouvé, fils de Victor. Ce constructeur retisse le lien entre l’art et l’industrie et contribue à l’invention du design, avec des séries comme le fauteuil Cité ou la chaise Standard. En ce sens, il est l’héritier direct de l’art nouveau à Nancy. »
pour découvrir à son rythme le patrimoine Art nouveau, avec la possibilité d’un audioguide. Location: 7,50 €.
VISITER
Église des Cordeliers
66 Grande-rue, 54000 Nancy.
03 83 32 18 74. musee-lorrain.nancy.fr Abritant les tombeaux des ducs de Lorraine, l’église accueille aussi un accrochage qui illustre l’histoire des duchés de Lorraine et de Bar. Entrée gratuite.