DOUARNENEZ
S’il y a bien un port où la sardine n’a jamais rien obstrué, c’est ici ! Filon généreux aux nombreux débouchés, la pêche au « poisson bleu » a façonné l’identité de la ville. Chaloupes sardinières, Penn Sardin, conserveries… l’histoire ancienne et contemporaine est à découvrir au passionnant port-musée ainsi que dans les rues de la cité et de son vis-à-vis
Tréboul, ancien havre de pêche devenu station balnéaire.
plus fort de l’activité, 930 chaloupes sardinières déchargeaient chaque jour leur cargaison dans le port », éclaire Pierre Gestin, médiateur au port-musée de Port-rhu. Les hommes prennent la mer, les femmes, elles, s’affairent dans les conserveries. 4500 pêcheurs d’un côté, 3500 Penn Sardin (leur surnom, en référence à la coiffe qu’elles portaient), de l’autre. « Les femmes avaient un rôle plus large. Certaines étaient commises, c’est-à-dire chefs d’équipe et également acheteuses de poisson. D’autres étaient patronnes de café. En 1920, il y avait 500 bistrots à Douarnenez, tous tenus par des femmes ! »
LA PREMIÈRE « VILLE ROUGE »
Les grèves de 1924-1925 contre des salaires de misère et des conditions de travail éprouvantes les propulsent sur le devant de la scène. En 1924, une femme est élue conseillère municipale. Syndicalistes, militantes, figures du monde associatif… dans cette cité, première municipalité communiste de France en 1921 (c’est la « ville rouge »), on dit que la carte du PC leur servait de marque-page pour le missel à la messe… Hors les Halles, beaucoup de signes rappellent ces labeurs et croyances. Chapelle Sainte-hélène, dans le quartier de Rosmeur. Achevé en 1755, ce rustique lieu de culte dévoile, sculpté sur sa façade, un fou de Bassan (oiseau de mer), des poissons et une barque de pêche. Comment croire qu’il n’a pas été construit pour les marins, à titre de protection divine? Douarnenez n’a-t-elle pas perdu plus de 800 pêcheurs en mer entre le xixe et le xxe siècle?
SARDINES ET LOUPS DE MER
De la chapelle au vieux port du Rosmeur, l’entrelacs de ruelles, passages et escaliers ravive le souvenir de cette vie ouvrière et familiale. Le granit rugueux d’une maison de pêcheur au long toit d’ardoises, rue du Rosmeur. Les vues plongeantes sur la mer depuis les rues des Guetteurs et Anatole-france. Les escaliers usés sous une maison de la rampe du Rosmeur, qu’empruntaient les ouvrières pour rejoindre les conserveries. La façade, justement, de l’exusine Chancerelle (Connétable), ultime
DOUARNENEZ N’A-T-ELLE PAS PERDU PLUS DE 800 PÊCHEURS EN MER ENTRE LE XIXE ET LE XXE SIÈCLE, SOIT PLUS QUE LES DEUX CONFLITS MONDIAUX RÉUNIS ?
conserverie du centre-ville transférée en périphérie en 2015, après 162 ans d’activité – il y en eut jusqu’à 40, il n’en reste que trois. La maison d’un « bourgeois des presses », rue de la Marine, référence à cette caste de notables maîtres d’une technique de pressage des sardines pour les vider de leur huile, avant l’invention de la conserve. L’abri du marin et sa façade rose, bâtisse du philanthrope Jacques de Thézac, ouverte en 1914 pour détourner les pêcheurs des bars et de l’alcoolisme. Les bars, tiens, et leur présence incrustée jusque dans les murs de la ville. Sous la vieille enseigne « À l’abri de la tempête », rue du Couëdic, n’y avait-il pas un troquet de loups de mer? Le Bar de la Rade, quai du Grand-port, célèbre grâce à sa tenancière Micheline, 95 ans, continue d’entretenir la légende des cafés de Douarnenez. À l’exposition « Bistro, l’autre abri du marin », au port-musée, on n’est pas près d’oublier ce propos d’un Douarneniste, diffusé en audio : « Quand il y avait un bistro, tout le monde était là, il fallait vraiment que le gars soit mort pour qu’il soit pas là! »
PORT-RHU, ANCIEN PORT DE COMMERCE
Face au Bar de la Rade, il faut s’attarder devant le vieux port du Rosmeur. Il y danse de nos jours de petits voiliers, à la place des chaloupes sardinières d’autrefois. Il convient de pousser jusqu’au port de pêche et à la criée, où les « poissons bleus », sardines, chinchards, maquereaux, anchois, thons, constituent encore le gagne-pain. Une partie de cette pêche
rejoint les deux conserveries rescapées, Connétable Chancerelle et Paulet Petitnavire. En longeant la corniche et la plage des Dames, ou en coupant par la rue du Port-rhu via la monumentale église du Sacré-coeur (témoin de la richesse de la ville au xixe siècle), on rejoint le Portrhu, port-ria douarneniste, dépositaire d’une histoire différente. Ancien port de commerce, c’est d’ici que partait la toile de Locronan au xvie siècle et qu’arrivait la rogue de Norvège, utilisée pour appâter la sardine. Fermé par une écluse, le Port-rhu abrite le passionnant portmusée et ses bateaux à quai, témoins des activités maritimes de la ville.
MAROCAINS, MAURITANIENS…
En face, ce sont les rives de Tréboul. La passerelle piétonne sur Port-rhu marque le début d’une nouvelle itinérance sur le littoral… marocain. Marocains ? C’est ainsi que dans les années 1970, les Douarnenistes nommaient les Tréboulistes. À cette époque de pêche encore flamboyante, « ils partaient traquer la langouste au large du Maroc. Ceux de Douarnenez, eux, allaient au large de la Mauritanie! », s’amuse Pierre Gestin. L’embourgeoisement balnéaire de Tréboul viendra après, avec l’essor de la plaisance. Les beaux voiliers amarrés dans le port en témoignent. C’est ainsi qu’on « oppose » encore les durs à cuire de Douarnenez et les nantis de Tréboul! De part et d’autre de l’anse de plaisance, Tréboul déroule un trait côtier au charme brut. Coups de coeur pour la rue du Treiz au ras de Port-rhu, les petites rues résidentielles du quartier Saint-joseph, la plagette Saint-jean fouettée aux embruns des tempêtes, le cimetière marin en belvédère, l’adorable chapelle Saint-jean du xviiie siècle, le promontoire de la rue du Rheun, le sentier littoral… Douarnenez-tréboul, deux villes, une même force de caractère.
Nous avons attendu que l’eau baisse et découvre un gué étroit pour y glisser nos pas. Voici donc l’île Tristan, modeste « caillou » rocheux et boisé posé au-devant de Port-rhu, accessible à pied à marée basse (et en bateau depuis Tréboul, d’avril à octobre). Non pas que Douarnenez soit une ville stressante. Mais il règne subitement ici sous les effluves iodés une douce impression « d’ailleurs ». Mélange de nature vierge et d’histoire. Avec ses deux belles bâtisses posées face à la ville, le quai évoque le passé. À droite, l’ancienne conserverie: elle fut exploitée à partir des années 1860 par la famille Guillou de Penanros. À gauche, le bâtiment administratif de l’usine : il a été couplé à un pavillon d’angle par la famille du poète Jean Richepin, propriétaire de l’île à partir de 1911. Une salle d’exposition Anita Conti y a été inaugurée en 2020, souvenir de l’illustre ethnologue et photographe qui avait fait de Douarnenez son dernier refuge. La nature constitue le charme premier de l’île Tristan. Propriété du Conservatoire du littoral, l’île et son coeur ne se découvrent que lors de visites guidées par l’office de tourisme. Quel bonheur ! Une allée couverte de grands arbres encadrée de murs; des prairies vertes ; des châtaigniers ; un jardin exotique ruisselant sous la pluie, avec bambous, magnolias et araucarias. Un phare et un fortin Napoléon III s’incrustent dans ce paysage champêtre, de même qu’une chapelle ouverte et les vestiges d’une maison de garde. L’île Tristan est un émouvant cocon de verdure.
PLOMARC’H, SOUVENIR DE GEORGES PERROS
La balade des Plomarc’h aiguise aussi l’appétit d’histoire et de nature. Le sentier s’échappe en front de côte vers l’est, depuis la rue des Plomarc’h. 1h30 de randonnée aller
retour pour en savoir toujours plus sur Douarnenez. À peine 5 minutes de marche et l’on tombe sur un hameau. Une poignée de penty s’accroche au sol humide, granit solide et petites ouvertures. Un banal écart paysan égaré en bord de mer ? Pas du tout. Ici sont venus les plus grands peintres, séduits par le décor marin. Au xixe siècle et au début du xxe siècle, on y croise Boudin, Sérusier, Matisse, Signac. Douarnenez est le « Barbizon breton ». Plus tard, Max Jacob, enfant de Quimper, y séjourne et invite ses amis Picasso, de Vlaminck, Derain… Il nomme la ville le « Naples breton ». Le hameau est aussi imprégné du souvenir de Georges Perros. L’écrivain, poète et artiste, sociétaire de la Comédie-française et ami de Gérard Philippe, s’installe à Douarnenez en 1958. Il travaillera souvent derrière les volets clos de son penty. Certains
L’ITINÉRAIRE CROISE UN AUTRE VESTIGE DU PASSÉ DOUARNENISTE, TRÈS ANCIEN : DES CUVES GALLO-ROMAINES. ON Y FABRIQUAIT LE GARUM, UNE SAUCE PRODUITE PAR FERMENTATION
DES SARDINES.
se louent désormais en gîtes. Plein est, le sentier file droit vers la grande plage du Ris, ultime alvéole de la baie de Douarnenez. Pelouses et sousbois dominent un estran où les vagues avancent au galop. L’itinéraire croise un autre vestige du passé douarneniste, très ancien : des cuves galloromaines. On y fabriquait le garum, une sauce produite par fermentation des sardines. Le retour par la route du Ris puis le chemin de Poullapic (et ses lavoirs) laisse le temps de méditer sur l’incroyable aventure maritime de Douarnenez.
SE RENSEIGNER
Office de tourisme Destination Pays de Douarnenez
1 rue du Docteur-mevel, 29100 Douarnenez.
02 98 92 13 35. douarnenez-tourisme.com
SE LOGER - SE RESTAURER Hôtel Ty Mad
3 rue Saint-jean, Plage Saintjean, 29100 Douarnenez.
02 98 74 00 53. hoteltymad.com Dans une rue cachée de
Tréboul, près de la mer, une très « bonne maison » aménagée dans une bâtisse fréquentée jadis par les artistes (Max Jacob, Cocteau, Picasso…). L’esprit arty est resté, grâce au talent de décoratrice d’armelle Raillard. Chambres uniques, spa-piscine, excellente cuisine servie dans une salon-verrière. Ouvert de mars à mi-novembre.
Dès 92 € la nuit.
Le Bigorneau amoureux
2 boulevard Richepin,
29100 Douarnenez.
02 98 92 35 55. facebook.com/le-bigorneauamoureux
En corniche au-dessus de la plage des Dames, une adresse où l’on mange des pommes de terre au four avec sardines, moules, lieu, langoustines…
Comptez 25 € environ.
PRENDRE UN VERRE Bar de la Marine
3 quai de l’yser,
29100 Douarnenez.
02 98 90 22 09.
Le vieux café de marins emblématique de la ville.
ACHETER
Boulangerie des Plomarc’h
20 rue des Plomarc’h, 29100 Douarnenez.
02 98 92 37 24. kouign-douarnenez.com Le Kouign Amann de Thierry Lucas est l’un des meilleurs de Bretagne!
VISITER
Port-musée L’escale Maritime
Place de l’enfer,
29100 Douarnenez.
02 98 92 65 20. port-musee.org Un lieu à ne manquer sous aucun prétexte, consacré aux bateaux et aux hommes du monde entier ainsi qu’à l’aventure maritime de Douarnenez. Présentation aérée, visite de bateaux à quai.
VOIR
Les Gras
les Dunkerquois n’ont pas le monopole du Mardi gras déjanté! À Douarnenez, depuis 1835, les habitants font carnaval sous le regard de Den Paolig, une personnalité locale reproduite en papier mâché.