LES VILLAGES CÉVENOLS
une pause pour boire un café près du Tarn, nous disons stop! Prenez le temps de découvrir ce vieux bourg au poids historique plus important que sa taille. Sainte-énimie, c’est d’abord un pont sur le Tarn, détruit et reconstruit plusieurs fois à cause de crues dévastatrices (voir la marque de celle de septembre 1900 en haut du pignon d’une maison, rive droite…).
« C’était une draille pour les moutons entre le Languedoc et la Margeride », explique Sandie Blanc, guideconteuse lozérienne. « Mais aussi un chemin de voyageurs et de marchands. »
En prime, le village doit sa réputation à sainte Énimie dont la légende, au vie siècle, a infusé jusqu’à nos jours. « Cette femme très belle, très croyante, ne voulait pas se marier à un homme mais à Dieu. Elle lui a demandé de contracter la lèpre pour ne pas être séduite. Mais souffrant trop, elle l’a imploré de l’aider. Un ange lui a alors enjoint de se baigner dans la source de Burle. De guérisons en rechutes, elle comprend que Dieu lui envoie un message et décide de s’installer ici dans un ermitage, sous la falaise. La légende était née », raconte Sandie Blanc. Cet ermitage, on l’aperçoit depuis la source, résurgence du causse de Sauveterre formant au pied du village une vasque claire, avant d’aller se jeter dans le Tarn. Au-dessus de la fontaine, Sainte-énimie a conservé ses attributs médiévaux. Calades en galets roulés, ruelles sous voûtes, église romane, maisons à colombages, mesure à grains de l’ancienne halle au blé… jusqu’à ces pattes de sanglier accrochées aux portes et ces pierres dressées au faîte des cheminées pour chasser diable et mauvais esprits… On emprunte aussi avec intérêt la rue Basse, ancienne traversée du village bordée de maisons serrées, qui furent jadis des échoppes. Depuis la rive opposée et le belvédère des Blagueurs, tout le bourg se révèle, dont l’ancienne abbaye, autrefois bâtie par sainte Énimie pour convertir les villageois. Devenue monastère bénédictin, détruite à la Révolution puis reconstruite par les Frères de Saint-vincentde-paul, c’est aujourd’hui un collège, accueillant une quarantaine d’élèves, chanceux d’étudier dans cette commune à l’histoire plus intense que ne l’indique sa traversée.
Ce village du Gard conserve la mémoire de deux périodes clés : l’aménagement du chemin marchand de Régordane et la lutte fratricide entre catholiques et protestants. À première vue, son aspect disparate et peu restauré ne plaide pas en sa faveur. Si nous avons choisi Génolhac, c’est parce qu’il conserve des vestiges intéressants et témoigne d’une double histoire: haut lieu de la révolte des camisards, le village était aussi ancienne ville-étape sur le chemin de Régordane, grâce à sa position favorable sur un axe majeur de commerce et de pèlerinage dès le Moyen Âge.
Très fréquenté du xe au xiiie siècle, le chemin de Régordane reliait le royaume de France au Languedoc, du Puy-en-velay jusqu’à Saint-gilles. Marchands et pèlerins faisaient halte dans les hostelleries de Génolhac. Des maisons souvent dotées d’un double porche, l’un pour rentrer la charrue ou les bêtes, l’autre, plus petit, pour accéder au logis – comme on peut en voir sous le couvert qui enjambe la traverse de la Croix Blanche. Sur les façades, les maisons de la Grand-rue (ou rue Droite, là où passait le chemin de Régordane) et de la rue Soubeyranne portent la trace des fortunes passées: sculptures de personnages ou d’animaux ; linteaux datés ou représentant un statut, commerçant, artisan, bourgeois… Les deux rues se trouvaient à l’intérieur de remparts, auquel on accédait par deux portes. Dans le « rectangle » de cette vieille ville, des couverts, dont l’un subsiste à l’angle de la Grand-rue et de la rue de l’arceau, abritaient le marché. À l’époque, Génolhac était une autoroute marchande : depuis le Gévaudan et le Massif central, des convois de charrettes et de mulets chargés de viande, bois, seigle, châtaignes ou tissus de laine croisaient ceux qui, depuis la Méditerranée, remontaient sel, soie, huile d’olive et vin. Un peu plus loin, sous un passage voûté, la ruelle des Dragons-de-villars dévale vers la Gardonnette, torrent cévenol descendu du mont Lozère.
Le nom de cette venelle rappelle une autre période de l’histoire de Génolhac : la présence de soldats du Roi dépêchés dans les Cévennes au début du xviiie siècle pour mater la révolte des camisards. Parmi ces protestants irréductibles, leur chef local, Nicolas Joany, brûlera l’église en 1702 et détruira le couvent de Dominicains au début de l’année 1703. Un passé révolu car temple et nouvelle église cohabitent désormais sur cette terre qui, il y a vingt ans, accueillait encore deux boucheries: l’une tenue par un catholique; l’autre par un protestant. Tout un symbole.