LE CHANT DE LA TERRE
Ne vous attendez pas à vous faire happer par le grand spectacle, avec mise en scène (en espace) bourrée d’effets grandioses et acteurs de terrain rentre-dedans. Ici, en Mayenne, dans ce coeur de la campagne française, rien de très saillant, jamais d’esbroufe paysagère au programme. Prendre de la hauteur, c’est se hisser au sommet du mont des Avaloirs, à 416 m, comme l' exige la précision topographique. En contrebas, la canopée des forêts de Pail, Perseigne, Multonne ou Écouves moutonne en des nuances de vert. La nature, qui se fiche des frontières, voisine avec la Sarthe et l’orne. Le bocage impose sa géométrie terrienne rassurante, malgré les balafres administratives des remembrements. Celles-ci ont arasé les haies vives où se niche une incroyable et féconde biodiversité; elles ont enfoui dans l’oubli les ombreux chemins creux où se lovaient de puissants mystères. Dans sa ferme silencieuse, entre Ernée et Saint-hilaire-dumaine, il y a un homme qui habite sa terre en poète. Il se nomme Jean-loup Trassard. De cet écrivain virgilien de l’intime paysan, on dirait aujourd’hui qu’il est un « lanceur d’alerte ». Lisez-le, ses mots, outre qu’ils ont la magie de délier les sensualités de la nature, ont plus de force que les « plaidoyers écologistes ».
Des surprenantes Alpes mancelles, des séduisantes « petites cités de caractère » sarthoises (Le Lude, Fresnay-sur-sarthe, Asnières-sur-vègre, Luché-pringé…), des pistes du circuit automobile le plus célèbre du monde, rejoignons la Loire angevine… En aval des Ponts-de-cé, au pied de cette Corniche angevine qui s’étire rive gauche de la Loire, entre Rochefort-sur-loire et Chalonnes-sur-loire, la plate de Jérôme, l’un des rares pêcheurs professionnels à vivre de la manne poissonneuse du Grand Fleuve, remonte le courant, évite quelques tourbillons, donne d’adroits et énergiques coups de bourde, longue perche ferrée, pour s’écarter des zones de basses eaux. Difficile de bien repérer la surface de l’eau. Cette « buée », l’écrivain Maurice Genevoix la qualifiait de « molle et vaporeuse écharpe, émanée du fleuve invisible […] ; elle est comme un fleuve aérien, plus ample et moins réel que l’autre… »
La nasse remontée, le bouchon saute, libérant un monde grouillant et luisant: les lamproies. Un monstre fluviatile antédiluvien effrayant qu’appréciait Rabelais. Un enfant turbulent de Loire dont l’humanisme et l’appétit de vivre reflètent le beau visage d’une France de la Renaissance.
Car aux rives du « dernier fleuve sauvage d’europe », dans ses courbes alanguies, a poussé le « jardin de la France », cette nouvelle Arcadie qui ensemença la civilisation française. Dans cette « vallée des Rois », inscrite au patrimoine mondial de l’unesco, cette consécration est celle d’un exceptionnel « paysage culturel » qui a vu le sacre de la vitalité spirituelle de grandes abbayes, l’éclosion d’une novatrice architecture de plaisance, la terre se parer de vignobles de la renommée.