DE LA PRESQU’ÎLE DE RHUYS À PORT SAINT-GOUSTAN
Sur la presqu’île de Rhuys, dressées au milieu d’un vaste marais salant, les imposantes tours du château de Suscinio surplombent la mer. Résidence favorite des Dreux-montfort, le château fort est le témoin de la puissance de ces deux dynasties ducales qui ont régi la Bretagne du Sud au Moyen Âge. Suscinio, ou « le lieu où il y a des souches » en breton, fut une vaste forêt jadis occupée par des moines bénédictins avant d’être acquis par la famille Dreux, ducs de
Bretagne. Hautement stratégique pour les échanges commerciaux, ce lieu se prêtait également à l’exploitation des marais salants et au commerce du bois, deux activités très lucratives. « Suscinio n’est rien sans sa position à l’entrée du Golfe. Le château et son domaine ont été créés au xiiie siècle, par Jean Ier de Dreux, dans le but de faire de l’argent », explique Pascal Borras, guide-conférencier. Un siècle plus tard, le duc Jean IV de Montfort agrandit l’édifice en le dotant d’un grand logis, aujourd’hui l’aile principale du château. Vu de l’extérieur avec ses tours massives, ses douves et son pont-levis, Suscinio ressemble à une place forte imprenable. Mais une fois à l’intérieur, salles et chambres cossues, inondées de lumière qui pénètre à travers les immenses fenêtres à meneaux et aux coussièges moelleux, témoignent d’une vie douce
À l’entrée du golfe du Morbihan, la presqu’île de Rhuys et la péninsule de Locmariaquer protègent la mer intérieure de l’atlantique. Ces deux lieux aux positions géographiques stratégiques ont été le berceau de riches histoires humaines.
et confortable. « Après la guerre de Succession, la paix semblait stable dans la Bretagne du xive. Les Montfort n’avaient pas vocation à faire de Suscinio une forteresse. Il faut voir ce lieu comme une demeure résidentielle faite pour séduire et impressionner. L’élément le plus parlant de cette recherche de confort est la présence de latrines. En dehors de celles privées du duc et de la duchesse, chaque étage en possédait une, voire deux, destinées aux visiteurs. Chose peu commune au Moyen Âge », précise Pascal Borras. De nombreux éléments architecturaux spécifiques comme l’oratoire ducal, l’escalier de courtoisie – qui relie les chambres du duc et de la duchesse –, le passe-plat et le réchauffoir laissent entrevoir l’opulence qui avait cours au château.
LES MONTFORT N’AVAIENT PAS VOCATION À FAIRE DE SUSCINIO UNE FORTERESSE.
TERRE DE MÉMOIRE
Face à la presqu’île de Rhuys, à un kilomètre à peine, la péninsule de Locmariaquer se rejoint depuis Port-navalo à bord d’une des navettes
de la compagnie Passeurs des îles. Un petit trajet mais un grand bond dans l’histoire, en témoigne le site des mégalithes de Locmariaquer, un des plus intéressants ouvrages laissés par les hommes du néolithique. Le Grand Menhir, célèbre pour avoir été brisé en quatre morceaux, gît au sol tel une baleine échouée. Ce géant de pierre de 21 mètres de hauteur, l’équivalent d’un immeuble de cinq étages, n’est resté debout que durant quelques siècles. Érigé vers 4600 ans avant J.-C., il a été probablement victime d’un violent séisme trois siècles plus tard. Ce gigantesque monolithe en granit de 330 tonnes a été transporté ici par les hommes depuis la presqu’île de Rhuys. « Au néolithique, les anciens chasseurs-cueilleurs se sédentarisent et s’organisent en société en aménageant leur territoire. Ici, nous sommes sur une colline et ce grand menhir posé sur son sommet était certainement un marqueur, une sorte de phare pour signaler le territoire d’un groupe aux autres », raconte
Julie Navéos, guide-conférencière du site. Quelques pas plus loin, la Table des marchands cache une histoire surprenante de “recyclage”. « Bâti
600 ans après le Grand Menhir brisé, il s’agit d’un tombeau à couloir collectif, typique de la période néolithique de la Bretagne. Il était pensé pour être réouvert et réutilisé; on y déposait les défunts côte à côte », précise-t-elle. Si l’acidité de la terre armoricaine a complètement rongé les ossements, les gravures sur pierre toujours
lisibles ne manquent pas de nous surprendre. Une fois accoutumés à l’obscurité, nos yeux distinguent au-dessus de nos têtes, sur la dalle du plafond, la forme d’un auroch gravé auquel il manque les cornes et une partie du dos. « Le reste du corps de l’auroch se trouve à trois kilomètres de là, sur l’île de Gavrinis! La dalle est coupée en deux et vient certainement d’un autre monument plus vieux encore. Les constructeurs de l’époque qui avaient l’habitude de “recycler” les anciens menhirs inutilisés se sont servis de chacune des moitiés pour couvrir les chambres mortuaires ici et à Gavrinis. » Paradoxe mégalithique, le tumulus d’er Grah, le plus grand des trois monuments de Locmariaquer, était dédié à une seule personne. De superbes mobiliers funéraires, dont des bijoux en jadéite, pierre provenant des Alpes, prouvent que le défunt appartenait à un rang très élevé, attestant que l’organisation sociétale était déjà hiérarchisée.
PROSPÉRITÉ PORTUAIRE
Au nord de Locmariaquer, la rivière d’auray, l’une des trois rivières qui alimentent le Golfe, mène jusqu’au port Saint-goustan, niché au fond d’une profonde ria. Sa situation idéale a favorisé sa prospérité au Moyen Âge et, aujourd’hui, l’ancien port et son quartier médiéval constituent une escale de charme incontournable pour tout navigateur qui veut s’aventurer dans le Golfe.
Étape entre Vannes et Hennebont sur la principale voie routière de la Bretagne du Sud, Auray devient un des fiefs des ducs de Bretagne dès le xie siècle. Depuis les ruines du château ducal situé sur les hauteurs surplombant un coude de la rivière, une vue plongeante embrasse le quartier médiéval de port Saint-goustan qui aligne ses jolies maisons à pans de bois le long des quais. Sur la place Saint-sauveur, les nombreux cafés et restaurants invitent à une halte. « Il faut imaginer que, au Moyen Âge, ce lieu fourmillait de toutes les activités liées au commerce maritime. C’était le poumon économique du pays d’auray », explique Clément Robert, médiateur du patrimoine de la ville. À l’instar de Vannes, le port de Saint-goustan fut un véritable carrefour entre terre et mer où s’acheminaient diverses marchandises. « On importait du vin, du sel et du fer de Biscaye. Tandis que l’arrière-pays d’auray exportait ses produits, des céréales mais également des draps et des toiles vers le pays de Galles », précise Clément Robert. À partir du xviie siècle, l’activité portuaire commence à décliner progressivement laissant la place
au tout nouveau port de Lorient devenu la plaque tournante du commerce maritime français. « Avec l’arrivée du chemin de fer à Auray, tout le coeur économique du port migre vers le nouveau quartier de la gare dans la haute ville d’auray et, à partir de là, Saint-goustan tombe dans l’oubli. Pendant une période, ce village pittoresque à souhait que vous visitez aujourd’hui était plutôt malfamé et considéré comme un coupe-gorge. On déconseillait même aux jeunes filles d’y mettre les pieds », explique le médiateur culturel. Pourtant, le 4 décembre 1776, Benjamin
Franklin, un des pères fondateurs de la démocratie américaine, n’a pas hésité à poser ici son premier pas sur le sol français. « C’était la première fois qu’il venait en France dans le but de négocier avec Louis XVI une alliance dans les colonies américaines insurgées. Son navire devait initialement débarquer à Nantes, mais une mauvaise météo l’a immobilisé dans la baie de Quiberon. Benjamin Franklin emprunte alors un voilier qui le conduit à Saint-goustan où il décide de passer la nuit. Cela reste encore aujourd’hui un événement symbolique fort pour le petit port. »