Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Daniel Mangeas, un homme, une voix, une légende
Les grandes voix du sport de l’Ouest 1/5. Voix mythique et inimitable du Tour de France pendant 40 ans, entre 1974 et 2014, le Normand est devenu un personnage historique du cyclisme français.
Il est le monstre sacré du commentaire et des podiums. Reconnaissable à plusieurs dizaines de mètres, sa voix légèrement éraillée, débitant les mots à toute vitesse et racontant les exploits des coureurs avec passion, berce le cyclisme français depuis plus de quatre décennies.
L’histoire de Daniel Mangeas, c’est celle d’un apprenti boulanger, né pour commenter et magnifier les exploits sportifs. Si la plupart des jeunes speakers découvrent leur prédestination au fil du temps, lui, l’a toujours su, comme si c’était inné. « Mes parents m’ont toujours dit : « Après papa et maman, tes premiers mots étaient (Jean) Robic et (Louison) Bobet. Quand j’avais trois ans, je prenais un tube d’aspirine vide et je commentais dedans », confie le Manchois.
Un comportement dès l’enfance qui en disait long sur la future vie du jeune Mangeas. « Elle était tracée, dit-il. Je voulais être commentateur depuis l’âge de huit ou neuf ans. C’est vraiment une vocation. J’avais ça dans les gènes. J’aime le vélo, les rencontres, le sport… J’aime la fête quoi ! »
L’aventure a commencé en 1965 autour d’une partie de baby-foot dans le café de Saint-Martin- de-Landelles avec en fond, sur la télé, un match du Stade de Reims, au moment de sa grande époque. « Quand on jouait, je commentais le match en même temps. J’avais 16 ans et on m’a proposé d’animer la course du village un dimanche. C’est parti comme ça », raconte Daniel Mangeas.
« Mon métier, c’est l’antidote au vieillissement »
Mais à l’époque, être speaker n’est pas vraiment un métier. Fils de parents ouvriers, l’aîné de la fratrie doit vite partir au boulot. Daniel Mangeas obtient donc un CAP boulangerie-pâtisserie et prend le chemin de la capitale, où il exerce pendant près de six ans. « Je faisais mes nuits en boulangerie à Paris, et le jour, je prenais ma voiture pour venir animer en Normandie ou en Bretagne. »
En 1974, Albert Bouvet, directeur adjoint du Tour de France à l’époque, repère le jeune manchois. Il lui propose alors de devenir speaker sur la Grande Boucle dans la Chevrolet sonorisée qui précède les coureurs et pour commenter les départs des contre-la-montre. Lors de la 16e étape, il remplace au pied levé le speaker Pierre Schori, victime d’une panne de voiture, et devient indétrônable.
Commence alors le conte de fées de Daniel Mangeas sur la plus grande course cycliste du monde. Son style alliant passion, humour et sincérité conquit rapidement le public. La joie de vivre et les envolées lyriques du Normand passionnent les foules. « Je crois qu’il n’y a pas d’école pour ça. La meilleure école, c’est celle de l’empathie. Il ne faut pas penser à soi, il faut penser aux autres. J’aime être heureux et voir les gens heureux », assure la voix du cyclisme.
« Véhiculer sa passion », telle est la mission du speaker, estime celui qui a largement contribué au développement du métier. De ses débuts à aujourd’hui, le fait de transmettre son amour du vélo l’a toujours guidé. « Il faut avoir envie de faire épouser la passion qu’est la tienne aux gens. Il ne faut pas entrer dans la démesure mais quand quelque chose est exceptionnel, il faut mettre l’accent dessus. Le vélo est fait d’exploits et de drames, il faut mettre parfois en lumière des faits qui passent complètement inaperçus aux yeux du public », explique l’organisateur de la Polynormande.
Pendant 40 ans, Daniel Mangeas fut un vrai haut-parleur ambulant. En plus d’être commentateur pour ASO (Amaury Sport Organisation), il animait tous les critériums et la majorité des courses cyclistes en France. Un rythme effréné qui le pousse à ralentir la cadence. En 2014, il décide de prendre congé du Tour de France. « Comme j’étais seul sur le podium, j’avais beaucoup de stress car je supportais tout, tout seul, que ce soit le politique qui arrive, les coureurs ou les organisateurs. »
Ce n’est pourtant pas la fatigue physique qui a poussé Daniel Mangeas à mettre le pied sur le frein. C’est surtout pour occuper l’autre mission que la vie lui a confiée, celle de grand-père. « Pendant 40 ans, je n’ai pas eu de vacances d’été, et mes petits- enfants arrivaient au monde. Je souhaitais profiter avec eux et c’est le cas maintenant. Du pur bonheur ! »
« Je compte aller jusqu’aux 100 ans de Bernard Hinault ! »
L’arrêt du Tour de France a été la première étape du ralentissement de son activité. De 200 jours de course par an, il est passé aujourd’hui à une centaine (à 73 ans !) . « C’est difficile d’arrêter un métier passion, tu le fais par étape », lance le Manchois.
Les années passent, les gens vieillissent, la société change, mais Daniel Mangeas, lui, est toujours là à débiter les mots et raconter les exploits sur les podiums. Son secret ? Son hygiène de vie et une passion toujours aussi dévorante. « Je ne bois pas, je ne fume pas. La passion est inoxydable et inaltérable. Mon métier, c’est l’antidote au vieillissement. »
Doté d’une mémoire exceptionnelle, il est aussi réputé pour connaître sur le bout des doigts les palmarès de tous les champions. « Je retiens toutes les performances des coureurs mais quand ma femme m’envoie faire des courses, j’oublie la moitié des choses ! », rigole le septuagénaire.
Aujourd’hui, le Manchois est devenu une figure emblématique de la petite reine. « C’est une fierté et une pression. Je ne pensais pas arriver à ce taux de notoriété. Ce qui me manquera le plus quand je vais arrêter définitivement, c’est le contact avec les gens », confie Daniel Mangeas.
Mais alors, quand va-t-il ranger son micro au placard ? « Je compte aller jusqu’aux 100 ans de Bernard
Hinault !, blague le speaker. Ce qui m’embête, c’est que j’ai encore la même pêche qu’il y a 20 ans ! La même envie, la même force physique, les mots arrivent de la même manière. J’ai l’impression que le meilleur médicament de mon corps, c’est l’animation. »
Avec du recul, il est fier de sa trajectoire. « Peu de gens ont la chance de faire toute leur vie le métier qu’ils rêvaient de faire quand ils avaient 8 ans », estime l’homme de 73 ans.
Si l’histoire du jeune apprenti boulanger est toujours en train de s’écrire, sa mission est déjà réussie. Daniel Mangeas pourra passer le flambeau le coeur léger, lui qui a tant contribué à cette vocation de speaker.
La carrière du Normand, c’est aussi une belle leçon de vie dans un monde où les études et les diplômes font foi. « L’école, c’est bien, mais tu t’instruis surtout tous les jours de la vie. Si tu ouvres les yeux et les oreilles, ta scolarité n’est jamais terminée », lance l’éternelle voix du Tour du France.
Comme quoi l’instinct fait parfois merveilleusement bien les choses pour ces personnes qui, comme Daniel Mangeas, sont nées avec plus qu’une vocation : un métier dans le sang.
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Daniel Mangeas en bref
Né à Mortain (Manche), en 1949, Daniel Mangeas (73 ans) a été le speaker du Tour de France pendant 40 ans. Aussi appelé « l’encyclopédie vivante du cyclisme », ses anecdotes historiques fascinent toujours autant le public. Le Normand aura assuré le développement du métier de speaker et suscité des vocations auprès de la jeune génération.