Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Danièle Bernard : un meurtre vieux de trente-trois ans, réexaminé à la loupe
Parmi les crimes non élucidés que va reprendre le nouveau pôle judiciaire de Nanterre, il y a le meurtre de l’infirmière Danièle Bernard, en 1989 à Auxerre. À cette époque, l’Yonne connaissait un nombre de meurtres élevé.
« Un dossier criminel ne résiste pas à une bonne enquête », veut croire Me Didier Seban, avocat d’une partie de la famille de Danièle Bernard. Cette infirmière de 39 ans a été tuée chez elle, le 6 juillet 1989, à Auxerre (Yonne). Il y a maintenant plus de trente-trois ans… Bien sûr, il y a eu quelques suspects. Du moins, les premières années. Mais aucun aveu, aucune empreinte qui aurait permis de confondre l’un d’eux. Aucun élément nouveau non plus depuis des lustres. Et pourtant, le pôle de Nanterre, créé il y a près d’un an et spécialisé dans les affaires non élucidées (1), s’est emparé de ce dossier, considérant qu’il pouvait y « apporter une plus-value ».
Il n’en fallait pas plus pour faire renaître l’espoir parmi les enfants de Danièle Bernard. « Enfin, ça bouge. Des magistrats s’intéressent à nouveau au dossier. Durant des années, il ne s’est rien passé », raconte Valérie Antier, une aide à domicile de 52 ans, la fille aînée de la victime. Même attente pour son frère Jérôme Balmana, un tailleur de pierres de 39 ans. Il n’avait que 6 ans lorsque sa mère est morte. Trop petit pour comprendre ? « J’ai appris qu’elle avait été assassinée quand j’avais 15 ans. Auparavant, on m’avait raconté différentes choses : un accident de voiture, une maladie… », se remémore-t-il, la colère encore perceptible dans la voix.
Me Seban ne s’enflamme pas. Il sait que les nouvelles investigations vont être ardues. Mais lui aussi aimerait répondre à cette question : « Qu’est-ce qu’on n’a pas vu dans cette affaire ? »
Ce 6 juillet 1989, Danièle Bernard participe à un pique-nique à la ferme pédagogique de l’hôpital psychiatrique. L’infirmière est venue spécialement, elle ne travaille pas ce jour-là et une vingtaine de collègues sont présents. Elle était « en pleine forme, souriante. Elle n’avait vraiment pas l’air d’avoir de problèmes », relatera peu après, Bernard Chauveau, le médecin chef du service, dans les colonnes de L’Yonne Républicaine.
Danièle Bernard quitte la fête vers 14 h 30, passe faire quelques courses et rentre chez elle, dans une petite maison de la rue Renan, à deux pas du centre-ville d’Auxerre. L’habitation « est située dans un renfoncement. Il fallait vraiment savoir qu’elle habitait là », note son fils Jérôme.
En soirée, elle doit aller chercher une amie de sa fille Valérie, à la gare, afin de la conduire chez son ex-mari, Alain, où en cette période de vacances scolaires se trouvent les trois enfants qu’elle a eus avec lui : Valérie, Sylvain et Florent. Son dernier fils, Jérôme, se trouve lui aussi chez son père, un autre compagnon dont elle est également séparée.
Mais la mère de famille ne se rendra jamais à la gare. Personne ne la reverra. Son corps sera découvert le lendemain par son ex-mari et son compagnon du moment, avec qui elle ne vivait pas.
Des vêtements bien pliés
« On a encore du mal à reconstituer ce qui s’est vraiment passé », ne cache pas Me Seban. Le meurtre est sauvage. Danièle Bernard est retrouvée nue, avec un tisonnier et un tournevis dans le corps. Les deux instruments « se trouvaient dans la maison. On peut donc supposer que le crime n’était pas prémédité », note Jérôme.
La porte était fermée, il n’y a pas eu
d’effraction et pour le tueur, « il a sans doute été facile de s’enfuir discrètement par l’arrière de la maison », poursuit son fils. Les courses, achetées la veille, n’avaient pas été rangées. Globalement, un certain désordre régnait à l’intérieur. À un détail près.
Les vêtements de la victime étaient soigneusement pliés sur une chaise. « Jamais elle ne les rangeait ainsi, ça ne lui ressemblait pas », s’étonne encore Valérie. Est- ce le tueur qui aurait pris le temps de le faire ? Dans ce cas, quelle signification donner à ce geste ? « Moi, cela me fait penser à une femme… », poursuit sa fille qui n’écarte pas l’hypothèse d’une meurtrière.
Pour les enquêteurs de la SRPJ de Versailles, les suspects n’ont pas manqué. L’ex-mari de Danièle Bernard avec qui elle ne s’entendait pas bien, notamment au sujet des pensions alimentaires ? Son compagnon du moment, un pilote d’avion de tourisme, avec qui elle prenait plaisir à voler ? Un collègue et ex-amant qui devait venir la voir ce soirlà mais qui a changé d’avis à la dernière minute ? Un patient de l’hôpital psychiatrique ? Et quelques autres anciens amants qui ont jalonné la vie de cette femme pleine d’entrain, par ailleurs responsable d’un groupe de bénévoles au spectacle historique de Saint- Fargeau ? « C’était une belle femme. Maman plaisait beaucoup aux hom
mes. C’est pour cela que les enquêteurs ont avant tout pensé à un homme éconduit ou à une épouse jalouse », note Valérie.
Un tueur en série ?
Mais rien. Malgré plusieurs gardes à vue et des propos parfois confus, malgré quelques indices prometteurs (des cheveux n’appartenant pas à la victime et une empreinte de pas), rien n’a permis de confondre l’un de ces hommes.
Le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) n’existe pas encore. Il ne sera créé qu’en 1998, après l’arrestation du tueur en série Guy Georges. Et en novembre 1999, le couperet judiciaire tombe : le juge d’instruction, faute de pistes, rend un non-lieu. Fin de l’histoire ?
Pas encore. Et si les enquêteurs étaient passés à côté d’une autre piste, celle d’un tueur en série ? « Àcette époque, on n’avait pas pour habitude d’imaginer qu’un crime puisse être commis par un tueur de passage », note Me Didier Seban. Et pourtant… Aussi improbable que cela puisse paraître, dans ces années-là, le département de l’Yonne a abrité pas moins de trois tueurs en série : Émile Louis, surnommé « le boucher de l’Yonne », Michel Fourniret, « l’ogre des Ardennes », et l’Allemand Ulrich Muenstermann, un adepte du culturisme.
L’idée semble alors tellement étrangère aux enquêteurs et aux magistrats qu’il faudra attendre plus de vingt ans pour qu’elle s’impose à la justice dans le dossier des disparues de l’Yonne : sept jeunes filles de la Ddass « volatilisées » entre 1975 et 1979. Le gendarme Christian Jambert avait bien rédigé un rapport, dès 1984, ciblant le chauffeur de car Émile Louis. Mais il n’en sera pas tenu compte et le conducteur ne sera placé en garde à vue qu’en décembre 2000 pour être condamné à la perpétuité, en 2004.
Dans cette affaire, les manquements ont été tels qu’au début des années 2000, la ministre de la Justice, la Finistérienne Marylise Lebranchu, avait saisi le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) afin d’examiner si des sanctions disciplinaires devaient être prises à l’encontre de quatre magistrats de l’Yonne.
« Dans ces années-là, on avait relevé qu’il y avait dans l’Yonne un niveau d’affaires criminelles hors du commun, se souvient le magistrat JeanPaul Bazelaire, un des rapporteurs du CSM. Or, on avait aussi noté que le taux d’élucidation des affaires de meurtres et de disparitions inquiétantes était de zéro. On peut dire que ces magistrats n’ont pas fait preuve de beaucoup d’insistance. »
Alors, se pourrait-il que Danièle Bernard ait croisé la route d’un de ces trois tueurs ? « Les derniers temps, Danièle Bernard se sentait suivie », précise Me Seban.
Trois tueurs dans l’Yonne
Émile Louis ? Cela semble exclu. La justice a fini par vérifier. En 1989, il n’était plus dans l’Yonne et vivait dans le Sud, à Draguignan. Michel Fourniret ? L’homme a vécu dans l’Yonne, à Saint- Cyr-les- Colons, et a tué au moins deux jeunes femmes dans ce département en 1988 et 1990 : Marie-Angèle
Domèce, une étudiante de 19 ans, et Joanna Parrish, une assistante anglaise de 20 ans. Un doute tout de même : Danièle Bernard ne correspondait pas au profil des nombreuses autres victimes du tueur en série, nettement plus jeunes.
Reste Ulrich Muenstermann. « Lui, il m’intéresse », ne cache pas Me Seban. En 2006 et 2007, grâce à l’obstination du juge d’instruction auxerrois Charles Prats, il est mis en cause pour le meurtre de Sylvie Baton, 24 ans, en mai 1989… À Avallon, toujours dans l’Yonne. Le magistrat est parvenu à faire extraire un ADN d’une couverture trouvée sur le lit de Sylvie Baton. Dans les fichiers français, cette empreinte génétique ne correspond à aucun individu. « J’ai alors envoyé cet ADN aux autorités de quarante-trois pays. Et cela a matché en Allemagne », se souvient Charles Prats. Il correspond à Ulrich Muenstermann, déjà condamné à perpétuité pour le meurtre de Karen Oehme, la fille du PDG d’Esso Deutschland, et pour trois viols, dans les années 1980.
Des scellés
Après avoir tué Sylvie Baton, dans la nuit du 4 au 5 mai 1989, à Avallon, aurait-il pu aussi tuer, deux mois plus tard, à 60 km de là ?
« On peut supposer qu’il a pris la poudre d’escampette après avoir tué Sylvie Baton. C’était quelqu’un de très mobile. Mais on ne sait jamais ce qui se passe dans la tête de ces gars-là. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit d’un véritable serial killer », se rappelle le juge Prats.
Au-delà de ces hypothèses, dans cette enquête qui reprend, l’espoir tient aussi aux quelques scellés qui n’ont pas été détruits : un ADN, son journal intime… Me Seban n’exclut pas que d’autres scellés puissent être retrouvés dans les sous-sols du tribunal d’Auxerre, leur archivage dans les années 1980 et 1990 étant plutôt anarchique…
En attendant, Valérie Antier qui, comme sa mère, joue chaque été dans le spectacle historique de Saint-Fargeau, témoigne volontiers dans les médias. « Cela me fait du bien de parler d’elle, reconnaît sa fille. « Et si en plus, cela peut réveiller des consciences… », a-telle souhaité, les larmes aux yeux, lors d’une émission sur France 2. (1) : il est notamment composé de trois juges d’instruction qui ont repris cinquante- cinq affaires et qui s’intéressent au parcours criminel de huit autres tueurs, parmi lesquels Nordahl Lelandais.