Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Confessions d’un ancien agent infiltré pour le FBI
C’est une parole rare. Marc Ruskin, franco-américain de 68 ans, a travaillé vingt ans comme agent sous couverture pour le FBI. Aujourd’hui retraité, il raconte son passé hors-norme de caméléon.
Début des années 2000, sur la côte est des États-Unis. Attablé dans un restaurant malfamé du Queens, à New York, Marc Ruskin est en mission d’infiltration pour le FBI, la police fédérale américaine, en charge du renseignement intérieur. Sa cible : la Cosa Nostra, redoutable mafia sicilienne. Dans cette opération, il se fait passer pour Daniel Martinez, un receleur de bijoux. Cheveux coupés de près, costume luxueux, montre tape à l’oeil et grosse voiture de sport. Le personnage fait mouche.
Alors qu’il casse la croûte avec des mafieux, il s’absente innocemment aux toilettes. Mais lorsqu’il en sort, ses poils se hérissent : l’un des mafiosos l’attend dans le couloir et commence à lui palper le dos, à la recherche d’un micro dissimulé. Goutte de sueur froide, Marc Ruskin garde son calme. Ce jour-là, la chance est de son côté : il ne porte pas d’enregistreur. La mission reprend son cours mais la mort est passée tout prêt. « Ces types pouvaient tuer quelqu’un et manger un plat de pâtes juste après, en riant comme si tout était normal », se rappelle l’infiltré.
Une anecdote parmi tant d’autres dans la vie de Marc Ruskin, 68 ans, agent pour le FBI pendant vingtsept ans, dont vingt passés sous couverture.
« Envie d’aventures »
Visage émacié, regard bleu lagon, voix douce marquée par un accent hispano-américain, on a naturellement envie de faire confiance à Marc Ruskin. C’est sûrement ce qui a séduit le FBI, avec sa capacité d’adaptation hors normes et son esprit vif. « J’ai toujours été fasciné par le FBI, mais quand j’étais plus jeune, je pensais que c’était seulement dans les films. »
Né à Paris, d’une mère argentine d’origine française et d’un père américain, le petit polyglotte déménage à 6 ans aux États-Unis. En grandissant, il se dirige d’abord vers le droit et devient substitut du procureur de Brooklyn. « Mais au bout de quelques années,
j’avais envie d’aventures, explique-t-il. Alors j’ai tenté ma chance au FBI. »
Après une batterie de tests, il est accepté et envoyé à Quantico, le centre de formation, dont il sort diplômé en 1985, à 29 ans.
Le jeune flic commence sa carrière comme agent de terrain à Porto Rico, rejoint ensuite l’équipe de New York et participe en 1990 à sa première mission sous couverture. « Je devais infiltrer la plus grande bourse du monde, Wall Street, pour faire tomber des tradeurs véreux », se souvient-il. Une opé
ration d’un an et demi, digne d’une série Netflix, qui se solde… par un échec. « J’ai été reconnu par une ancienne collègue du bureau du procureur… Mais ça a été une bonne école pour apprendre à vivre sous une fausse identité sans risquer d’être tué. » Être lâché dans la bergerie de Wall Street a ouvert l’appétit du loup Ruskin. Et ça tombe bien. Dans sa carrière, les proies ne vont pas manquer.
De simple figurant à personnage principal, il va enchaîner les missions, de quelques heures jusqu’à plusieurs années. Chaque matin, il sort avec un nouveau portefeuille dans la poche et un personnage différent à incarner. Un jour Sal Morelli, un autre Alex Perez, Eduardo Dean, Pascal Latour… L’espion jouera dans sa carrière avec plus d’une dizaine d’identités.
En face, de gros calibres lui donnent la réplique : mafieux, trafiquants chinois d’héroïne, flics ripoux, terroristes, escrocs à l’assurance… Pour les approcher, le FBI utilise des informateurs. Mais pour gagner la confiance de ces farouches délinquants, Marc Ruskin met six mois à façonner ses « légendes » : des fausses identités, étayées par de vrais documents. « On travaillait beaucoup les dossiers avec mon superviseur, on analysait les cibles et on imaginait le meilleur scénario. L’histoire, le caractère, le physique, les antécédents… Tout était réfléchi. »
Loup solitaire
L’agent n’a qu’un seul objectif : collecter des preuves irréfutables pour faire tomber les malfrats. Et il a sa technique : « Il ne faut pas simplement savoir mentir, mais savoir vivre dans le mensonge. Je ne pensais plus comme un flic, mais comme un délinquant. J’avais souvent peur, l’inverse n’aurait pas été normal. Mais l’important, c’est de ne pas laisser cette peur nous maîtriser. »
En contrepartie d’une vie professionnelle riche d’intrigues et d’aventures, sa vie personnelle est, elle, « assez compliquée, admet Marc Ruskin, qui préfère rester discret à ce sujet, pour des raisons de sécurité. Il y a pas mal de solitude… »
Le soldat de l’ombre prend sa retraite en 2012 et, grand patriote, reste vivre aux États-Unis. Au cours de sa carrière, il aura mis une tripotée de voyous derrière les barreaux, sans (presque) jamais avoir été démasqué et sans jamais avoir fait usage de son arme. Il quitte les couloirs du FBI avec le statut de légende. Et des souvenirs plein la tête.