Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Salim Sdiri : « J’ai pris le javelot de plein fouet »

Recordman de France du saut en longueur, Salim Sdiri a été victime d’un accident gravissime en 2007. Alors qu’il se rhabillait sur le côté de la piste, l’athlète a été percuté par un javelot.

- Hospitalis­é quinze jours « J’aurais pu faire mieux » Pierre GUYON.

C’est une image qui ferait aujourd’hui le tour du monde en 80 secondes. Mais en 2007, les réseaux sociaux n’en étaient encore qu’à leurs balbutieme­nts lorsque la vie de l’athlète français Salim Sdiri, originaire de Montargis (Loiret), a basculé. Ce vendredi 13 juillet, les stars de l’athlétisme mondial sont réunies à Rome pour le meeting Golden League (devenue depuis Diamond League).

Le Français, l’un des meilleurs au monde dans l’épreuve du saut en longueur, – il détient toujours le record de France en salle (8,27 m) et en plein air (8,42 m) – est au bord de la piste. Il n’imagine pas un seul instant ce qui va lui arriver. À l’autre bout du stade, le lanceur finlandais de javelot Tero Pitkämäki manque complèteme­nt son jet. L’engin dévie de sa trajectoir­e et va se planter dans le flanc droit de Salim Sdiri, le dos tourné, et complèteme­nt surpris par l’impact.

Plus de quinze ans après, il raconte : « J’avais terminé mon concours. J’étais en train de me rhabiller pour sortir du stade. Il a lancé hors zone et j’ai pris le javelot de plein fouet. »

L’homme de 29 ans à l’époque, 44 aujourd’hui, est blessé au foie et au rein. « J’aurais pu mourir. Je suis resté hospitalis­é quinze jours, j’ai été arrêté plus de six mois. Les gens pensaient que j’étais guéri mais pas du tout. Psychologi­quement, cela a été très compliqué. Il y avait toujours quelque chose pour me rappeler mon accident. »

Cinq ans après, en 2012, il décide d’engager une procédure contre la Fédération italienne d’athlétisme. Elle est toujours en cours. « Je n’ai jamais obtenu réparation pour le préjudice subi. Ce n’est pas à moi de déterminer la part de responsabi­lité de chacun. J’ai donc entamé une action en justice contre l’organisate­ur, explique- t-il aujourd’hui, impuissant. On ne croise pas deux discipline­s qui partagent presque le même terrain. C’est comme si on faisait un concours de tirs sur un terrain de golf pendant que les mecs jouent. C’est un peu ridicule. »

Il a porté plainte auprès du procureur de Nice qui s’est déclaré incompéten­t. Il faudrait intenter une action en justice directemen­t en Italie, mais la procédure coûte très cher. « Je n’ai pas les moyens, assure-t-il. J’ai écrit au président de la République, je n’ai pas eu de réponse. Le ministère des Sports a demandé à la Fédéra

tion française d’intervenir. On a relancé encore et encore, mais toujours rien. »

Après l’accident, celui qui vit désormais sur l’Île de la Réunion depuis la fin de sa carrière en 2016 a su rebondir. Il a obtenu quelques bons résultats : 4e au championna­t du monde 2010, 4e au championna­t d’Europe 2010. Mais il estime que sans ce javelot, il aurait eu de meilleurs résultats. « À l’époque, j’étais en pleine ascension (il venait de décrocher le bronze lors des championna­ts d’Europe en salle). Je ne peux pas m’empêcher de penser que j’aurais pu faire mieux. »

Rebondir, il a su le faire aussi à la fin de sa carrière. Il est aujourd’hui cadre coordonnat­eur en hôpital de jour et

en soins de suite et de réadaptati­on sur deux établissem­ents à Saint-Denis et à Saint- Joseph. Il n’est pas tendre avec la Fédération française d’athlétisme sur le sujet. « À la Fédé, il n’y a aucun suivi socioprofe­ssionnel des athlètes, pas d’accompagne­ment pour les reconversi­ons. Quand je vois le nombre d’athlètes de ma génération qui galèrent aujourd’hui… Ça m’embête pour eux, j’ai mal au coeur. »

Pas d’excuses du lanceur de javelot

Lui a complèteme­nt arrêté le saut en longueur, même s’il songe à « rechausser les pointes juste pour

me faire plaisir ». Il pose un regard très critique sur le niveau actuel des sauteurs français. « Aujourd’hui, il n’y a plus de résultats. Depuis que j’ai arrêté, j’ai pitié. J’ai gagné 14 fois les championna­ts de France élites. À chaque fois, j’étais autour de 8,20 m voire 8,30 m en plein air. Aujourd’hui, quand je vois que la compétitio­n se gagne à moins de 8m (Jules Pommery est devenu champion de France 2022 avec 7,86 m) et qu’avec 7,70 m tu es sur le podium… C’est une blague. Même en espoir je faisais plus que ça. »

L’homme se dit prêt à aider, car il trouve dommage de garder cette connaissan­ce du saut en longueur pour lui. Il aimerait aussi rendre ce qu’on lui a donné, quand lui a eu la chance plus jeune de tomber sur « d’excellents pédagogues. Je pourrais le faire à mon tour. Mais ce n’est pas moi qui décide. »

Quant au lanceur finlandais, il n’est jamais venu s’excuser. « Je n’ai jamais eu de contact avec Pitkämäki. Je l’ai revu une fois un an après en meeting mais on ne s’est pas parlé. »

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| PHOTO : ARCHIVES THOMAS BRÉGARDIS / OUEST-FRANCE Salim Sdiri a pu reprendre sa carrière après son grave accident. Mais le Français estime qu’il aurait pu obtenir de meilleurs résultats s’il n’avait pas été victime de ce javelot.
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| PHOTO : ARCHIVES REUTERS Le 13 juin 2007, Salim Sdiri est touché par un javelot et est évacué du stade sur une civière.
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