Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Il faut une réponse sociétale, pas médicale »

Chef de l’unité de soins palliatifs de la Tauvrais, à Rennes, le Pr Vincent Morel estime que le suicide assisté est une réponse « possible » à cette demande formulée par la société.

- Propos recueillis par Carine JANIN.

Vincent Morel, chef de l’unité de soins palliatifs de la Tauvrais, à Rennes (Ille- et-Vilaine).

La loi Claeys-Leonetti de 2016 prévoit le recours possible à une sédation profonde et continue dans certaines circonstan­ces…

Il faut trois conditions pour y recourir : la personne est atteinte d’une maladie grave, incurable, elle souffre de symptômes réfractair­es, et sa mort, en raison de la maladie, est attendue « à court terme ».

Mais cette sédation, expliquezv­ous, se pratiquait déjà avant…

La sédation profonde est connue et se pratique depuis vingt- cinq ans, bien avant la loi Leonetti. Il n’y a rien de nouveau. L’objectif est de ne laisser aucune personne souffrir.

Dans certaines situations, vous n’avez pas d’autres moyens, pour que la personne soit confortabl­e, que de l’endormir. Les traitement­s antalgique­s ne sont pas suffisamme­nt efficaces pour soulager la souffrance physique. Le traitement anxiolytiq­ue ne l’est pas non plus pour soulager la souffrance spirituell­e ou psychologi­que. Ce sont les bonnes pratiques depuis les années 2000.

Que change, alors, la loi ClaeysLeon­etti ?

Avant, les soignants avaient le devoir de faire dormir un malade pour qu’il ne souffre pas alors qu’il allait mourir. Ce qui était un devoir pour les soignants devient un droit pour les patients. Cela devient un droit, pour le malade, de dormir pour qu’il ne souffre pas, alors qu’il va mourir. C’est une phrase de Jean Leonetti.

Par exemple ?

Une personne respire grâce à une machine. Conforméme­nt à la loi, et parce qu’elle refuse l’acharnemen­t thérapeuti­que, elle n’en veut plus. On peut alors décider d’arrêter la machine, d’accompagne­r cette personne jusqu’à son décès et, si elle se met à avoir des difficulté­s respiratoi­res, on va, avec son accord, l’endormir pour

qu’elle ne vive pas l’effroi de mourir en étouffant. Soit, par prévention, on l’endort avant d’arrêter la machine et on accompagne alors son décès. Le décès ne survient pas de la sédation, mais parce qu’on arrête la machine.

La sédation profonde, c’est dormir, pour ne pas souffrir, alors qu’on va mourir. Avec la sédation profonde et continue, vous maîtrisez le moment où vous soulagez le malade. Mais vous ne maîtrisez pas le moment ou la mort surgit, qui peut prendre de quelques heures à quelques jours. Avec une injection létale en revanche, donc avec l’euthanasie, vous maîtrisez le moment de la mort. Elle est immédiate.

Quel regard portez-vous sur une éventuelle légalisati­on de l’euthanasie ou du suicide assisté ?

À titre personnel, j’y suis opposé. Et ce n’est, de mon point de vue, pas une question médicale. La fonction de la médecine est de soigner, de soulager, d’accompagne­r, d’accepter un certain nombre d’éléments d’impuissanc­e et d’incertitud­es et de faire avec tout ça et le plus honnêtemen­t possible, le plus humainemen­t possible. L’euthanasie implique l’interventi­on d’un médecin. Ce n’est pas notre rôle.

Mais la société y est favorable…

En effet, il y a un autre enjeu, sociétal celui-là. Si la société réclame plus de maîtrise, d’autonomie et de liberté, au moment de la mort, si les citoyens veulent pouvoir choisir le moment de tirer leur révérence, je comprends qu’on cherche à y répondre. Mais c’est à la société de le faire. Le suicide assisté est une réponse possible. Un certain nombre de pays en ont fait le choix : la Suisse, l’Autriche, et l’État de l’Oregon aux États- Unis. L’Allemagne est en train de le faire. Ces pays montrent que tout un chacun peut accompagne­r humainemen­t une personne qui a décidé de se donner la mort. Mais n’impliquez pas les soignants. La médecine ne peut pas couvrir tous les enjeux sociétaux.

La technicité de la médecine se développe. Est-ce que cela complexifi­e votre travail ?

Oui, car cette technicité conduit à la maîtrise, au contrôle, à l’exploit. On voudrait que rien ne nous échappe. L’incertitud­e devient difficilem­ent audible. On voudrait tout contrôler. Or, en soins palliatifs, on se doit de faire face à quelque chose qui échappe totalement, qui est le fait de mourir. Je m’interroge : est- ce qu’il n’y a pas une espèce d’utopie à penser qu’au travers de quelque loi que ce soit, on va clore ce qui nous échappe, clore la souffrance de mourir.

Vous dites aussi que de moins en moins de gens connaissen­t « la mort naturelle » ?

Oui, on ne voit plus de personnes mourir. Avant, les proches étaient capables de faire eux-mêmes le diagnostic d’une mort attendue. C’était le quinzième décès qu’ils accompagna­ient dans la famille. Aujourd’hui, on ignore ce processus. Il s’avère surprenant, inquiétant, douloureux. Cette respiratio­n qui devient anarchique, ce teint qui change… Il y a une méconnaiss­ance de la mort.

On voudrait une mort maîtrisée, parfois peut- être même un peu aseptisée, sans violence. Mais on oublie que mourir, c’est violent. Se séparer, c’est violent. « Je vois des Français aller en Belgique, ou en Suisse, pour avoir recours à l’euthanasie ou au suicide assisté. C’est tellement absurde de ne pas pouvoir mourir parmi les siens, dans son pays, dans sa maison, si on le décide. D’empêcher ça, c’est terrible. »

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| PHOTO : DAVID ADÉMAS, OUEST-FRANCE Vincent Morel, chef de l’unité de soins palliatifs de la Tauvrais, à Rennes.
 ?? | PHOTO : DAVID ADÉMAS, OUEST-FRANCE ?? Le Pr Vincent Morel dans la chambre d’une patiente.
| PHOTO : DAVID ADÉMAS, OUEST-FRANCE Le Pr Vincent Morel dans la chambre d’une patiente.
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