Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

La fin de vie s’accompagne aussi à domicile

La prise en charge en soins palliatifs ne se résume pas aux « unités » de soins palliatifs. Méconnus, les services d’hospitalis­ation à domicile accompagne­nt aussi des personnes en fin de vie.

- Reportage C. J.

Claire Colin, médecin et Julie Lambertz, infirmière, sonnent à l’interphone d’un immeuble cossu du centrevill­e de Rennes. L’infirmière porte sur son dos une grosse mallette de soins. La médecin une pochette d’ordinateur. Aucun signe distinctif sur leurs vêtements, pas plus que sur leur voiture blanche, banalisée. Elles viennent rendre visite à Monsieur O.

Toutes deux sont soignantes au sein de la HAD35, Hospitalis­ation à domicile, qui couvre un territoire de 900 000 habitants. Une associatio­n à but non lucratif, qui accompagne 250 malades au quotidien à domicile, dont 80 en fin de vie. « Nous sommes, en fait, la plus grosse unité de soins palliatifs du départemen­t d’Ille- et-Vilaine », sourit la médecin. « L’hôpital est situé dans un quartier de l’ouest de la ville. Mais les chambres des patients sont à 5, 10, 40 km aux alentours », dit Michèle Lassalle, directrice de l’associatio­n.

Monsieur O. frissonne sans arrêt et se sent « épuisé » mais il a n’a pas perdu son sens de l’humour. Il est atteint d’un cancer du pancréas. « Le meilleur », dit, pince-sans-rire, ce prof d’anglais en retraite, 84 ans. C’est son médecin qui lui a proposé une hospitalis­ation à domicile. Il a dit « oui », tout de suite. « Ici, j’ai mes repères, explique-t-il, chaudement vêtu, dans un fauteuil du salon. Il y a les soins, mais aussi la présence de ma femme. La tendresse », glisse- t- il, les yeux mi- clos. La dégénéresc­ence maculaire liée à l’âge (DMLA) qui touche aussi Monsieur O. fragilise ses yeux. Il ne peut plus lire.

Un lit médicalisé a été installé dans le salon, ainsi qu’une « tour médical », en cas d’urgence. Et un pied à perfusion, au cas où. Pour l’instant, en dehors de sa fatigue extrême et de ses douleurs musculaire­s, il dit ne pas trop souffrir. Une infirmière libérale passe trois fois par jour. Une auxiliaire de vie vient l’aider pour faire sa toilette, et deux fois par semaine, pour la nuit. « Pour que ma femme, Marie (1) puisse dormir », dit-il. Parfois, aussi, c’est la médecin de la HAD

qui vient prendre le pouls de l’évolution du patient, ou réajuster ses traitement­s.

« Faire aussi bien qu’à l’hôpital »

Bien qu’encore « méconnue », alors que 80 % des Français expriment le souhait de mourir chez eux, l’hospitalis­ation à domicile fait partie de la palette de dispositif­s de prise en charge de la fin de vie. Les unités de soins palliatifs accueillen­t les patients les plus « complexes ». L’équipe mobile de soins palliatifs distille ses conseils en Ehpad, à domicile, dans les services hospitalie­rs. Des « lits identifiés de soins palliatifs » sont proposés dans les services de l’hôpital, en cardio, pneumo, etc.

L’hospitalis­ation à domicile complète, elle, ce panel d’accompagne­ment dans le départemen­t, parmi les mieux équipés. En plus de répondre à la demande de patients, la HAD a des vertus budgétaire­s : une journée

de prise en charge coûte 350 €, contre 550 € dans une unité de soins palliatifs.

Médecin, mais aussi psychologu­e, socioesthé­ticienne… « L’objectif est de faire aussi bien qu’à l’hôpital », explique Michèle Lassalle. Une permanence médicale est assurée 24/24 et les infirmière­s se déplacent aussi la nuit.

« Le patient est plus serein, il y a une symétrie dans la relation », constate l’infirmière Julie Lambertz. « L’entourage est le partenaire du quotidien, ajoute la médecin. On le veille aussi. Parfois, c’est le proche qui craque et alors, on s’adapte. En organisant, par exemple, un séjour de répit du patient en unité de soins palliatifs », avec qui la HAD est en lien direct.

Car accompagne­r une fille, un père, un mari en fin de vie à la maison est une épreuve. Marie, qui « admire le courage » de son compagnon, est épuisée et chamboulée par la situation. « Il est dans sa bulle, alors qu’avant, on communiqua­it beaucoup, sur les livres qu’on lisait, la musique qu’on écoutait, souffle- telle. « Dimanche, il ne voulait pas se lever, ni s’habiller. J’ai appelé l’infirmière, qui m’a dit : « Ce n’est pas grave, laissez- le se reposer, il faut respecter ses désirs. » J’ai compris alors que ses désirs n’étaient pas forcément les miens. Et cela me bouleverse. » Elle vacille quand son mari, à bout de forces, lui demande : « Pourquoi faire sa toilette ? » « Mais oui, reprend- elle : pourquoi ? »

Marie a besoin de parler et l’infirmière et la médecin prennent le temps de l’écouter. « On fait de la dentelle, confie Claire Colin. Il faut parler et agir avec délicatess­e. » Quand le patient demande « com

bien de temps me reste-t-il à vivre ? » « Et vous, qu’en pensez-vous ? » demande en retour la médecin. Une manière de s’assurer, avant de répondre, que le patient a vraiment envie de savoir.

Il est maintenant midi et les soignantes reprennent la route. Elles vont visiter Jeanne (1) dans son petit appartemen­t à l’ouest de la ville. Atteinte d’un cancer ORL, elle souffre terribleme­nt depuis plusieurs jours, et la morphine n’agit plus. Les yeux cernés, le corps ralenti, allongé sur le canapé du salon, la femme, 54 ans, est reliée à quatre perfusions et sondes. Elle ne peut plus s’alimenter. Une minerve qui tient sa tête laisse apparaître une trachéotom­ie. Après avoir consulté le dossier médical de sa patiente, sur une applicatio­n de son téléphone, Julie Lambertz, les yeux sur les pompes à morphine, vérifie que les doses prescrites sont adaptées.

« Ici, je peux cuisiner »

La médecin soulève la question d’engager une cure de kétamine, pour « remettre à zéro les récepteurs de morphine ». À l’hôpital ? La patiente veut rester chez elle. Étayée par tout un arsenal de soignants qui la visite au quotidien, elle s’y sent en sécurité. Son mari, lui, en raison des risques d’hallucinat­ion que peut provoquer la cure, préférerai­t qu’elle soit hospitalis­ée. On pèse le pour et le contre et la médecin convient d’en discuter, d’abord, avec l’oncologue de Jeanne. « Je me sens mieux chez moi, dit- elle. Ici, je peux cuisiner, changer de pièces. À l’hôpital, je maigris, alors que chez moi, je prends du poids. »

(1) Prénom d’emprunt.

 ?? | PHOTO : DAVID ADÉMAS, OUEST-FRANCE ?? Une médecin et une infirmière coordinatr­ice chez une patiente en soins palliatifs qui souhaite, autant que possible, rester chez elle à Rennes (Ille-et-Vilaine) en bénéfician­t des services de l’hôpital à domicile.
| PHOTO : DAVID ADÉMAS, OUEST-FRANCE Une médecin et une infirmière coordinatr­ice chez une patiente en soins palliatifs qui souhaite, autant que possible, rester chez elle à Rennes (Ille-et-Vilaine) en bénéfician­t des services de l’hôpital à domicile.

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