Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

« Pendant une semaine, je m’occupe de Moi » : la garde alternée, côté parents

Ce mode d’organisati­on de l’hébergemen­t de l’enfant de parents séparés s’est répandu dans tous les milieux sociaux. Et il n’y a pas que du mauvais...

- Charlotte HERVOT.

« La résidence alternée, je ne voulais pas en entendre parler. Avec le recul, je ne regrette pas. Parce que mon fils avait autant besoin de son père que de moi. Parce que ce rythme, une semaine sur deux, lui a permis de trouver un équilibre. Et à moi aussi. » Séparée depuis sept ans de son ex- conjoint, Céline, 43 ans et mère d’un enfant de 11 ans, retrace ce choix, qui n’en était pas vraiment un au départ.

« On était ensemble depuis dix ans, on avait fait construire une maison. Notre fils avait trois ans et demi quand on s’est séparés. C’était très égoïste, mais je ne me voyais pas vivre une semaine sans lui. » Après la rencontre avec une médiatrice familiale, la résidence alternée est finalement mise en place.

« Ça s’imposait »

Pour Édouard, divorcé à 30 ans et père de deux enfants de 8 et 9 ans, le choix de la résidence alternée était assumé. C’est d’ailleurs le cas de la majorité des parents alternants, qui décident de sa mise en place à l’amiable. « C’est peut- être le seul point qui n’a pas été discuté lors du divorce. Ça s’imposait, assure ce développeu­r de 33 ans. J’ai toujours été un père présent, je voulais continuer à éduquer mes enfants. »

Ce mode d’organisati­on nécessite un temps d’adaptation plus ou moins long. Notamment pour vaincre le sentiment de solitude. « Une séparation avec une résidence alternée derrière, c’est double peine : on doit faire le deuil de son couple et apprendre à vivre sans notre enfant une semaine sur deux, observe Céline, derrière la page Facebook « Maman une semaine sur deux ». Ça n’aide pas à se dire que la situation peut avoir des côtés positifs. »

Céline estime avoir mis deux bonnes années à trouver un équilibre. « Au début, c’était très difficile. J’ai tourné en rond, j’ai beaucoup pleuré. J’attendais ma semaine. Et commencer à la préparer, c’était une façon de tenir. » Difficile dans ces conditions de « profiter » de sa semaine. Et ce, d’autant plus à l’approche des fêtes, qui viennent rappeler au parent alternant sa situation.

« En mode attente »

L’an dernier, Damien (1), 38 ans, séparé de son ex depuis deux ans, « appréhenda­it beaucoup » son premier réveillon sans son fils de 5 ans. « Mon père, avec qui j’ai passé la soirée, a été super. J’ai récupéré mon fils le lendemain midi. » Cette année, le calendrier fait que le réveillon et le jour de Noël sont tombés pendant sa semaine, « le top », mais il anticipe déjà 2023. « Je ne l’aurai ni le 24 ni le 25. Je vais trop bader (angoisser). C’est dur, alors je n’ai pas répondu à mon ex, je fais l’autruche. »

« La première année, c’était terrible », se souvient Céline, chez qui la résidence alternée est « rodée ». Et au fil du temps, « ça s’arrange, on se détache des dates. On fait la fête autrement. Le vendredi, quand on se retrouve par exemple, on se fait un apéro dînatoire ». Désormais, elle vit pleinement ses semaines sans son fils. « Je ne suis plus en mode attente. »

Édouard a lui aussi mis du temps à apprivoise­r la solitude. « J’ai rencontré la mère de mes enfants la veille de mes 16 ans et on s’est séparés à mes 30 ans. Je suis passé de chez mes parents à chez nous. Ça a été un vrai vide de me retrouver dans ce

grand appartemen­t sans enfants, sans bruit. »

Passions salvatrice­s

Le trentenair­e a compensé la solitude par le travail. Jusqu’au burn- out. S’il va mieux, Édouard se protège encore : « À partir du vendredi matin, quand je dépose les enfants à l’école, je ne vais plus dans leurs chambres. »

Renouer avec des activités délaissées l’a aussi aidé à passer ce cap. Édouard a toujours eu des passions « qui prenaient beaucoup de temps et d’espace » : la photograph­ie argentique, la mécanique… « Quand les enfants sont nés, j’ai mis ça de côté. M’y replonger a été salvateur. »

D’abord, pour que le temps sans ses enfants passe plus vite, puis pour

le plaisir. « Je me suis rendu compte qu’avoir une semaine seul n’était pas forcément une mauvaise chose.

Que j’en avais besoin même, parce que ça ne m’était jamais arrivé. Et que ça n’était pas non plus juste un temps pour se remettre de la semaine passée, mais aussi pour s’épanouir. »

Même constat chez Angèle (1), 43 ans, mère de deux enfants de 11 et 17 ans. Devenue mère à 26 ans, elle s’est sentie dissoute dans son couple et son rôle de mère.

« Ça a étouffé la femme que j’étais, note cette communican­te. La résidence alternée, c’est l’équilibre idéal pour moi aujourd’hui. Les semaines où j’ai mon fils, j’en profite à 100 %. Quand il n’est pas là, je sors, je prends soin de moi… Je me suis épanouie sur tous les plans. »

Sa nouvelle situation l’a aussi poussée à tester des choses. « Je faisais beaucoup d’activités en couple, donc j’ai dû assumer certaines choses, comme partir en vacances toute seule. Ça m’a permis de reprendre confiance en moi. »

« On ne s’oublie pas, on ne s’oublie plus »

Il a aussi fallu qu’Angèle assure financière­ment. « Ce n’est pas évident tous les jours, mais c’est une fierté. » Céline résume : « On ne s’oublie pas, on ne s’oublie plus. »

Ce discours d’empouvoire­ment (renforcer son potentiel, son estime de soi) ne surprend pas le sociologue Benoît Hachet (lire ci- dessous), qui a mené des entretiens avec quarantede­ux parents alternants pour son enquête : « Virginia Woolf parlait de « chambre à soi » pour désigner l’espace nécessaire pour permettre aux femmes de s’émanciper. Là, c’est une semaine à soi. Le fait d’avoir cet espace, à la fois physique et mental, qui n’existait pas ou peu dans la vie familiale, permet une espèce de renaissanc­e. »

Reste que ces parents se montrent souvent discrets sur ce sentiment de renouveau, à la fois tabou et incompréhe­nsible lorsque la séparation est récente.

« Je n’ai plus de comptes à rendre »

« Dire que l’on peut s’en remettre et même le vivre pas si mal que ça est quasi inaudible pour les parents au début. C’est comme une trahison par rapport à l’enfant, analyse Céline, qui soutient bon nombre de parents via son blog et les réseaux sociaux. Je n’insiste pas, c’est à eux de faire leur chemin. »

La résidence alternée permet aussi de se (re)découvrir comme parent, mais sans l’autre. « Je n’ai plus de comptes à rendre. Je fais des choix parce qu’à mon sens, c’est bien pour mes enfants, tranche Angèle. L’éducation, ça sera la mienne, sans compromis. Ils vont prendre ce qu’ils voudront de leur père et de moi. »

Celle qui a vécu quinze ans en couple l’assure : « Je pense qu’on est meilleur parent ainsi. » (1) Le prénom a été modifé.

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 ?? ?? La loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a fait entrer la résidence alternée dans le Code civil.
La loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a fait entrer la résidence alternée dans le Code civil.
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La résidence alternée permet aussi de se (re)découvrir comme parent, mais sans l’autre.
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| PHOTO : MAGALI MOREL, OUEST-FRANCE
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| PHOTO : MAGALI MOREL, OUEST-FRANCE

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