Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Ces « masculinistes » qui harcèlent les femmes
Le mouvement de libération de la parole féminine, parti d’Hollywood en 2017, a été suivi d’une forte réaction misogyne sur les réseaux sociaux.
Cécile Delarue, réalisatrice d’Affaire Amber Heard/Johnny Depp : la justice à l’épreuve des réseaux sociaux.
Comme définissez-vous les « masculinistes » ?
Les « masculinistes » revendiquent une domination masculine, se sentent menacés par les progrès des droits des femmes et se donnent pour mission de contrer le féminisme. Les réseaux sociaux leur ont donné une nouvelle visibilité. Sur le plus grand forum mondial de discussion en ligne, Reddit, ils sont présents sous le nom The Red Pill. Parmi les leaders masculinistes l’un des plus suivis, avec 14 milliards de vues sur TikTok, le sulfureux Andrew Tate, champion de kick-boxing, et son « academy » pour obtenir « pouvoir, argent et femmes ». Banni des réseaux en août 2022, mais réintégré par Twitter, il a été arrêté en décembre en Roumanie, soupçonné de trafic d’êtres humains.
Le masculinisme, est-ce une réaction au mouvement #MeToo ? Les partisans du conservatisme patriarcal ont toujours existé, de manière plus ou moins active et radicale. L’élection de Donald Trump, en janvier 2017, a conforté un masculinisme décomplexé. Puis en octobre 2017, le mouve
ment #MeToo, né d’un tweet de l’actrice Alyssa Milano, a déclenché une virulente réaction masculiniste. Le divorce de Johnny Depp et Amber Heard, acté le 27 mai 2016, est devenu leur cheval de bataille. L’actrice a subi un déchaînement de violence en ligne. Il s’agissait de montrer qu’elle mentait pour montrer que « les femmes » mentent.
Quels poids ont eu les masculinistes dans l’affaire Depp-Heard ?
L’un des avocats de Johnny Depp, Adam Waldman, a reconnu avoir fourni
des informations à des youtubeurs. Or, certains d’entre eux étaient connus pour leurs campagnes anti #MeToo. Des pièces du dossier, vidéo, conversation, ont été manipulées grossièrement. Fausses informations, faux comptes, militants autoproclamés « journalistes », ont réussi à faire basculer l’opinion. Notamment les plus jeunes. #JusticeforJohnny a été relayé 600 000 fois. Il n’y avait plus de victime avec des bleus au visage. Et le tribunal de Fairfax (États-Unis) a condamné Amber Heard pour diffamation.
Quel impact au-delà de ce procès ? En Grande-Bretagne, la justice a confirmé les actes de violence subis par Amber Heard et rejeté la plainte en diffamation. Mais le populaire média en ligne Daily Wire a affirmé le contraire. Les réseaux sociaux ont occupé la place laissée vacante par les médias traditionnels, qui ont négligé ce procès « people ». Or, ce qui s’est passé sur les réseaux durant ces cinq années n’est pas anodin. Il y a la crainte que ce verdict dissuade les victimes de parler.
En France, plusieurs femmes ont été prises pour cible ?
Oui. Nous revenons notamment sur le cas d’une journaliste d’Europe 1 qui a été la cible d’un harcèlement masculiniste très violent à la suite d’une chronique d’une minute quarante secondes, deux semaines après le début de #MeToo. Son téléphone, ses comptes en ligne ont été saturés d’insultes et des montages vidéos la montraient violée ou égorgée. Son adresse et celle de l’école de son enfant ont été publiées. Elle a dû déménager trois fois. Plusieurs des six hommes condamnés n’avaient même pas écouté sa chronique.
France 5, 20 h 55.