Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Le manoir de Rozven, nid d’amour de Colette

Un château, une histoire d’amour. Le 28 janvier, la célèbre écrivaine Colette aurait eu 150 ans. Petite balade dans la vie rebelle et dans les amours de la « Dame de Rozven »…

-

Sidonie- Gabrielle Colette (« MinetChéri » pour sa mère) naît le 28 janvier 1873 dans l’Yonne, en Bourgogne. Elle est la fille de Sidonie Landoy, « Sido », et du capitaine Colette, ancien officier. Curieuse de tout – nature, animaux, lectures – élevée par des parents indulgents qui la laissent explorer le monde, la jeune fille s’épanouit sans contrainte­s.

Vers 1890, elle rencontre celui que tous surnomment Willy : Henry, fils aîné de l’éditeur Gauthier-Villars. Sido apprécie peu cet écrivain en vogue, mondain à la vie dissipée, et proteste vivement lorsqu’il prétend épouser sa fille. Mais rien n’y fait, Gabrielle est amoureuse, follement. Et, après de longs mois de fiançaille­s, le 15 mai 1893, le couple convole avant de s’installer dans la capitale.

La petite « Madame Willy » s’initie à la vie du Tout- Paris littéraire où son naturel, sa vivacité et son rude accent bourguigno­n enchantent les uns et choquent les autres. À l’époque, Willy collabore à de nombreuses publicatio­ns. Il est toujours à court d’argent, il faut « produire » de plus en plus et sa femme fait bientôt partie de son équipe de « prête-noms ».

Missy et la Bretagne

Mais le succès des romans narrant les aventures de Claudine, écrits par Gabrielle et signés de son époux, ne console pas la jeune femme. Les infidélité­s de Willy sont notoires et se multiplien­t. Au début, elle refuse d’y croire mais, devant les preuves, elle s’effondre, tombe malade, manque de mourir, sans doute d’une typhoïde.

Rétablie, la petite Bourguigno­nne, jadis effacée, s’éloigne de son mari, avant de se muer en ce qu’elle demeurera sa vie durant : une rebelle et une « scandaleus­e ».

Rêvant d’indépendan­ce, elle prend des leçons de pantomime (spectacle de mime) avec Georges Waag, un comédien qui l’entraîne sur la route des tournées. De 1907 à 1912, elle joue en sa compagnie de nombreuses pièces et, le 3 juillet 1907, fait scandale au Moulin rouge, en apparaissa­nt presque nue dans Rêve d’Égypte.

Elle poursuit également son activité d’écrivain. Surtout, elle demande le divorce et s’installe rue de Villejus,

non loin de chez Missy, marquise de Belboeuf qui se fait appeler « Monsieur le Marquis ». Noble, riche et généreuse, la fille du duc de Morny et Gabrielle se sont rencontrée­s en 1905, au Cercle des arts et de la mode. Elles passent désormais leurs étés à deux, en bord de mer.

De 1906 à 1910, elles sont au Crotoy, dans la Somme, où la « marquise » loue une villa. En mai 1910, elles délaissent le Nord pour la Bretagne, bien décidées à trouver la maison de vacances idéale dans un cadre moins pluvieux. Missy achète alors Rozven, un magnifique manoir que l’on peut admirer depuis la plage de la Touesse à Saint- Coulomb, près de Saint- Malo (Ille- et-Vilaine). La vente se fait le 21 juin 1910, jour du divorce de Colette, au nom de cette dernière.

Amoureuse de l’amour

Les deux amies remeublent entièremen­t la demeure et y font de nombreux travaux. Rozven est pour Colette un lieu où elle reprend des forces, comme chaque fois qu’elle se rapproche de la nature. Hélas, une ombre se profile au tableau. Les rapports avec Missy se détérioren­t. Les deux fem

mes se séparent finalement à l’amiable, Colette gardant le Manoir.

Une petite communauté littéraire et artistique se met à y vivre l’été. Il y a là l’actrice Musidora, les écrivains Francis Carco, Léopold Marchand, Germaine Beaumont, Hélène Picard… Colette adore la vie à Rozven.

Elle va bientôt aussi y accueillir un nouveau venu qui a remplacé Missy dans son coeur. C’est Henry de Jouvenel, rédacteur en chef du quotidien Le Matin, avec lequel la jeune femme commence à collaborer. Cette fois encore, malgré l’avertissem­ent de sa mère qui le pense « pire que le précédent », elle se lance avec fougue dans cette nouvelle passion.

Rien ne compte plus que son « Sidi », ainsi qu’elle l’appelle. Elle l’aime tant qu’elle accepte de risquer sa chance et l’épouse le 19 décembre 1912. Quelques semaines après la mort de sa mère, sa « Sido » adorée, elle se découvre enceinte. Colette de Jouvenel, surnommée « Bel- Gazou », sera son unique enfant.

Nouvelle désillusio­n

Colette, qui s’est approprié comme nom de plume le patronyme paternel, est à présent baronne, épouse et mère. Le calme, enfin ? Malheureus­ement, l’écrivaine ne tarde pas à découvrir que Sidi est aussi menteur que Willy et qu’il la trompe tout autant.

En juillet 1922, Colette retrouve son cher manoir. Elle a emmené sa fille, Bel- Gazou, et aussi les enfants

d’Henry, Renaud et Bertrand. Des amis de la famille les accompagne­nt. Parfois, Sidi vient les rejoindre. La relation entre Colette et son mari se dégrade.

Au mois d’août, alors que le couple bat définitive­ment de l’aile, l’épouse délaissée se trouve seule avec Bertrand, un jeune homme séduisant et qu’elle ne connaît pas vraiment. Une idylle se noue entre eux qui lui inspirera le roman Le Blé en herbe, avec la Bretagne comme décor à son histoire.

Femme de lettres reconnue

De nouveau divorcée, Colette, qui est maintenant reconnue comme une des grandes femmes de lettres de son temps, multiplie les activités : conférence­s, ouverture d’un institut de beauté « bio », dirait- on aujourd’hui, rédaction du livret d’opéra L’enfant et les sortilèges, de Maurice Ravel. Elle trouve même le temps de se remarier avec Maurice Goudeket, un homme d’affaires de seize ans son cadet, qui, lui aussi, connaîtra les charmes des étés à Rozven, « le plus beau paysage de la terre ! » Mais, en 1924, elle décide de vendre cette maison peut- être trop pleine de souvenirs…

Colette meurt le 3 août 1954 à Paris et devient la première femme à laquelle la République accorde des obsèques nationales. Elle repose au cimetière du Père-Lachaise, auprès de sa fille.

 ?? PHOTO ARCHIVES OUEST FRANCE ?? Le manoir de Rozven, à Saint-Coulomb (Ille-et-Vilaine), où Colette passa de nombreux étés.
PHOTO ARCHIVES OUEST FRANCE Le manoir de Rozven, à Saint-Coulomb (Ille-et-Vilaine), où Colette passa de nombreux étés.
 ?? | PHOTO : BNF ?? Henry de Jouvenel des Ursins, deuxième mari de Colette.
| PHOTO : BNF Henry de Jouvenel des Ursins, deuxième mari de Colette.
 ?? | PHOTO HENRI MANUEL ?? Colette, vers les années 1910. :
| PHOTO HENRI MANUEL Colette, vers les années 1910. :

Newspapers in French

Newspapers from France