Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Elle scrute les mouches pour étudier les mutations

Depuis plus de vingt ans, Virginie Courtier- Orgogozo dédie son temps à la recherche de pointe en biologie, afin de mieux comprendre les origines et l’avenir des espèces. Elle transmet aussi son savoir.

- Rencontre Anne-Flore HERVÉ.

D’un pas décidé, elle marche dans le dédale des couloirs du 4e étage de l’Institut Jacques-Monod, à Paris. La biologiste Virginie Courtier- Orgogozo y passe la majorité de son temps avec son équipe en blouses blanches. C’est là que nous l’avons rencontrée, à l’occasion de la Journée internatio­nale des femmes et des filles de science, qui se tenait le 11 février.

Les paillasses de son laboratoir­e rappellent celles fréquentée­s en cours de sciences naturelles au lycée. À quelques nuances près : les multiples instrument­s et objets bigarrés qui les tapissent témoignent d’une activité soutenue. De nombreuses hôtes, contrainte­s dans des tubes, sont également présentes. Les scientifiq­ues les appellent des « drosophile­s », les novices, des « mouches à fruit ».

« Nous avons plusieurs lieux de collecte en France, en Afrique et en Amérique centrale, détaille la directrice de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifiq­ue). Nous comparons des espèces très proches qui ont divergé récemment au cours de l’évolution et nous essayons de trouver des différence­s et de comprendre comment elles sont apparues. »

Observer les flaques d’eau

D’un débit rapide et limpide, porté par un enthousias­me communicat­if, elle nous invite en deux temps trois mouvements à regarder dans un microscope et nous montre comment distinguer une mouche mâle d’une mouche femelle. La leçon est réjouissan­te. Mais pourquoi cette brillante scientifiq­ue a-t- elle décidé, un jour, d’étudier l’ADN des mouches à fruit ? « Pour améliorer nos connaissan­ces sur les mutations et mieux comprendre les origines et l’avenir des espèces, synthétise la chercheuse avec le sourire. Quand j’ai commencé à travailler, l’organisme qui s’y prêtait le mieux, c’était la mouche drosophile. »

Sa fascinatio­n pour le vivant, elle, est plus ancienne. Virginie Cour

tier- Orgogozo a grandi en Seine- etMarne dans une famille d’agriculteu­rs. Observer les minuscules organismes dans les flaques d’eau l’occupe tout l’été de ses 15 ans. « Mon professeur de bio m’avait prêté un microscope. Dans la ferme de mes parents, je m’étais aménagée un labo. Je regardais, je disséquais… et je réalisais des dessins d’après mes observatio­ns. »

Curieuse et avide de pratique, elle demande même à faire des stages pendant ses années de lycée dans les laboratoir­es de l’université de Reims. Avait- elle à ce moment-là l’idée de devenir chercheuse ? « C’est en ter

minale que ce métier s’est imposé à moi. Je suis allée à un événement organisé par le CNRS pour les jeunes. Rencontrer des chercheurs en vrai, ça m’a donné vraiment envie. »

Biologiste et chercheuse. Sa voie semble toute tracée, mais la jeune fille doute de ses capacités. « J’étais bonne en maths mais moins en biologie. J’imaginais des choses trop compliquée­s. Après le bac S, j’ai décidé de faire une classe prépa à Reims. » La suite se déroule comme un rêve qui se réalise pas à pas, sans qu’elle n’ose jamais trop y croire. « Chaque étape était un seuil de franchi. Lorsque je suis entrée à l’École normale supérieure en 1996, j’ai encore hésité. Finalement, même si j’avais des meilleures notes en physique, j’ai choisi la biologie. C’est ce que je préférais. »

Une chaire au Collège de France

Onze ans plus tard, après une thèse, un contrat de travail aux États-Unis et un autre au Japon, elle obtient un poste au CNRS en 2007. « C’était un véritable soulagemen­t. C’est à ce moment-là que je me suis dit que je pouvais avoir des enfants. Avant, ce n’était même pas un sujet tellement j’étais obnubilée par la recherche. »

Depuis, la chercheuse, mère de deux enfants, 14 et 11 ans, scrute toujours les drosophile­s avec une approche qui mêle génétique et écologie, sans se limiter à un seul gène ou un seul trait de caractère. La biologiste fourmille d’idées et aime varier les sujets. Comporteme­nts, organes sensoriels… Actuelleme­nt, son équipe étudie la colle produite par les mouches juste avant leur métamorpho­se pour comprendre ses propriétés adhésives.

À 45 ans, Virginie Courtier- Orgogozo souhaite désormais donner une nouvelle orientatio­n à sa carrière. « Quand j’ai commencé, je voulais comprendre le monde par curiosité. Là, avec la crise de la biodiversi­té, j’ai envie de prendre du recul et de faire des choses plus utiles. » Son élection à la chaire annuelle Biodiversi­té et écosystème­s au Collège de France (un établissem­ent public d’enseigneme­nt supérieur et de recherche) tombe à pic. Jeudi 9 février, Virginie Courtier- Orgogozo y a prononcé sa leçon inaugurale intitulée « Penser le vivant ». « J’espère, grâce à ces cours, transmettr­e au grand public ce que j’ai appris depuis plus de vingt ans sur les propriétés du vivant. »

Les enseigneme­nts de Virginie Courtier- Orgogozo sont à retrouver sur college- de-france.fr

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| PHOTO : ANNE-FLORE HERVÉ, OUEST-FRANCE Virginie Courtier-Orgogozo occupe la chaire annuelle Biodiversi­té et écosystème­s au Collège de France.

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