Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« On aura tout essayé… sauf Le Pen »
Pour son dernier essai, la politologue Chloé Morin a interrogé une trentaine de personnalités. La majorité d’entre elles voient Marine Le Pen à l’Élysée en 2027.
Chloé Morin, On aura tout essayé… (Fayard, 400 pages, 20,90 €)
La conclusion de votre essai, c’est qu’On a tout essayé… sauf le Rassemblement national ?
J’ai rencontré une trentaine de personnalités politiques pour ce livre, des gens qui ont gouverné, ou qui aspirent à gouverner, et de grands chefs d’entreprise. J’ai constaté un très grand pessimisme chez la plupart d’entre eux. Ils ne sont pas résignés, mais beaucoup se sentent impuissants. Il y a cinq ou dix ans, quand un politique disait « attention, Le Pen peut gagner », c’était d’abord une stratégie, qui visait à alerter ou mobiliser les électeurs désabusés. Ce n’est plus le cas. Quand ils disent qu’ils voient Marine Le Pen à l’Élysée, c’est qu’ils en pressentent vraiment la possibilité.
Quel serait son marchepied vers la victoire ? L’abstention, le manque d’intérêt pour la politique ?
Ce désengagement reste lié à l’accumulation des déceptions vis-à-vis de politiques qui ont soit trahi leurs promesses, soit été inefficaces, mais il n’y a pas que cela. La montée de l’individualisme, avec des gens qui se comportent de plus en plus en consommateurs de services publics, et de moins en moins en citoyens, joue également. C’est culturel et mondial.
Avec des spécificités françaises tout de même ?
La France a une culture politique con
flictuelle. C’est notre héritage, c’est comme ça. Il est exacerbé par les réseaux sociaux et les chaînes d’information, qui se saisissent de la moindre polémique pour la faire tourner en boucle. Mais nos institutions participent, elles aussi, au phénomène. En maintenant l’idée que le président de la République peut tout, qu’il est la clé de voûte de tout le système, elles nous confortent dans l’illusion qu’un homme ou une femme providentielle va régler tous nos problèmes.
En quoi ce « culte de l’homme fort » ajoute-t-il au problème ?
Nos responsables politiques sont détestés depuis des années. Ils ont tellement intégré cette haine qu’ils n’osent que rarement affronter l’opinion. Ils n’ont plus ni la force ni la légitimité pour imposer des décisions impopulaires. Ils n’ont plus d’autre choix que de flatter les gens. C’est très inquiétant, parce que de vrais sujets, comme la dette publique ou la transition écologique, imposent de prendre des mesures fortes.
La victoire des populistes est inéluctable ?
Nous vivons une période de rejet où la nouveauté attire. Elle donne un avantage énorme à celles ou ceux qui n’ont jamais gouverné. On le voit dans tous les pays. Les populistes n’arrivent pas seulement au pouvoir parce qu’ils ont des idées et des propositions radicales, ils gagnent aussi parce qu’ils sont vus comme « neufs », en rupture avec les élites.
En 2027, c’est Marine Le Pen qui jouera ce rôle ?
Aujourd’hui, pour une grande partie de l’opinion, ceux qui n’ont pas encore été « essayés », c’est Marine Le Pen et le Rassemblement national. C’est ce que me disent les personnalités que j’ai interrogées et les Français que j’ai sondés : 44 % pensent que Marine Le Pen peut gagner en 2027. L’idée fait son chemin et c’est le récit sur lequel travaille le RN. Jordan Bardella dit lui-même que la question n’est plus de savoir si son parti arrivera au pouvoir ou pas, mais quand. Ils sont en train de crédibiliser cette idée auprès de l’opinion.
Qu’est-ce qui pourrait encore éviter cela ?
Une offre politique qui paraîtrait neuve. La présidentielle se joue énormément sur l’incarnation – beaucoup trop d’ailleurs… Une incarnation très forte, face à Marine Le Pen, pourrait tout changer. Le problème, c’est qu’on n’en voit assez peu. Elle prospère sur cette panne d’offre politique.