Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« Face à un nouveau virus, on n’en fait jamais trop »
Jean- Claude Manuguerra dirige la cellule d’intervention biologique d’urgence de l’Institut Pasteur. Elle est depuis vingt ans en première ligne face aux nouveaux dangers infectieux.
Comment est née la Cellule d’intervention biologique d’urgence (CIBU) de l’Institut Pasteur ?
Après les attentats du 11 septembre 2001, et les enveloppes contaminées à l’anthrax, aux États- Unis, il y a eu des alertes en France. C’était finalement des canulars, mais l’idée d’une structure d’intervention biologique d’urgence, fonctionnant 24 heures sur 24 et sept jours sur sept a été lancée sous l’impulsion du directeur général de la santé et du directeur général de l’Institut Pasteur d’alors. La CIBU a été officiellement inaugurée le 11 septembre 2002, un an après les attentats.
Le bioterrorisme n’est pas votre seule préoccupation ?
La CIBU doit étudier, prévenir et réagir à tous les risques infectieux qui menacent la sécurité sanitaire en France. C’est très large, un avion peut importer très rapidement des cas d’une nouvelle maladie.
La veille 24 heures sur 24 est toujours active ?
Oui, depuis 2004. Avec un système d’astreintes de membres de l’équipe et de volontaires d’autres unités de l’Institut Pasteur. On nous demande d’avoir une capacité opérationnelle permanente de détection et d’identification d’agents infectieux inconnus. Nous travaillons en binôme, pour raison de sécurité du personnel mais aussi de sécurité tout court. On ne peut pas laisser une personne seule manipuler des pathogènes réglementés sans qu’il y ait un témoin.
Avez-vous été très sollicités pour le Covid-19 ?
On est toujours très sollicités au début des crises. Notre volume d’activité a explosé au premier confinement. Ensuite, on n’est réintervenu que pour faire du séquençage ultrarapide, quand on attendait l’arrivée du variant Omicron. Entre l’arrivée de l’échantillon et le séquençage génétique complet, c’est douze heures chez nous (contre plusieurs jours de façon normale). Mais il ne faut pas chômer.
Vous allez également sur le terrain à l’étranger. Dans quelles circonstances ?
On peut envoyer un soutien humain pour soulager un laboratoire extérieur, ou intervenir directement avec nos moyens. Pendant la grande épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, en 2014-2015, on a monté un labo mobile, dans le centre de la Croix Rouge de Macenta (Guinée) pour faire du diagnostic et former les volontaires qui s’y sont rendus.
Intervenez-vous sur des pathogènes moins bien identifiés ?
Nous sommes beaucoup intervenus
sur Zika en Amérique du Sud quand il a été déclaré urgence de santé publique de portée internationale. Nous avions en effet développé des outils de détection sérologiques quand Zika n’intéressait personne. Nous sommes un peu comme des collectionneurs de timbres, on aime bien avoir en stock des antigènes de virus (permettant de détecter des anticorps spécifiques des virus correspondants). De même, l’an dernier, cela nous a bien aidés d’avoir travaillé sur le virus du monkeypox (variole du singe) depuis dix ans. On était prêt pour le détecter et faire la différence entre les deux lignées du virus.
Votre unité de recherche Environnement et risques infectieux est complémentaire de la CIBU ?
Nous développons des outils de détection des pathogènes, dans l’environnement et chez des individus. Et nous étudions la circulation des virus et bactéries dans l’environnement. On s’intéresse aussi à la circulation des virus dans les hôtes. Pourquoi chaque hantavirus (un type de virus) n’infecte qu’une seule espèce de rongeur, alors que plusieurs d’entre eux infectent les humains ?
La CIBU a-t-elle déjà identifié des pathogènes inconnus ?
La CIBU avait été impliquée dans
l’identification du SARS Cov1 (le SRAS de 2003). Et on a identifié Rouxiella chamberiensis, une bactérie qui avait malheureusement tué des enfants prématurés en 2013, à Chambéry, C’était un genre complètement inconnu, qu’on a nommé en l’honneur d’un ex- directeur de l’Institut Pasteur, Émile Roux.
Y a-t-il vraiment multiplication des émergences épidémiques ? C’est clair. Le creux le plus long a été entre le H1N1 pandémique de 2009 et le Mers (un coronavirus) fin 2012. Il y a de plus en plus de vraies émergences ou des réérmergences de virus qui arrivent à des endroits où on ne les attend pas.
Quels sont les plus sérieux candidats à une future pandémie ? On m’a beaucoup interrogé sur cette interview (parue avant le Covid) dans laquelle j’évoquais une pandémie à virus respiratoire ARN. Statistiquement, c’est toujours ce qui nous pend le plus au nez. Mais il faut quand même regarder Marburg (une fièvre hémorragique), qui arrive dans des pays où on ne la trouvait pas habituellement.
Les grippes aviaires restent en haut de la liste ?
En 2009, le H1N1 a été une vraie pandémie, mais pas très sévère. Le H5N1 est là depuis 2003 et n’a pas réussi à se transformer en agent se transmettant facilement entre individus humains. Mais ce sont des virus qui évoluent très vite. J’ai appris qu’il faut être super-humble. Jusqu’en 1997, avant une grippe du poulet à Hong Kong, qui a fait six morts (sur dix-huit cas), on enseignait que les virus de l’influenza aviaire ne passaient pas directement chez l’homme ou causaient au pire des conjonctivites.
En a-t-on trop fait face à certaines alertes épidémiques ?
Il ne faut jamais baisser la garde. Sur le monkeypox, certains ont dit qu’on en avait fait trop. Pour moi, on n’en fait jamais trop. Dans les épidémies, surtout virales, plus on intervient tôt et fort, plus on a de chances de gagner. Le monkeypox est resté restreint à une partie de population mais si jamais il avait débordé dans la population générale, cela aurait été dramatique. On a bien fait d’en faire beaucoup.
La surveillance des épidémies s’améliore-t-elle ?
Oui et non. Si on a le bon prélèvement, on peut aller très vite. J’exagère un peu, mais avec des outils comme la métagénomique (méthode d’étude du contenu génétique d’échantillons) on met tout dans la machine et on peut obtenir un résultat. Pour le VIH, il a fallu deux ans entre la détection de l’épidémie et l’isolement du virus. Pour le SRAS de 2003, ça a été six semaines. Et, maintenant, c’est quinze jours. Là où on a toujours des progrès à faire, c’est sur la détection de l’épidémie elle-même. On a souvent un décalage de six à huit semaines entre les premiers cas et le moment où on commence à voir que quelque chose ne va pas.