Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Qui était l’armateur Louis- Joseph Morand ?
Le moment d’histoire. Louis- Joseph Morand (1806-1860) est souvent décrit comme « le premier armateur des pêches à Islande ». Un personnage qui semble aussi avoir navigué en eaux troubles.
« La chapelle est entourée d’un cimetière où l’on peut trouver la tombe de M. Louis Morand, premier armateur des pêches à Islande. » Du côté de Lanvignec, sous une pierre tombale grise, abîmée par le temps, repose un personnage qui a fortement marqué l’histoire de Paimpol.
Né le 8 août 1806, Louis- Joseph Victor Morand a grandi dans l’une des plus grosses familles de la commune et même du canton. « Son père, Louis-François Aimé, est à la tête d’une maison de commerce polyvalente et d’une brasserie. Il a racheté, en 1797, une partie de l’abbaye de Beauport », souligne Annie- Claude Ballini, présidente de l’association des amis de l’abbaye de Beauport et férue de l’histoire locale.
Louis- Joseph a semble-t-il hérité du goût pour le commerce. En 1831, à l’âge de 24 ans, il reprend les affaires de son père. « Il devient négociant sur la place de Paimpol ou plus exactement, négociant – armateur, comme l’indique son papier à lettres », écrit Jean Kerlévéo dans son ouvrage Paimpol au temps d’Islande.
L’instigateur de l’épopée islandaise à Paimpol
Quelques années plus tard, en 1834, il siège au conseil municipal. « C’était le plus jeune à l’époque », souligne Annie- Claude Ballini. Et Jean Kerlévéo d’ajouter, dans son livre, qu’en 1837, « à l’âge de 30 ans, il était déjà adjoint au maire ». Feu l’historien, fin connaisseur de la vie paimpolaise, le décrit comme « doué d’une intelli
gence audacieuse. De 1840 à 1860, il sera l’inspirateur de toutes les réalisations dont fut alors doté Paimpol […] Il sera l’animateur des activités maritimes, le créateur du port islandais et le principal artisan de la prospérité que s’ensuivra ».
En effet, dans le sillage d’une discussion avec le douanier Faudacq, qui lui narra que des marins du port de Dunkerque pêchaient en Islande, il décide, en avril 1852, de tenter l’expérience. À bord de l’Occasion, quinze marins du pays de Paimpol mettent le cap vers le nord sous le commandement du capitaine François Druel.
L’armateur « hardi et entreprenant », d’après les mots de Jean Kerlévéo, obtient de bons résultats et aiguille dans la foulée toute la filière paimpolaise vers l’Islande. Les retombées économiques sont conséquentes. Pour preuve, en 1857, Louis- Joseph Victor Morand reçoit une médaille d’honneur et un banquet est organisé en son honneur.
Le calme avant la tempête. Cette même année, ses affaires commen
cent à vaciller. L’homme fera faillite. « C’est alors le naufrage de la maison Morand, observe Annie- Claude Ballini. Il a ensuite été brutalement emporté par la maladie à la fin de l’hiver 1860, il avait 53 ans. »
Une jeunesse hors la loi ?
Plus de deux cents ans plus tard, l’homme est encore dans les mémoires. Mais le pionnier de la pêche à Islande est aussi un homme aux multiples mystères. Louis Baumard, journaliste qui réside à Plouézec et qui a écrit sur le sujet, s’interroge notamment sur sa jeunesse. « C’était une grande famille de chasseurs mais Louis- Joseph Victor Morand n’a eu son permis de chasse qu’à 27 ans. Je trouve cela étrange. Je ne pense pas qu’il était à Paimpol au début de sa vie d’adulte. »
Comme il l’a relaté dans un article de la revue Chasse-Marée, en 2020, Louis Baumard soupçonne le « héros paimpolais » d’avoir participé à la traite négrière. « C’était déjà illégal mais cela payait bien, souligne le journaliste. Je pense que Louis- Joseph Vic
tor Morand aimait prendre des risques. »
C’est en retrouvant, sur internet, le compte rendu d’audiences de la Cour de cassation de 1831, que Louis Baumard a développé cette hypothèse. Sur ce document, on découvre que « le 1er février 1828, le brick du roi, l’Alcibiade, captura, à la côte de Malaguette, en Afrique, le navire l’Éclair, comme se livrant à la traite des noirs ». Le navire en question appartient en effet à un certain « Morand, un Français installé à Pointe-à- Pitre », en Guadeloupe, mais la justice n’en dit pas plus sur le propriétaire.
Annie- Claude Ballini ne pense pas qu’il s’agisse du Paimpolais. « Son père était malade à cette époque et la famille n’avait pas de liens avec les Antilles. » Mais de son côté, Louis Baumard considère que de nombreux indices concordent. « Je pense que c’est grâce à son nom qu’il a évité l’opprobre », conclut-il.