Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
En Irlande du Nord, les trop rares écoles de la paix
Le 10 avril 1998, les Accords du Vendredi saint arrêtaient trente ans de guerre civile en Irlande du Nord. Mais vingt- cinq ans plus tard, le nombre d’écoles « mixtes », catholiques et protestantes, reste limité.
Moue dépitée. Le prof d’université David Mitchell l’avoue : il a dû faire un trait sur ses convictions de « spécialiste de la réconciliation et de la résolution du conflit ». Lui qui croit dur comme fer que les Nord-Irlandais ne trouveront « vraiment la paix » qu’en apprenant à vivre ensemble, a dû scolariser ses deux enfants de 10 et 7 ans dans une école... protestante.
Rien d’exceptionnel. Dans la petite province britannique, seuls 7 % des élèves, du primaire au lycée, ont accès à un établissement « intégré ». Ces écoles ouvertes à toutes les religions sont nées en marge des négociations de paix qui ont mis fin à trois décennies de guerre civile (3 600 décès), le 10 avril 1998.
Les copains du quartier
Pour les petits Mitchell, « c’était la seule chance de grandir parmi leurs copains du quartier ». La famille vit près de Belfast- Est, bastion de la communauté loyaliste- unioniste, à majorité protestante. Ici, sur tous les murs, s’affiche l’adulation de la Couronne britannique. Même les bordures de trottoirs sont badigeonnées aux couleurs de l’Union Jack, bleublanc- rouge… Et alentour, pas l’ombre d’une école « mixte ».
Au collège-lycée Shimna, 670 élèves, dans la petite cité balnéaire de Newcastle, au sud de Belfast, la pétillante Angela Morgan, présidente des parents d’élèves, est aux anges. « En 1994, on nous a pris pour des fous quand on s’est battus pour l’ouverture de cet établissement intégré. » Angela se souvient même avoir « pleuré de rage », à la fin d’une réunion organisée pour rameuter les parents du quartier : « Une mère m’avait confié que l’idée l’enthousiasmait. Mais qu’elle n’avait pas osé dire à son mari qu’elle venait… »
Ces écoles croulent sous les demandes
Pour Angela la protestante, mariée à un catholique, la question ne se posait pas : « On voulait que nos enfants grandissent dans la mixité. » À ses côtés, l’Anglais Derek Bailey, prof de sciences, sourire rivé aux lèvres. Lui aussi est là depuis l’ouverture. Il a tout largué en Angleterre pour venir s’installer ici avec femme et enfants. « Comme pour toutes les créations d’écoles intégrées, ces parents ont pris un risque fou. Si le projet échouait, les enfants n’avaient plus d’école. »
Peur vite balayée. Dès la deuxième année, l’établissement refusait des élèves. « Toutes les écoles intégrées croulent sous les demandes d’inscriptions », se réjouit le principal, Steve Pagan. Lui aussi anglais, marié à une Irlandaise du Sud, il a « découvert un monde, en arrivant à Shimna, l’an dernier. C’est toute une philosophie : des parents et des enseignants très investis, conscients que la paix passe par ce travail quotidien auprès d’une génération qui n’a pas connu la guerre civile. Même les employés administratifs sont des militants dans l’âme…
» Reste un bémol. L’Irlande du Nord ne compte encore que 68 écoles intégrées (soit 25 000 élèves) pour 1,8 million d’habitants. Et si les établissements protestants et catholiques s’ouvrent doucement aux autres religions, la mixité y dépasse rarement les 20 %.
Fin mars, le leader unioniste Doug Beattie a mis les pieds dans le plat en dénonçant « un apartheid éducatif ». Pour lui, les tensions ne cesseront que « si nos enfants se connaissent dès le plus jeune âge. »
Dans sa classe, à Newcastle, les boucles blondes de Silas Archer s’agitent : « La religion de nos copains n’est plus une question pour nous », soutient l’ado de 14 ans. Son camarade Regan O’Hare, 17 ans, est moins angélique : « Dans notre école intégrée, les gens sont ouverts d’esprit. Mais dans la rue, tu sais qu’il y a des quartiers qu’il vaut mieux éviter. La guerre est bien finie, mais il y a encore des clashs entre nos communautés. »
Lundi après-midi, à Derry, une adolescente de 12 ans a été molestée en plein centre-ville par un groupe de filles qui lui reprochaient d’être « une catho ». La police a ouvert une enquête pour attaque sectaire.