Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Au grand défilé de nos paradoxes
Paradoxe. Le mot est étrange. Il vient de loin, il vient du grec.
Paradoxalement, sa définition première est assez simple : « Ce qui est contraire (para) à la pensée commune (doxa). »
Au fil du temps, le paradoxe s’est épaissi, s’adaptant au développement retors de la pensée humaine. Surfant sur les grandes théories, il a été de toutes les batailles, forgeant sa carapace aux flammes de la gloire des vainqueurs ou aux braises de la haine des vaincus.
Victorieux ou défait, il s’est invité dans les grands discours au point que l’Académie française lui prête un sens plus vicieux : un raisonnement apparemment sans faille mais dont la logique aboutit à une absurdité.
Nous y voilà. Laissons de côté l’étymologie un poil rasoir pour un jour férié et intéressons- nous à l’actualité immédiate et à ses contradictions. Des plus dangereux aux plus risibles, les paradoxes défilent toujours comme à la parade.
La semaine dernière, la Russie – pays qui a déclenché une guerre meurtrière en Ukraine et dont le dirigeant est poursuivi par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre – a pris pour un mois la présidence du Conseil de sécurité des Nations unies. Poutine le belliqueux place son ambassadeur à la tête de l’organisme censé défendre le droit international. Un paradoxe cruel pour le peuple ukrainien et délétère pour le crédit des institutions.
Tout près de nos frontières, les bruits de bottes se font entendre, partout la démocratie est en danger et presque partout, les populismes et les extrêmes triomphent…
Dans notre beau pays, ce « paradis peuplé de gens persuadés qu’ils vivent en enfer » comme l’écrit Sylvain Tesson, nous vivons une période très inflammable, même si l’eau vient à manquer. Autour des bassines de Sainte- Soline, des activistes brûlent des camions et les grenades de désencerclement éclatent au milieu des champs. Triste spectacle pour la planète.
Marlène Schiappa pose en Marianne à la une de Playboy. La secrétaire d’État qui défend les femmes s’expose dans un magazine plus célèbre pour ses posters centraux à déplier que pour son combat féministe. Étonnant coup de com’ou faillite paradoxale due au besoin d’exister ?
Alors même que les entreprises peinent à gérer la fin de carrière de leurs seniors, que ces derniers tiennent une place non négligeable dans les statistiques du chômage, voilà que l’on souhaite reculer l’âge de la retraite à 64 ans. Une épine dans le système…
Dans l’effervescence des villes, on se rassemble au cinéma pour voir un film sur la solitude : Sur les chemins noirs. Jean Dujardin y marche seul dans des zones où le téléphone ne passe pas. À la sortie des salles, on s’empresse de sortir son portable pour commenter le film sur les réseaux sociaux.
Alors que l’humanité a clairement besoin d’une intelligence collective, que les penseurs du bien commun peinent à se faire entendre ou se taisent par dépit, l’homme construit… une intelligence artificielle. Il confie à des ordinateurs le soin de penser à sa place et à terme la possibilité de le remplacer.
Ouvrons les yeux, ne cédons pas à la facilité. René de Obaldia, homme de lettres nous avait déjà alertés : « Un paradoxe est une opinion qui vit de ses charmes aux dépens de la vérité. »