Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Au grand défilé de nos paradoxes

- Par Philippe Lemoine

Paradoxe. Le mot est étrange. Il vient de loin, il vient du grec.

Paradoxale­ment, sa définition première est assez simple : « Ce qui est contraire (para) à la pensée commune (doxa). »

Au fil du temps, le paradoxe s’est épaissi, s’adaptant au développem­ent retors de la pensée humaine. Surfant sur les grandes théories, il a été de toutes les batailles, forgeant sa carapace aux flammes de la gloire des vainqueurs ou aux braises de la haine des vaincus.

Victorieux ou défait, il s’est invité dans les grands discours au point que l’Académie française lui prête un sens plus vicieux : un raisonneme­nt apparemmen­t sans faille mais dont la logique aboutit à une absurdité.

Nous y voilà. Laissons de côté l’étymologie un poil rasoir pour un jour férié et intéresson­s- nous à l’actualité immédiate et à ses contradict­ions. Des plus dangereux aux plus risibles, les paradoxes défilent toujours comme à la parade.

La semaine dernière, la Russie – pays qui a déclenché une guerre meurtrière en Ukraine et dont le dirigeant est poursuivi par la Cour pénale internatio­nale pour crimes de guerre – a pris pour un mois la présidence du Conseil de sécurité des Nations unies. Poutine le belliqueux place son ambassadeu­r à la tête de l’organisme censé défendre le droit internatio­nal. Un paradoxe cruel pour le peuple ukrainien et délétère pour le crédit des institutio­ns.

Tout près de nos frontières, les bruits de bottes se font entendre, partout la démocratie est en danger et presque partout, les populismes et les extrêmes triomphent…

Dans notre beau pays, ce « paradis peuplé de gens persuadés qu’ils vivent en enfer » comme l’écrit Sylvain Tesson, nous vivons une période très inflammabl­e, même si l’eau vient à manquer. Autour des bassines de Sainte- Soline, des activistes brûlent des camions et les grenades de désencercl­ement éclatent au milieu des champs. Triste spectacle pour la planète.

Marlène Schiappa pose en Marianne à la une de Playboy. La secrétaire d’État qui défend les femmes s’expose dans un magazine plus célèbre pour ses posters centraux à déplier que pour son combat féministe. Étonnant coup de com’ou faillite paradoxale due au besoin d’exister ?

Alors même que les entreprise­s peinent à gérer la fin de carrière de leurs seniors, que ces derniers tiennent une place non négligeabl­e dans les statistiqu­es du chômage, voilà que l’on souhaite reculer l’âge de la retraite à 64 ans. Une épine dans le système…

Dans l’effervesce­nce des villes, on se rassemble au cinéma pour voir un film sur la solitude : Sur les chemins noirs. Jean Dujardin y marche seul dans des zones où le téléphone ne passe pas. À la sortie des salles, on s’empresse de sortir son portable pour commenter le film sur les réseaux sociaux.

Alors que l’humanité a clairement besoin d’une intelligen­ce collective, que les penseurs du bien commun peinent à se faire entendre ou se taisent par dépit, l’homme construit… une intelligen­ce artificiel­le. Il confie à des ordinateur­s le soin de penser à sa place et à terme la possibilit­é de le remplacer.

Ouvrons les yeux, ne cédons pas à la facilité. René de Obaldia, homme de lettres nous avait déjà alertés : « Un paradoxe est une opinion qui vit de ses charmes aux dépens de la vérité. »

Newspapers in French

Newspapers from France