Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
Ses punks virtuels valent des millions de dollars
John Watkinson est l’un des deux créateurs des CryptoPunks, des punks et punkettes numériques. Très populaires, ils valent de petites fortunes. L’un d’eux est exposé au Centre Pompidou à Paris.
« À 16 ans, j’ai passé quelques semaines à L’Île-Tudy, dans le Finistère. » La famille qui le reçoit lui fait visiter Paris. « J’ai découvert le Centre Pompidou, sourit John Watkinson. En ce début des années 1990, il y avait plein de punks qui jouaient de la musique sur l’esplanade, ça m’avait frappé. »
Aujourd’hui, c’est pour une punkette d’un autre genre que le Canadien, ingénieur informaticien de 47 ans établi à New York, a traversé l’Atlantique. Le célèbre Musée d’art moderne vient d’acquérir l’un des 10 000 CryptoPunks qu’il a créés avec Matt Hall et leur start- up Larva Labs. Des personnages numériques pixellisés, minimalistes, uniques, générés par un algorithme combinant différentes caractéristiques : homme, femme, alien, singe ou zombie ; cheveux, barbe, lunettes, cigarette…
Plusieurs millions de dollars
Le 23 juin 2017, les deux développeurs proposent gratuitement les CryptoPunks sur Internet, « à titre expérimental ». Un programme de leur conception garantit l’authenticité, la paternité et la propriété de chacun de leurs punks et punkettes
numériques, comme un certificat d’authenticité pour une oeuvre telle qu’une peinture. Cette innovation fait des CryptoPunks des précurseurs de la NFT, technologie qui attribue une identité numérique spécifique à un « objet » numérique donné.
Les premières années, leurs CryptoPunks vivotent. « Il y a quelques reventes, dans les 15 dollars. Jusqu’au jour où l’un d’eux part à 3 000 dollars (plus de 2 700 euros)… Ça nous a semblé complètement fou. »
Aujourd’hui, les punks les plus rares de cette collection s’acquièrent pour l’équivalent de plusieurs millions de dollars. Certains ont été vendus lors d’enchères internationales par Christie’s et Sotheby’s. Le montant record a été atteint le 12 février 2022 : 23,7 millions de dollars (21,6 millions d’euros) pour le CryptoPunk#5822 : un des rares (neuf) « aliens ». « On n’aurait jamais imaginé ça », sourit l’informaticien.
« Les transactions de chaque CryptoPunk, référencées sur Internet, sont publiques », détaille John Watkinson, en faisant défiler les lignes de code sur son écran. On peut faire une copie numérique d’un CryptoPunk comme on pourrait faire fabriquer une copie du Balloon
Dog de Jeff Koons. Mais dans les deux cas, seul l’original est certifié authentique et seul le propriétaire peut le revendre. »
Comment profite- t- on d’oeuvres impossibles à exposer dans son salon ? « Les CryptoPunks sont destinés à la vie digitale, les gens les utilisent comme avatars, sur Twitter par exemple. Ils sont vus par des centaines de personnes, à l’inverse d’une peinture. »
Trois clics sur son clavier. Et voilà la bouille du Punk#6095 qui s’affiche. Cheveux crépus, chaîne d’or, c’est le profil du rappeur Jay-Z. Nouveaux clics. « Et ça, c’est le mien. » Lunettes, casque blond, sourire aux oreilles. Comme notre interlocuteur.
« Les gens s’interrogent. Pour certains, ce n’est pas de l’art », reprend John Watkinson, un peu plus tard, devant le CryptoPunk#110 affiché dans un écran au Centre Pompidou. La veille, des ados sont tombés en arrêt, incrédules de découvrir ici ce personnage pixellisé, raconte- t-il, ravi. « Je pense que ça plaît beaucoup à toute cette génération qui a grandi entre les ordinateurs et les smartphones. »
« Rester petits mais indépendants »
Il y a un an, Larva Labs, la start-up de Matt et John, a cédé tous ses CryptoPunks (sauf vingt) à Yuga Labs, une structure mieux armée pour faire face aux transactions colossales (et aux convoitises). « On veut rester à deux dans Larva Labs, pour être indépendants et poursuivre nos propres projets d’innovation technologique. »
Une autre de leurs créations, l’un des 512 Autoglyphs (conçus avec les / et \ de nos claviers) est aussi exposée au musée. Un don, comme le CryptoPunk, pour rejoindre les collections permanentes de l’institution.
La veille, les parents de John ont découvert, émus, l’exposition parisienne. « Ils ont enfin compris ce que je fais… »