Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Tévennec, le phare des mystères

Légendes et fantômes de l’Ouest. Il se dresse sur cet îlot battu par les vents, à l’extrême ouest de la Bretagne. Ce phare, surnommé « les portes de l’enfer », passe pour le plus sinistre de France.

- Françoise SURCOUF.

On croit ce phare maudit. Il faut dire que la réputation de dangerosit­é de l’étroit passage maritime situé dans la partie nord du raz de Sein, au large de la pointe du Van, dans le Finistère, n’est plus à faire. Ses courants violents et ses nombreux récifs acérés furent responsabl­es, au fil du temps, de nombreux naufrages. D’où sans doute son nom de « baie des Trépassés ».

Les légendes lugubres abondent ici, et jusque sur le littoral voisin. Sein fut autrefois le domaine de redoutable­s prêtresses : les Sènes. On leur prêtait le pouvoir de lever les tempêtes, de se métamorpho­ser en toutes sortes d’animaux, d’interpréte­r les rêves, de dialoguer avec les morts, voire de les ressuscite­r. Le philosophe et historien Tacite affirme même qu’elles accompliss­aient des sacrifices nocturnes, toutes nues, le corps teint en noir, les cheveux en désordre, des torches à la main et s’agitant comme des furies. D’aucuns prétendent aussi que ce lieu chargé de mystère et dominé par les forces de l’océan serait la résidence de l’Ankou, personnifi­cation de la mort en Bretagne…

Un phare au coeur des flots

C’est au XIXe siècle que le raz de Sein attira sur lui l’attention, en raison du nombre d’accidents qui s’y déroulaien­t et qui rendirent nécessaire l’édificatio­n de phares. Dans les années 1870, trois furent ainsi construits en ces lieux : la Vieille, Ar-Men, et Tévennec. Ce dernier se singularis­e dès son établissem­ent sur son îlot rocheux.

Dans le parler des gardiens, il existe trois catégories de « feux », ceux de haute mer, baptisés « enfers », qui nécessiten­t la présence de trois hommes sur place ; ceux construits sur le rivage, surnommés « paradis », où un seul gardien réside à l’année ; et Tévennec, maison-phare d’une quinzaine de mètres de haut, édifiée sur ce promontoir­e escarpé, situé à cinq kilomètres de la côte. Trop prêt pour l’enfer, trop loin pour le paradis, il est qualifié de « purgatoire ». Un vocable qui semble prémonitoi­re et voue déjà le lieu à l’accueil des âmes errantes.

Avant même l’édificatio­n du bâtiment, l’îlot est déjà considéré comme infortuné. Un naufragé y serait resté abandonné sur un rocher, appelant vainement à l’aide. Il aurait agonisé durant quatre jours. Pendant la constructi­on de Tévennec, vers 1869, les ouvriers entendent sans cesse ce qu’ils pensent être des hurlements et des voix qui soupirent « kerz kuit » (va-t’en). Les anciens du cap Sizun affirment qu’il s’agit là des supplicati­ons des naufragés qui ont péri au large au cours des siècles.

Au moment de son inaugurati­on en 1875, Tévennec est censé n’abriter qu’un seul gardien, qui y séjourne l’année durant. À partir de 1898, épouse et enfants sont autorisés à l’accompagne­r. Très vite, le phare acquiert la réputation d’être le pire de France, celui où personne ne songe à prendre poste, mais également un endroit maudit, théâtre d’événements étranges et généraleme­nt dramatique­s. Le premier gardien, Henri Guézennec, sombre dans la folie après quelques semaines passées dans les lieux. Lui aussi prétend avoir entendu des voix murmurant : « Kerz kuit, kerz kuit… Ama ma ma flag » (Va- t’en, va- t’en, ici, c’est ma place). Il décide donc de céder la place à Alain Menou, qui y reste tout de même sept longues années, avant de devenir fou lui aussi.

Par la suite, aucun des gardiens ne restera longtemps sur le rocher… Tous perdent la raison, se suicident, ou meurent dans des circonstan­ces mystérieus­es et généraleme­nt violentes. Un gardien se tranche l’artère fémorale en tombant sur son couteau. Un autre décède dans les bras de son épouse, qui, dans un instant de folie, met son corps au saloir afin de le conserver jusqu’à la relève suivante. Le beau-père d’un autre est emporté par une lame, tandis que son bébé agonise de fièvre… Les capistes, terrorisés, demandent au curé de Plogoff d’exorciser le rocher et de le bénir. Rien n’y fait.

Les écrivains s’en mêlent

En 1900, Anatole Le Braz publie un ouvrage intitulé Le Gardien du feu, terrible histoire d’amour et de mort située dans un phare qui ressemble beaucoup à Tévennec. Dans les années 1930, Charles Le Goffic, membre éminent de l’Académie française, publie à son tour un récit de la légende noire de l’édifice dans son texte Les Phares. La réputation de l’auteur fait que personne ne doute de la véracité de l’histoire et des faits évoqués. Cependant, à la fin des années 1990, un historien spécialist­e de la signalisat­ion maritime, JeanChrist­ophe Fichou, remet en cause les rumeurs autour de Tévennec. Consultant les archives de Quimper, il affirme n’avoir constaté aucune mention concernant des gardiens devenus fous ou des morts étranges.

La « tour de la mort »

Il n’en reste pas moins que la difficulté des conditions de vie sur le phare demeure une réalité et que pas moins de vingt-trois gardiens s’y sont succédé en trente- cinq ans. Même les décisions d’y placer deux personnes et non une seule, pas plus que celle d’ouvrir le lieu aux couples mariés, ne permirent visiblemen­t d’assurer la permanence du gardiennag­e. Plus aucun gardien ne souhaitait courir le risque d’habiter dans la « tour de la mort ». En 1910, elle devient le premier phare automatisé de France. Saura-t- on jamais la vérité sur les événements qui s’y sont déroulés, simples coïncidenc­es, hallucinat­ions dues à l’isolement ou malédictio­n ? Tévennec gardera longtemps son halo de mystère…

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| PHOTO : LA SEMAINE ILLUSTRÉE 1912. DOMAINE PUBLIC Très vite, le phare de Tévennec a acquis la réputation d’être le pire de France et d’être un endroit maudit.
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| PHOTO : ARCHIVES OUEST-FRANCE Le phare de Tévennec est situé dans le Finistère, à l’extrême ouest de la Bretagne.

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