Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
La délicate cicatrisation de l’Allemagne
Un libraire part à la rencontre de l’enfant que sa femme avait abandonnée à l’Est. La petitefille, de l’Allemand Bernhard Schlink, est un grand roman de la séparation et de la réunification.
Un peu endormi dans la routine de sa vie de libraire berlinois, Kaspar n’a qu’une source de joie qui fait aussi son malheur : Birgit, sa femme. Lorsqu’elle meurt dans son bain, abrutie de médicaments et d’alcool, Kaspar est assommé par la douleur.
Intrigué par la lettre d’un éditeur, qui lui réclame le roman que Birgit était en train d’écrire, il reste abasourdi par ce qu’il découvre dans le manuscrit : Birgit avait une fille, qu’elle a abandonnée en RDA à la naissance, avant de fuir avec lui à l’Ouest, en 1965.
Plongée dans l’extrême droite
Le septuagénaire part à sa recherche. Pour cet homme cultivé et modéré, le parcours tortueux de cette dernière est un choc. Après avoir été skinhead, elle évolue chez les Völkisch, adeptes d’un néonazisme mâtiné de retour à la terre.
Mais Kaspar se prend d’affection pour sa fille, une adolescente de 14 ans, pourtant gratinée elle aussi. Totalement formatée, Sigrun se réjouit que l’on envoie des torches enflammées dans les kebabs tenus
par des étrangers et a pour héroïne Irma Grese, gardienne de camp surnommée « la hyène d’Auschwitz »…
La famille de Kaspar, coupée en deux, symbolise bien la fracture subie par l’Allemagne pendant quatre décennies, et qui peine aujourd’hui encore à cicatriser.
Bernhard Schlink, auteur allemand renommé, auteur du best- seller Le liseur, a écrit là un grand roman de la séparation et de la réunification.
Au fil des pages, passent les tentatives d’apprivoisement entre jeunes Allemands de l’Est et de l’Ouest, le désenchantement de part et d’autre, les rejets et les réussites, comme l’histoire d’amour Est- Ouest entre Kaspar et Birgit. La plongée dans les milieux d’extrême droite de l’est de l’Allemagne est particulièrement saisissante.
Surtout, il y a la petite histoire dans la grande, celle de ce Kaspar si doux, si intelligent qui refuse de juger.
Sous la plume délicate, pleine de nostalgie et d’empathie de Bernhard Schlink, il n’attaque pas frontalement sa petite-fille. Il préfère lui mettre les outils dans les mains, ici une musique, là un livre qui traîne, espérant l’amener à faire sa déclaration d’indépendance intellectuelle.