Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Bernadette Adams, la vie d’après

Témoignage. Elle a passé 39 ans de sa vie à s’occuper de son mari, le footballeu­r Jean-Pierre Adams, plongé dans un état végétatif. Depuis le décès de ce dernier, en 2021, elle n’a « plus envie de rien ».

- Morgane HUGUEN.

Bernadette Adams ouvre les portes de sa maison, près de Nîmes, avec Chérie FM qui s’échappe de la radio. Durant deux heures et demie, Claudio Capéo, Louane, Pink, Mecano, Tom Odell et bien d’autres encore animeront une conversati­on riche en émotions. « Quand ce n’est pas la radio, c’est la télé. Je regarde mes feuilleton­s : « Les feux de l’amour », « Ici tout commence », « Demain nous appartient ». Je n’ai jamais aimé le silence. D’autant plus depuis que je suis seule, dans cette grande maison », explique-t- elle en caressant affectueus­ement sa petite chienne, une Spitz, Rita Hayworth.

Pendant 39 ans, cette femme originaire du Loiret a veillé jour et nuit sur son mari : le footballeu­r Jean- Pierre Adams (Nîmes, Nice, PSG…), plongé dans un état végétatif après une erreur d’anesthésie, lors d’une opération du genou le 17 mars 1982. « Dès que l’accident est survenu, j’ai tout laissé tomber. Hors de question que je continue à travailler dans le magasin de sport qu’on avait ouvert à Chalon-sur- Saône en mai 1981. Ma vie, désormais, c’était de m’occuper de lui et de nos enfants (Laurent, 11 ans, et Frédéric, 5 ans à l’époque). »

Après un premier déménageme­nt à Rodilhan, dans les environs de Nîmes, en 1985, c’est dans sa maison de Caissargue­s qu’elle habite désormais depuis 2008. Mais après des années à voir défiler chaque jour femmes de ménage, infirmière­s, kinésithér­apeutes… pour l’aider à s’occuper de son mari, la vie de Bernadette Adams a de nouveau basculé. Le 6 septembre 2021, Jean- Pierre Adams s’en est allé, à 73 ans. « Et moi, je suis restée des jours entiers, assise sur une chaise, à ne pas savoir quoi faire, comment tuer le temps… ».

« Je n’ai pas envie de voir les gens, d’être au milieu de la foule »

Parfois, elle va marcher, « ce que je ne faisais jamais ». 6 à 10 km dans les bons jours, ou alors un aller-retour quotidien au cimetière (3 km) pour veiller à ce que la tombe de son JeanPierre reste parfaiteme­nt fleurie de roses, cyclamens, primevères, principale­ment rouges et jaunes. D’ailleurs, au détour d’une visite de son salon, sous un grand portrait de son mari accroché après sa mort, Bernadette Adams nous montre un dessin de « J. P. Adams », sous le maillot de l’OGC Nice, réalisé par une amie de son fils aîné. « Quand j’ai choisi la pierre tombale, d’un marbre clair et veiné, j’ai montré ce dessin qui provient d’un autocollan­t de l’OGC Nice que j’avais. Je voulais qu’il soit reproduit à l’identique sur la tombe de Jean- Pierre », explique celle qui fêtera ses 80 ans en juillet prochain.

« Hormis cette marche, je ne fais plus rien. Je n’ai envie de rien », affirme-t- elle. Elle était une grande sportive, pourtant, après avoir appris à courir à Port- Marly avec le footballeu­r. « C’était devenu ma drogue. Courir ou aller à la salle, c’était le moyen de m’évader de mon quotidien rythmé sur mon mari. » Elle avait cependant dû arrêter le sport il y a une dizaine d’années après une opération du genou. « Par contre, je continuais à danser. J’y allais toutes les semaines quand il était là. De 14 h à 17 h 30, je savais qu’il y avait quelqu’un pour s’occuper de lui, et moi j’allais me dépenser. Je n’y ai pas encore remis les pieds », dit- elle dans une grande vague d’émotion.

Le rock, le paso, la valse, le tango, tout y passait. Une passion née de son enfance, quand son père accordéoni­ste et sa mère l’emmenaient avec sa soeur cadette de deux ans, Yvette, dans les bals. C’est d’ailleurs au bal de Montargis que Bernadette et Jean- Pierre se sont rencontrés, avant de ne plus jamais se quitter. « Parfois, je me dis que je suis bête de penser que je n’ai pas le droit de danser encore… Mais je ne peux pas. Je n’ai pas envie de voir les gens, d’être au milieu de la foule. »

« Je me réveille en sursaut, avant de réaliser que ce n’est pas possible. »

La vie d’après est loin d’être plus gaie pour Bernadette Adams. Habillée de noir, avec un vernis très sombre, elle assure qu’elle s’habillait plus lumineusem­ent avant. « Mes fils me l’ont fait remarquer. Mais ce n’est pas si facile que cela de reprendre sa vie.

Je n’étais pas malheureus­e dans la vie que j’avais. Je suis beaucoup plus malheureus­e maintenant. »

Il y a encore des nuits difficiles où Bernadette Adams croit l’entendre bouger, dans sa chambre, à l’opposé de la pièce du bas. « Je me réveille en sursaut, avant de réaliser que ce n’est pas possible. » C’est seulement depuis le déménageme­nt à Caissargue­s que tous les deux faisaient chambre à part. « Dès qu’il est décédé, on a vidé la pièce. Mon fils a tout repeint, et on a mis un grand lit, notamment pour mes soeurs quand elles me rendent visite », précise l’aînée d’une famille de six enfants (quatre filles et deux garçons).

Et si l’envie de déménager se fait sentir, la condition essentiell­e d’un nouveau changement sera de retrouver une maison à Caissargue­s pour rester proche de son second fils et de ses petits enfants : Noah et Mila. « Aujourd’hui, ce sont eux qui me portent. Tous les mercredis, ma petite-fille, qui va avoir douze ans en juin, descend du bus pour venir manger avec moi. Je lui apprends le tricot en ce moment, sourit- elle. Et le samedi, je la récupère après son cours à la patinoire. J’en profite davantage, j’ai plus de temps à leur consacrer. » Bernadette Adams continue également à aller tous les ans en Corse, où vit son fils aîné, pour l’anniversai­re de son petit-fils Lenny.

L’été dernier, elle est également partie quelques jours à Cordon (Hauet- Savoie), avec sa voisine Nicole – qui parfois lui cuisine de bons petits plats – et sa soeur Yvette. « On a fait la mer de glace à Chamonix. 520 marches à descendre, pour arriver à la grotte. Eh bien malgré ma prothèse au genou, je l’ai fait ! », savoure-t- elle en faisant défiler les photos sur son téléphone.

Malgré tout, Bernadette Adams se projette sur le futur. Brièvement. Un mariage à préparer pour son second fils, début septembre, ou encore des courts séjours à programmer. Parmi ses envies, elle a ciblé le Mont- SaintMiche­l, dont un dessous- de-plat trône sur la table à manger : « Mais je ne l’ai jamais vu en vrai ! » Un séjour dans l’Ouest qui pourrait également lui donner l’occasion de passer par Pluguffan (Finistère) où vit depuis deux ans son frère. « Ça n’a jamais été mon tempéramen­t de me laisser aller ! Même si j’ai du mal à partir plus de quelques jours », conclut- elle.

« Je suis fière de lui avoir permis de vivre ainsi »

Bernadette Adams a toujours mené ses combats avec déterminat­ion. De la jeune fille qui a quitté le nid familial lorsque sa mère était réfractair­e à la couleur de peau de Jean- Pierre, « avant qu’il ne devienne le chouchou. Mes parents ne voyaient que par Jean-Pierre ensuite », à la femme qui a veillé pendant près de 40 ans sur son mari, sans jamais penser à le placer dans un établissem­ent spécialisé. « Cela aurait été l’abandonner. Puis, il n’aurait jamais vécu aussi longtemps, c’est certain. Si c’est difficile pour moi aujourd’hui, je suis fière d’avoir pu lui permettre de vivre ainsi. Et moi, j’étais mieux dans ma drôle de vie, à m’occuper de JeanPierre… »

La tristesse reste évidemment forte, mais Bernadette Adams reprend pas à pas le tempo de sa vie. Avec le temps, elle retrouvera peut- être le goût de la danse. Comme à ses 20 ans dans les bals de Montargis.

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| PHOTO : OUEST-FRANCE Bernadette Adams se sent bien seule désormais dans sa maison, après des années à avoir veillé son mari Jean-Pierre.
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