Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)

Payé par son entreprise, il travaille pour une asso

Depuis la loi Aillagon de 2003, le mécénat de compétence­s senior permet d’aménager la fin de carrière en dehors de l’entreprise. Exemple dans une associatio­n de La Trinité-sur-Mer.

- Lola DUFEU.

Termes techniques, sans être abscons, explicatio­ns précises et détaillées… En quittant définitive­ment les bureaux de Naval Group, à Lorient (Morbihan), pour aller travailler au sein de l’associatio­n The SeaCleaner­s, à La Trinité-surMer, Jérôme Tard n’a rien perdu de ses réflexes profession­nels. Ni de son envie. Bien au contraire. « S’attaquer au problème de la pollution plastique dans les océans, c’est un beau projet et pour moi, une très belle opportunit­é ! » lance-t-il avec enthousias­me.

Après trente-sept ans d’une vie « bien stabilisée » au sein du groupe industriel spécialisé dans la constructi­on navale de défense, il a fait le choix de terminer sa carrière par du mécénat senior. Pendant un an, son entreprise a accepté de le mettre entièremen­t à dispositio­n d’une associatio­n, tout en continuant de lui verser le même salaire. « J’étais mal à l’aise de savoir que j’allais faire le même travail que des bénévoles, mais en étant rémunéré. Il fallait donc que j’apporte une valeur ajoutée », argumente-t-il posément.

Une transition vers la retraite

En octobre, Jérôme Tard, alors âgé de 62 ans, intègre donc « l’équipe très jeune et fourmillan­t d’idées » de l’associatio­n de protection de l’environnem­ent The SeaCleaner­s, fondée en 2016. « Je suis passé d’un grand groupe de 14 000 personnes à une associatio­n de trente-cinq salariés. » Un changement complet de culture et de mode de fonctionne­ment qui le motive à travailler une année supplément­aire. « Je n’étais pas à la recherche d’un complément de pension mais d’une transition vers la retraite », tient-il à souligner.

Chez Naval Group, Jérôme Tard était « architecte industriel » pour des projets de sous-marins vendus à l’export.

Au sein de The SeaCleaner­s, il participe désormais à la conception du Manta, premier voilier dépollueur. Et son engouement est réel lorsqu’il s’agit de décrire le fonctionne­ment de ce géant des mers — dont la constructi­on devrait être lancée en 2024, avant de commencer à être exploité en 2026. « Le catamaran collectera les déchets en mer via des filets et des tapis. Ils seront ensuite triés, puis incinérés à bord ou ramenés à terre, pour ceux en état d’être recyclés », détaille le sexagénair­e, actuelleme­nt chargé de nouer des partenaria­ts avec des armateurs.

« Ne pas partir aigri »

« On dit que les seniors ne savent plus travailler, voilà un contre- exemple », plaisante à demi Frédéric Silvert, le directeur technique de l’associatio­n.

Avant de poursuivre : « Venant de grandes entreprise­s, ces salariés ont été formés à des techniques et des outils de travail très performant­s. Pouvoir bénéficier de leur retour d’expérience est assez unique. »

Thierry Pacini, 65 ans, a lui aussi été conquis par le projet de The SeaCleaner­s. En 2019, après quarante ans de carrière, cet ancien salarié d’un grand groupe industriel trouve « une porte de sortie intéressan­te » avec le mécénat senior. Il intègre les bureaux parisiens de l’associatio­n, découverte par hasard lors d’un salon nautique. D’abord deux ans. Puis il demande à être prolongé d’une année. « Dans les grandes entreprise­s, la fin de carrière n’est pas évidente. Vous êtes jugé moins performant, déplore-t-il. Mais ce projet m’a redonné un coup de fouet, m’a permis de ne pas partir aigri. »

Contrairem­ent à son collègue de La Trinité-sur-Mer, il ne s’occupe pas du grand Manta, mais des Mobula, ces petits bateaux – dont certains sont déjà en opération en Indonésie – chargés de récolter les déchets plastique dans les rivières ou zones côtières. « Ce ne sont pas les mêmes contrainte­s et le même stress que lorsque vous êtes actif dans une entreprise qui doit être rentable, argumente-t-il. C’est un outil pour rester dans l’emploi, et en bonne santé mentale ! »

En juillet dernier, il a pris finalement sa retraite à l’âge de 64 ans, avec un taux plein. Mais Thierry Pacini n’a pas pris congé de l’associatio­n. Il continue d’y travailler, cette fois sous le statut d’autoentrep­reneur.

 ?? | PHOTO : JOEL LE GALL, OUEST-FRANCE ?? Jérôme Tard travaille pour l’associatio­n The SeaCleaner­s, en étant rémunéré par Naval Group, son entreprise d’origine.
| PHOTO : JOEL LE GALL, OUEST-FRANCE Jérôme Tard travaille pour l’associatio­n The SeaCleaner­s, en étant rémunéré par Naval Group, son entreprise d’origine.

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