Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
« C’est de l’exagération » : elles disent Pourquoi elles ne sont pas féministes
Malgré la diversité des courants féministes, certaines femmes n’adhèrent pas au combat, à cause de l’image qu’elles ont du mouvement, des actions menées ou des méthodes employées.
Féminisme ? « J’ai du mal à me reconnaître dans ce mot », explique Lisa, 25 ans. Pour elle, tout comme pour Olga, 33 ans, Sylvie, 60 ans, et Josette, 65 ans, la complexité première est de savoir ce que c’est d’« être féministe ». Toutes s’accordent pour dire que c’est un mouvement en faveur des femmes, mais elles ne se retrouvent pas pour autant dans ce terme.
« Si le but est de lutter contre les inégalités, c’est déjà une inégalité en soi de donner un nom à un mouvement pour les femmes », ajoute Lisa, qui assure s’être « toujours sentie égale aux hommes », mis à part physiquement. « Je n’ai pas besoin de mettre en avant le fait que je suis une femme dans ma vie de tous les jours, complète- t- elle. Je me sens respectée pour ce que je suis. »
Olga, elle, se dit « en faveur des femmes » mais « pas féministe », parce qu’elle « ne mène aucune action pour améliorer la situation des femmes ». Selon elle, il faut manifester et défendre les droits des femmes au quotidien pour prétendre appartenir à la cause. Et pourtant, elle est convaincue de l’utilité du combat. « Tout le monde doit être un peu féministe pour que les choses bougent, assure- t- elle. C’est une nécessité. »
« Des courants anti- hommes »
« Les féministes, c’est de l’exagération, c’est trop extrême, revendicatif et exclusif », dénonce quant à elle Josette. Elle a une « vision très négative » du féminisme puisqu’elle y voit une mise à l’écart des hommes. Un avis partagé par Sylvie, pour qui « cela ne peut pas être un courant de pensée uniquement féminin. Il faut intégrer les hommes à la démarche. » C’est d’ailleurs cette « exclusion des hommes du combat » qui pose problème à Lisa. À ses yeux, il est important de « laisser une place au dialogue entre les personnes ».
Josette ne comprend pas ce besoin de mettre les femmes et les hommes en face-à-face. « Les femmes ne sont pas et ne seront jamais des hommes et c’est insensé de dire qu’on n’a pas besoin d’eux. » Elle croit profondément que les personnes de sexes opposés « s’apportent mutuellement des choses » et regrette ce qu’elle décrit comme « des courants anti- hommes ».
L’image d’un féminisme radical
Ce qui déplaît à Sylvie, c’est la virulence de certaines actions revendiquées par des groupes féminins. La sexagénaire dit ne se sentir « proche d’aucun courant féministe ». Elle
associe ces mouvements de femmes « à des choses un peu radicales » et croit que « plus c’est radical, moins les hommes y adhéreront ». « Or pour faire avancer la cause, il faut que les hommes se joignent aux femmes », s’exclame- t- elle, ramenant à nouveau cette problématique au premier plan. Elle est convaincue que la radicalité de certaines féministes « peut nuire au changement ».
Olga reconnaît faire elle aussi ce rapprochement entre le terme « féminisme » et les actions virulentes relayées sur les réseaux sociaux, « comme celles menées par les Femen », précise- t- elle. Les militantes Femen sont connues pour leurs actions provocatrices, souvent menées seins nus. De quoi éloigner un peu plus Olga du combat, puisqu’elle ne veut « pas être associée à cela ».
Lisa n’est de son côté pas aussi tranchée sur la question. « Je pense que ces branches les plus extrêmes sont importantes parce que ce sont ces personnes qui vont agir pour moi, aller aux manifestations, crier, relayer des messages sur les réseaux sociaux et donner de la visibilité à ces problématiques. » Si
elle comprend que cela puisse déplaire, « c’est bien de faire peur », pense- t- elle, consciente que le combat pour les droits des femmes n’est pas encore abouti. « C’est ce qui fait évoluer les mentalités. »
Combattre ou non les inégalités
Malgré leurs divergences, Sylvie, Olga et Lisa s’entendent sur un point : elles veulent l’égalité entre les femmes et les hommes. Et surtout « l’égalité salariale », AffirmEnt- elles. Sylvie déplore les inégalités professionnelles : « Certaines filières sont encore presque réservées aux hommes. »
Josette, elle, n’est pas de cet avis : « Je suis pour que la femme ait sa liberté et autant de droits que l’homme, mais je ne veux pas être l’égale de l’homme. Je veux juste du respect entre les personnes », résume- t- elle. « Il faut être fière d’être une femme et trouver sa place. » Pourtant, elle reconnaît qu’il existe « des déséquilibres qui ne sont pas normaux ».
C’est justement cette question des inégalités qui déplaît à Lisa dans le féminisme. Elle se retrouve davantage dans le terme « humanisme »,
« parce qu’il inclut tout le monde ». « Je suis simplement contre l’injustice, que ça soit envers les femmes, les hommes, ou les personnes LGBTQ +. »
Sans se considérer féministes, Lisa et Olga constatent malgré tout qu’elles sont davantage réceptives à la cause que leurs aînés. « Je débats beaucoup de ce sujet avec mes amis, qui voient globalement cela comme une bonne chose, une avancée pour la société », raconte Olga, qui observe, qu’à l’inverse, « c’est très mal perçu par [ses] grands- parents ».
Un débat générationnel
« Je pense que ma génération est très engagée sur ces questions et donc, cela peut parfois amener à des débats virulents, remarque Lisa. Mais la génération de mes parents n’est pas très sensible à toutes ces problématiques. »
Josette, qui précise qu’aucune de ses amies n’est féministe, conçoit que « c’est une question de génération ». De même que Sylvie, qui trouve les 25- 35 ans beaucoup « plus avertis sur ce sujet ». Pourtant, elle se rappelle que ces questions d’égalité étaient déjà d’actualité lorsqu’elle
La société française a-t- elle vraiment accepté le féminisme ?
était jeune. « J’ai l’impression qu’il n’y a pas de grandes évolutions, relève- t- elle. Ou que ça n’avance pas très vite… » C’est peut- être aussi un peu cela qui la décourage dans ce combat.
Chloé BENOIST.
Le féminisme a-t-il la cote ? Le dictionnaire Larousse le définit comme un courant de pensée et un mouvement politique, social et culturel en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Certains s’en veulent les fervents défenseurs ; d’autres le perçoivent d’un mauvais oeil, comme un mouvement qui cherche à renverser les fondements de la société.
Une perception négative
« Tout part du rapport au terme « féminisme », juge Maud Navarre, docteure en sociologie. C’est un mot qui a toujours souffert d’une perception négative en France. » Il est utilisé pour la première fois au XIXe siècle par Alexandre Dumas, un antiféministe, « pour dénigrer le phénomène ».
La perception du féminisme a toutefois changé. Les vagues féministes, de la fin du XXe siècle et du XXIe siècle, « mettent la question de l’égalité femmes-hommes au premier plan », souligne Fabrice Virgili, historien et directeur de recherche au CNRS. Des personnalités publiques et des associations s’investissent aussi, y compris des hommes.
Si le féminisme est critiqué, c’est parce qu’il vient « remettre en cause beaucoup de choses de l’ordre établi », soulève Louise Delavier, directrice des programmes au sein de l’association En avant toutes.
Des comportements extrêmes existent parmi les antiféministes. « Il y a aujourd’hui des masculinistes qui peuvent être très violents et pratiquent le harcèlement ou le cyberharcèlement sexiste », observe Fabrice Virgili. « Certaines femmes ne voient pas l’utilité ou ne ressentent pas le besoin d’être féministes », rapporte Maud Navarre. Pour nos aînées, « le féminisme remet en cause des choses vécues tout au long de leur vie », souligne Louise Delavier.
Au- delà de la compréhension du combat, une image souvent réductrice est associée au féminisme.
« Ce mouvement continue d’être perçu uniquement à travers les femmes qui manifestent dans la rue et via les mobilisations les plus revendicatives », indique Maud Navarre. D’autant plus qu’être féministe, « c’est aussi le risque de se mettre les hommes à dos puisque certains interprètent cela comme une défiance vis-à-vis d’eux », ajoute-t- elle.
Une société patriarcale
Ce qui témoigne d’une chose : notre société est restée profondément patriarcale. « On est encore dans une société faite par et pour des hommes », assure la sociologue. « La domination masculine continue de s’exercer au niveau intime, mais aussi politique et social », développe Fabrice Virgili. Cela s’explique, d’après lui, par des valeurs inculquées aux hommes depuis des siècles et selon lesquelles « ils sont des êtres dominants ».
La perception du féminisme est aussi « une question de génération », selon Maud Navarre. Les différentes vagues de mobilisation qu’a connues la France ont contribué à éveiller les consciences : « Ce sont des mouvements où la provocation va amener à des débats très forts », complète
Fabrice Virgili, qui estime que ce sont « des moments essentiels » à la société.
Les représentations sur le féminisme varient aussi selon les expériences personnelles et le milieu social. « Il existe des milieux conservateurs ou religieux – où l’image de la femme au foyer est valorisée – qui sont encore très éloignés de ces problématiques féministes », affirme Maud Navarre. D’après elle, c’est justement « dans les foyers, à travers la répartition des tâches domestiques », que se traduit la réceptivité ou non au féminisme.
Mais tous les trois constatent un changement depuis 2017 et l’apparition de #MeToo. « Cela a permis à beaucoup d’hommes de réaliser que les violences sexistes et sexuelles sont très présentes dans notre société », relève Fabrice Virgili. « Comme tous les mouvements féministes, cela a été utile » pour faire évoluer les mentalités et la perception du féminisme en France, ajoute Maud Navarre. Il en a découlé une remise en cause chez certains hommes. Mais « ceux qui s’y mettent sont parfois moqués par leurs pairs », déplore Louise Delavier.