Dimanche Ouest France (Côtes-d'Armor)
The National retrouve du souffle et de l’âme
Le disque de la semaine. Lassitude, éloignement, inspiration en berne… Les vétérans de l’indierock américain ont surmonté les épreuves pour offrir un neuvième album particulièrement réussi.
À en croire les membres de The National, ce neuvième album a bien failli ne jamais voir le jour. Au bout de vingt ans de vie commune, ils se sont retrouvés à se demander s’ils avaient encore des choses à se dire. Des choses aussi à dire tout simplement.
Le chanteur et parolier Matt Berninger a traversé une longue panne d’inspiration. Face à son angoisse de la page blanche, il a pour habitude de se saisir au hasard d’un livre dans sa bibliothèque. Cette fois, Frankenstein, le chef- d’oeuvre de Mary Shelley, a servi de déclic. Il donne son titre au disque.
Un duo avec Taylor Swift
Il y a ici tout ce qu’on aime chez The National, et qui s’était peut- être dilué avec le temps : l’élégance mélodique, la mélancolie réconfortante, la voix de baryton de Matt Berninger qui semble se confier dans le creux de l’oreille, les arrangements savants de Bryce et Aaron Dessner, la section rythmique impeccable de Bryan et Scott Devendorf.
Cette formule a fait de The National l’un des groupes de rock indépendant les plus respectés aux ÉtatsUnis, même si son succès reste plutôt confidentiel en France. Un groupe qui peut se permettre d’inviter pour des choeurs les idoles du folk Sufjan Stevens et Phoebe Bridgers et la star internationale de la pop Taylor Swift pour un duo. Rien de surprenant, la popstar reine des ados et le groupe de rock adulte ont déjà plus d’une fois travaillé ensemble, notamment Aaron Dessner sur l’album Folklore (2020).
Les sommets de ce disque sont pourtant à chercher ailleurs. Dans un souffle retrouvé, un supplément d’âme que le groupe rechignait avec le temps à donner, dans des failles mises à nues pour mieux laisser passer la lumière.
La fin d’une relation sur le splendide Eucalyptus, traversé par un solo de guitare à l’économie saisissante, le nostalgique New Order T- Shirt et ses effluves adolescents, le sentiment de dérive qui habite Your Mind is Not Your Friend, l’électronique faussement enjouée mais réellement désabusée de Tropic Morning News.
Travaillant toujours en clair- obscur, The National retrouve par instants les sommets que les cinq musiciens avaient pu atteindre par le passé, notamment sur Boxer (2007). First Two Pages of Frankenstein marque un retour de flamme. Une flamme rendue avec le temps moins incandescente mais plus que jamais troublante.
First Two Pages of Frankenstein (4AD/Beggars), 11 titres, 46 min.